Le matin se leva sans crier gare, diffusant une lumière blafarde à travers les vitres opaques de la maison d’Éleana. Alma, assise sur le fauteuil du salon, n’avait pas dormi. Les heures avaient passé, lourdes et lentes, rythmées par les craquements du bois et le bourdonnement lointain du vent dans les arbres.
Elle tenait encore la lettre dans ses mains, comme si la chaleur de ses doigts pouvait en extraire un nouveau message. Ce qu’elle avait lu la veille résonnait toujours dans sa tête : ne dors pas seule, le sang appelle le sang, ce qui est scellé sous la maison. Elle s’était jurée de rester rationnelle, de ne pas céder à la paranoïa ou aux superstitions. Mais ici, à Ravencroix, la frontière entre le réel et l’étrange semblait plus mince. Fragile. Elle se leva enfin, traversa la cuisine et ouvrit la porte sur l’extérieur. L’air était froid, saturé d’humidité. Une brume légère flottait au sol, recouvrant les pierres de la cour comme une fine couche de coton sale. En face, au bout du petit sentier, elle vit la silhouette d’une vieille femme qui la fixait. Une voisine. Elle portait un long châle noir et ne clignait pas des yeux. Alma leva la main dans un geste poli, mais la femme tourna les talons sans répondre. Alma referma la porte en silence, le cœur un peu serré. Cette indifférence, ce regard vide... Ce n’était pas juste de la curiosité. Il y avait quelque chose de plus, un malaise diffus qu’elle ne parvenait pas à nommer. Comme si sa présence réveillait dans ces gens des souvenirs qu’ils préféraient oublier. Ou pire… une peur qu’ils ne savaient pas exprimer. Elle revint dans la cuisine, alluma le vieux réchaud à gaz et se fit un café noir, amer, qu’elle sirota debout, les yeux fixés sur le bois du plancher. Il y avait des traces au sol, presque invisibles : de fines lignes de poussière déplacée, des marques circulaires autour du tapis… comme si quelque chose avait été bougé récemment, puis remis en place à la hâte. L’idée lui traversa l’esprit qu’elle n’était peut-être pas la première à revenir ici depuis la mort d’Éleana. Un bruit sourd à l’étage la fit sursauter. Elle se redressa, tendit l’oreille. Rien. Le silence, total. Mais elle savait ce qu’elle avait entendu. Alma referma la porte derrière elle avec un léger claquement qui sembla résonner dans toute la maison, laissant derrière elle la froideur du matin brumeux. Son cœur battait un peu plus vite, non pas tant à cause de la fatigue ou du voyage, mais à cause de cette sensation sourde qui lui pesait depuis son retour. Ce regard de la vieille femme sur le seuil, figé, absent, mais lourd d’une signification inavouée. Ce n’était pas un simple oubli ni une simple méfiance face à une inconnue. Non, c’était autre chose. Comme si Alma venait de franchir une frontière invisible, celle qui sépare le monde des vivants, des morts, des secrets enfouis et des douleurs trop anciennes. Elle resta quelques instants figée, les doigts encore sur la poignée, cherchant à déchiffrer ce non-dit qui flottait dans l’air froid de Ravencroix. Était-ce la peur ? Un avertissement ? Ou peut-être un reproche ? Ici, tout semblait chargé de silence, d’ombres qui s’épaississaient au fil du temps, au point que même les habitants semblaient s’être fondus dans cette atmosphère étouffante. Reprenant son souffle, Alma fit quelques pas dans la cuisine, ses bottes résonnant doucement sur le vieux parquet. Elle alluma le réchaud à gaz qui cracha un petit sifflement, et bientôt le doux ronron du feu naissant emplissait la pièce. Elle versa de l’eau dans la cafetière rouillée, attrapa une tasse ébréchée sur l’étagère et la posa sur la table. L’arôme amer du café monta lentement, entremêlé à l’odeur rance du bois et de la poussière. Tout en sirotant son breuvage brûlant, son regard se posa sur le sol, où des détails qu’elle n’avait pas remarqués jusque-là captèrent son attention. Des traces subtiles mais persistantes dans la poussière : des cercles à peine visibles autour du tapis délavé, une fine couche de poussière déplacée près