lundi 16 janvier 2108
Une bourrasque s’engouffre entre les murs en parpaings qui se dressent vers le ciel. Je remonte le col de mon manteau et continue à déambuler sur le chantier encore désert. Quelques hommes patrouillent à pied pour dissuader les curieux de faire un tour durant la nuit et de perturber les équipes le jour. L’un d’eux m’aperçoit et me fait un signe de la main. Je lui réponds et continue mon inspection.Hier, nous sommes arrivés tard. Nous avons été obligés de nous arrêter plusieurs fois durant le trajet pour diverses raisons, si bien que nous avons mis quatre heures de plus que ce qui était prévu. Yasshem devait me faire un tour du propriétaire à notre arrivée, mais nous avons convenu de repousser au lendemain matin, préférant partager un bon repas tous ensemble avant d’aller dormir.Le temps que les travaux se terminent, mes hommes et moi logerons dans l’entrepôt avec les autres. Ils ont fini la rénovation des étagesdimanche 22 janvier 2108Nos pieds foulent l’asphalte recouvert d’une légère couche de givre. Même en avançant le plus silencieusement possible, nous ne pouvons éviter que nos semelles ne crissent sur le sol. Il a fait très froid ces deux derniers jours et malgré le feu du brasero que nous avons allumé cette nuit, personne n’a réussi à se réchauffer. J’ai les mains gelées et souffler dessus ne m’apporte qu’un maigre réconfort.Heureusement, nous touchons bientôt au but. Devant nous se dresse la maison. Imposante avec ses grandes colonnes qui soutiennent l’arche entourant le perron, kitsch avec ses vitraux colorés, le jardin clôturé toujours en friche; elle est telle que nous l’avons vue la dernière fois.—Tout ça me semble si lointain…Je tourne la tête vers Khenzo qui détaille la bâtisse avec attention. Il a l’air un peu triste, comme s’il se remémorait des souvenirs agréables à jamais perdus. Je me rapproche de lui et lui touche le bras.
lundi 23 janvier 2108Je me réveille en sursaut, le cœur battant fort dans ma poitrine. Un frisson me parcourt le corps et je bats des paupières pour retenir les larmes qui se pressent sous mes cils. Ce sentiment d’oppression… Et aujourd’hui, ce vide qui me déchire le cœur… Si seulement… si seulement…Je me tourne sur le côté et me redresse sur un coude. Le feu s’est presque éteint et les dernières braises diffusent une lueur rougeoyante sur les visages de Thomas et Khenzo. Ils dorment profondément. Je les envie. Mes yeux se ferment et mes visions cauchemardesques reviennent au galop pour m’assaillir de toute part. Je suis cernée par mes peurs et mes douleurs, envahie par ces images surgies du passé dans lesquelles j’ai la sensation de m’enliser. Une chouette hulule tout près de la cabane, me ramenant brusquement à la réalité.—Enfoiré de Kraeffer, murmuré-je, haletante. Tu ne me lâcheras donc jamais?Exaspérée de ne pas réussir à reprendr
vendredi 27 janvier 2108Il est pratiquement midi lorsque nous arrivons enfin aux abords de Bellegarde. Nous longeons les champs toujours en exploitation sans croiser ni hommes ni machines. Sans nul doute que les habitants du coin doivent profiter de l’hiver pour remettre en état le matériel avant l’arrivée des beaux jours.Après avoir rendu visite à Juranville, Beaune-la-Rolande et Ladon, il est temps d’aller se confronter à un plus gros poisson. Contrairement aux trois premières villes, Bellegarde possède une milice bien armée et suffisamment couillue pour aller mener des raids dans les villes et villages voisins. D’après nos informations, leur plus grosse opération remonte à début décembre; celle qu’ils ont montée conjointement avec la ville de Nesploy à l’encontre de Corbeilles. Noellie et Matias y ont perdu la vie, ainsi qu’une petite dizaine d’assaillants.Beaucoup à l’entrepôt ont vu d’un mauvais œil mon initiative. Tendre la main aux meurtriers
samedi 28 et dimanche 29 janvier 2108La mission Ralliement est un véritable succès. Personne ne nous a opposé de résistance hormis Bellegarde que nous avons facilement fait ployer avec Thomas et Nathan. Tous les environs sont acquis à notre cause et nous n’avons pas eu à user de la force pour y parvenir. Je n’y croyais pas, mais les résultats sont là. Un sentiment de fierté m’étreint quand je pense à la façon dont chacun de mes hommes s’est senti investi par cette mission. Sans eux, rien n’aurait été possible. Ils le savent et partagent le même enthousiasme que moi. Oui, c’est une belle première victoire.Car cette mission n’a pas seulement permis d’amener la paix dans les environs, elle a aussi permis de gonfler les rangs de la Résistance de deux-mille âmes supplémentaires. Leur intégration sera progressive; il faut déjà que Vichy gère l’arrivée des milliers d’hommes et de femmes qu’ont recrutés les autres commandants l’année passée. D’ici là, ils auront la