du meuble ancien, des empreintes presque effacées qui semblaient indiquer un passage récent. Son esprit s’emballa. Était-elle vraiment seule dans cette maison ? Ou quelqu’un avait-il été là, juste avant elle ? Quelqu’un qui, peut-être, avait laissé ces signes dans un mélange de peur et de précipitation. Les questions tourbillonnaient dans son esprit comme les feuilles mortes que le vent chassait au dehors. Soudain, un bruit sourd provenant de l’étage la fit sursauter. C’était un son bref, un grincement, un craquement... comme si une porte avait été poussée, ou un meuble déplacé. Elle se figea, les sens en alerte. Son cœur battait plus fort, à la fois de peur et d’excitation. Était-ce la maison qui protestait contre son intrusion, ou bien quelque chose de plus… vivant ? Elle posa doucement sa tasse, lentement, comme pour ne pas réveiller ce qui sommeillait dans les murs. Elle tendit l’oreille, cherchant à capter le moindre souffle, le moindre mouvement. Mais le silence s’installa à nouveau, profond, pesant, écrasant. Malgré tout, Alma savait au fond d’elle que ce bruit n’était pas une illusion. Quelque chose s’était éveillé. Quelque chose qu’elle allait devoir affronter. Alma resta immobile, les yeux fixés sur l’escalier en bois qui menait à l’étage supérieur. Chaque fibre de son corps était tendue, comme si elle se préparait à un affrontement invisible. Pourtant, aucune autre sonorité ne vint troubler le silence de la vieille maison. Juste le léger souffle du vent qui s’infiltrait par les fenêtres mal jointes, faisant danser les rideaux et faire craquer le bois sous la pression. Elle prit une profonde inspiration, cherchant à calmer l’angoisse qui montait en elle. « Ce n’est rien », se répéta-t-elle, « ce n’est que la vieille maison qui se meurt ». Mais au fond d’elle, une voix plus ancienne, plus sourde, lui murmurait que tout cela allait bien au-delà de simples grincements. Prenant son courage à deux mains, elle posa son pied sur la première marche, puis la deuxième. Le plancher sous ses pas émettait un léger gémissement, comme un avertissement. L’air était plus froid ici, chargé d’une odeur âcre, mêlant la poussière, l’humidité et quelque chose de plus ancien, plus viscéral, presque métallique. Elle atteignit le palier, son regard balayait les portes fermées, chacune comme une barrière vers un secret. La chambre de sa grand-mère était là, la dernière pièce où elle avait posé les pieds la veille, la seule à avoir conservé l’odeur d’encens et de mousse séchée. Mais c’était une autre porte qui attira son attention. Une porte qu’elle n’avait pas remarquée jusque-là. Petite, basse, presque invisible dans l’ombre du couloir. Elle s’en approcha lentement, posant la main sur la poignée froide. La clé de fer qu’Éleana lui avait donnée pendait toujours à son cou, et elle la sortit, la glissant dans la serrure. Un clic sec retentit, et la porte s’ouvrit en grinçant. Derrière se trouvait un escalier en colimaçon, descendant dans les ténèbres. Un puits d’ombre qui semblait avaler toute lumière, tout espoir. Alma alluma la lampe torche qu’elle avait trouvée dans un tiroir. Le faisceau balaya les murs en pierre brute, humides, couverts de mousse et de racines. Une odeur de terre mouillée et de moisissure emplit ses narines. Elle descendit, pas à pas, le silence total l’enveloppant. Chaque respiration semblait résonner, amplifiée par la profondeur du sous-sol. Au bas de l’escalier, une lourde porte de bois lui barra la route. Gravé dessus, le même symbole : trois croissants de lune imbriqués, comme sur la porte de fer de la cave du rez-de-chaussée. Avec précaution, elle tourna la clé, et la porte s’ouvrit sur une pièce immense, semblable à une grotte naturelle. Le sol était couvert de vieux tapis, les murs tapissés de parchemins, de livres anciens et d’artefacts étranges. Au centre, une grande table en chêne supportait une malle massive, verrouillée par trois serrures. Les fioles et bocaux s’alignaient sur des étagères, contenant des herbes séchées, des