lundi 30 janvier au samedi 4 février 2108La semaine s’annonce chargée. Dès l’aube, je prends contact avec Martin pour lui faire part de mes inquiétudes quant aux défenses antiaériennes du site. J’aurais bien aimé qu’il y mette de la bonne volonté, mais il faut croire que ce n’est pas encore pour aujourd’hui. Il m’accuse de vouloir dilapider les ressources de la rébellion pour mon unique intérêt et je dois longuement lui démontrer par A+B que, Corbeilles étant l’un des plus gros avant-postes et celui qui se trouve le plus au nord, nous serions sans doute les plus exposés si le NGPP venait à mener une offensive.—Ce ne sont que des rumeurs! s’exclame-t-il à bout d’arguments.—Je sais, mais elles doivent être prises au sérieux le temps qu’on les vérifie.—Et quand et comment comptes-tu les vérifier? Je ne veux pas engager de nouveaux travaux sans garanties. Nous avons une dizaine d’autres sites à équiper, nous ne pouvons pa
«Un bruit assourdissant me sort de la torpeur dans laquelle je suis plongée depuis un bon moment. Des cris. Des semelles qui foulent le sol au pas de course. Des corps qui semblent lutter péniblement. Des bruits qui ne sont pas habituels dans ces lieux d’ordinaire si calmes.Je bascule sur le côté et, dans un grognement de douleur, j’essaye de me relever. J’ai mal partout et je dois m’y reprendre à plusieurs fois avant d’arriver à m’agenouiller. La tête me tourne. Je me courbe en avant pour endiguer la douleur qui me transperce de part en part. Malgré tout, je trouve la force de relever un genou, puis en m’appuyant sur le mur, je me redresse pour me diriger vers la porte.Lorsque je colle mon visage contre les barreaux de la petite lucarne, une silhouette passe en courant sous mes yeux, me faisant reculer instinctivement. Mon cœur bat la chamade dans ma poitrine. Que se passe-t-il de l’autre côté? Je m’approche à nouveau pour observer la pénombre du couloir
dimanche 5 février 2108Mon petit déjeuner a un goût amer, ce matin. Ressasser éternellement le passé durant la nuit m’épuise et a tendance à me couper l’appétit. Ce que j’aurais aimé que les bras de ma mère se referment sur moi en cet instant. Elle m’aurait alors adressé quelques mots réconfortants, puis fait le bisou magique sur le front. Celui qui chasse tous les ennuis, toutes les peurs, toutes les peines. Xavier se serait moqué de moi quelques minutes, nous aurions ri ensemble, puis la journée aurait enfin pu commencer sur une note plus douce.Au lieu de ça, le jour ne s’est même pas encore levé que je suis déjà attablée à touiller une bouillie infâme pour essayer d’oublier ces images cauchemardesques. Tout le monde dort. Je suis seule dans la grande salle et un frisson me parcourt l’échine.En arrivant à Corbeilles, je m’étais sentie emplie d’un nouveau souffle, d’une nouvelle force, de celle qui vous fait soulever des montagnes. Mais cette semaine a s
samedi 11 au jeudi 16 février 2108J’observe le jour déclinant parmi les nuages. Il s’en est passé des choses cette semaine. Tellement de choses que j’ai l’impression qu’il s’est écoulé beaucoup plus de temps que ça. Tellement de choses que je n’ai pas eu besoin d’inventer des prétextes pour fuir Khenzo.Nous n’avons pas reparlé de ce qui s’est passé lors de notre dernière excursion et je n’en ai toujours pas envie. Ou pas le courage, surtout. Oui, sans doute. Khenzo n’a pas non plus insisté pour me parler de son côté. Il aurait pu. Il en aurait eu le droit après le carnage que nous avons laissé derrière nous. Mais–une fois de plus–il a respecté mon silence. Je ne mérite pas son amitié. Je ne l’ai même jamais mérité et ce sentiment douloureux me pèse. Alors pour ne pas y penser, je me suis plongée tête baissée dans mes obligations.Vichy n’a fait aucun commentaire sur l’affaire opposant le commandant Matui à Yasshem. Ils ne m’ont pas