plumes, des pierres aux formes improbables. Mais ce n’était pas tout. À l’angle de la pièce, un autel improvisé portait un livre ouvert, ses pages jaunies marquées de symboles cabalistiques et de dessins de créatures mi-humaines, mi-bêtes. Alma sentit une présence. Pas humaine. Quelque chose d’ancien, tapie dans l’ombre. Un frisson parcourut son échine. Elle sut alors que le secret de sa grand-mère, celui qu’elle devait découvrir, n’était pas seulement une question de magie ou de savoir. C’était une vérité bien plus profonde, liée à sa propre nature, à son sang. Et que le village de Ravencroix, avec ses regards glacés et ses silences, était lui aussi pris dans cette toile mystérieuse. Alma s’approcha de la malle avec précaution, ses doigts tremblants effleurant le bois massif, froid et usé. Les trois serrures semblaient conçues pour empêcher toute intrusion. Elle sortit de sa poche un petit trousseau de clés anciennes qu’Éleana lui avait confié, chacune gravée de motifs similaires aux symboles qu’elle avait vus sur les portes. L’une d’elles s’adapta parfaitement à la première serrure. Un déclic net résonna dans le silence. Son souffle s’accéléra. Elle ouvrit la deuxième, puis la troisième serrure avec la même attention. La malle céda enfin dans un grincement sourd. À l’intérieur, soigneusement emballés dans des étoffes de velours noir, se trouvaient plusieurs objets qui la laissèrent sans voix : un pendentif en forme de croissant de lune, une dague ornée de runes anciennes, un carnet de cuir relié à la main, et une fiole contenant un liquide rouge sombre. Alma prit le carnet et l’ouvrit délicatement. Les pages étaient remplies d’écritures serrées, de croquis de bêtes hybrides, et de notes sur des rituels ancestraux liés à la pleine lune. Son cœur battait à tout rompre, tandis qu’elle sentait le poids du secret s’abattre sur elle. Elle comprit alors que ce que sa grand-mère avait protégé n’était pas un simple héritage familial. C’était un secret ancestral, lié à une lignée ancienne, celle des loups-garous. Elle sentait son sang s’agiter en elle, comme si une force oubliée s’éveillait, prête à réclamer sa place. Dans l’ombre de la pièce, un léger bruissement attira son attention. Alma se retourna vivement, la lampe torche balayant la pénombre. Une silhouette se dessina, fine, dissimulée derrière une colonne. — Tu es enfin prête, dit une voix rauque, presque un murmure.Épilogue Les années avaient adouci les cicatrices des Plaines de l’Aurore, transformant la forteresse ancienne en un phare d’espoir au cœur d’Aeloria. Ses tours, autrefois brisées, s’élevaient désormais, restaurées par les mains unies des nomades, des mages, des guerriers, et des loups-garous qui avaient trouvé refuge dans ses murs. La Clé d’Obsidienne, enchâssée dans l’autel central de la grande salle, brillait d’une lumière stable, son pouvoir canalisé pour protéger le sanctuaire et apaiser ceux qui portaient la malédiction des loups-garous. Autour de la forteresse, des champs d’herbes argentées s’étendaient, parsemés de villages où humains et loups-garous vivaient côte à côte, leurs rires mêlés sous un ciel clair. Princess et Eryndor, désormais figures légendaires, se tenaient sur un balcon de la forteresse, contemplant l’horizon. Les années avaient marqué leurs visages, quelques rides au coin des yeux de Princess, une touche de gris dans la barbe d’Eryndor, mais leur amour, forg
Chapitre 40 : Un Futur Ensemble Les Plaines de l’Aurore s’éveillaient sous un ciel d’un rose tendre, la lumière caressant les tours brisées de la forteresse ancienne comme une promesse de renouveau. Princess et Eryndor se tenaient devant l’entrée massive, ses portes de pierre gravées de runes scintillant sous l’effet de la Clé d’Obsidienne, que Princess portait à sa ceinture. Leur groupe, Liora, Toren, Mara, Kael, Sarya, et Lysa, se tenait derrière eux, uni par les épreuves des Monts de Cendre, les trahisons, et les pertes. La Clé, désormais en leur possession, représentait à la fois un fardeau et une opportunité, une chance de bâtir un monde où la peur ne diviserait plus. Princess inspira profondément, son bâton runique pulsant en harmonie avec la Clé. « C’est ici que tout commence, » murmura-t-elle, ses yeux bleus brillant d’une détermination nouvelle. « La forteresse détient les secrets pour contrôler la Clé. Si nous réussissons, nous pouvons changer Aeloria. » Eryndor, ses bles
Chapitre 39 : L’Amour Triomphe La forteresse des Plaines de l’Aurore se dressait au loin, ses tours brisées baignées par la lumière dorée du soleil couchant. Le groupe, Princess, Eryndor, Liora, Toren, Mara, Kael, Sarya, et Lysa, avait installé un campement final avant d’atteindre leur destination, niché dans une clairière où les herbes argentées des plaines scintillaient comme des étoiles captives. La Clé d’Obsidienne, toujours à la ceinture de Princess, semblait vibrer d’une énergie plus douce, comme si elle percevait l’espoir fragile qui grandissait parmi eux. Mais ce soir, un autre sentiment, plus intime et plus puissant, dominait le cœur de Princess et Eryndor. Assis à l’écart, près d’un chêne noueux, ils partageaient un moment de calme rare. Le feu du camp crépitait au loin, où Sarya racontait une légende des nomades à Kael et Lysa, tandis que Liora et Toren étudiaient les runes de la Clé, Mara soignant leurs blessures avec une douceur infinie. Princess, les genoux ramenés con
Chapitre 38 : L’Acceptation de Soi Les Plaines de l’Aurore s’étendaient sous un ciel d’un bleu cristallin, leurs herbes argentées scintillant comme des étoiles tombées sur la terre. Le groupe de Princess et Eryndor avançait à un rythme régulier, la forteresse ancienne désormais visible à l’horizon, ses tours brisées se dressant comme des sentinelles d’un autre âge. La Clé d’Obsidienne, toujours à la ceinture de Princess, pulsait doucement, un rappel constant de leur mission et des sacrifices qui les avaient menés jusqu’ici. Mais ce matin, une autre bataille se livrait dans le cœur de Princess, une bataille contre elle-même. Assise sur une colline pendant une pause, Princess observait ses compagnons. Sarya enseignait à Kael un lancer de lance, leurs rires résonnant dans l’air frais. Liora et Toren, penchés sur un parchemin, discutaient des runes de la Clé, tandis que Mara, remise de ses blessures, soignait une entaille sur le bras de Lysa. Eryndor, à quelques pas, affûtait son épée,
Chapitre 37 : Un Nouveau Commencement Les Plaines de l’Aurore scintillaient sous la lumière argentée de la lune, leurs herbes ondulant comme une mer infinie. Le groupe de Princess et Eryndor avançait lentement, leurs silhouettes fatiguées mais résolues se détachant contre l’horizon. La forteresse ancienne, dont les ruines se profilaient au loin, promettait un refuge où ils pourraient étudier la Clé d’Obsidienne et comprendre son pouvoir. Mais ce soir, le campement était silencieux, les survivants, Princess, Eryndor, Liora, Toren, Marawelling, Kael, Sarya, et Lysa, absorbés par leurs pensées après les pertes des Monts de Cendre. Princess et Eryndor s’étaient isolés près d’un feu mourant, à l’écart des autres. La Clé d’Obsidienne, toujours à la ceinture de Princess, semblait vibrer doucement, comme si elle écoutait leurs murmures. Princess, les yeux fixés sur les flammes, brisa le silence. « Tu penses qu’on peut vraiment changer les choses, Eryndor ? Pas seulement protéger la Clé, mai
Chapitre 36 : Réflexion sur les Pertes Les Plaines de l’Aurore s’étendaient à perte de vue, leurs herbes argentées ondulant sous une brise douce, comme un océan figé sous la lumière pâle du crépuscule. Le groupe de Princess et Eryndor, réduit mais résilient, avait établi un campement temporaire à l’ombre d’une colline, en route vers la forteresse ancienne mentionnée par Liora. La Clé d’Obsidienne, toujours à la ceinture de Princess, semblait peser plus lourd que jamais, son énergie pulsante un rappel constant du prix payé pour l’obtenir. Les feux du camp crépitaient doucement, mais l’atmosphère était lourde, empreinte du chagrin des pertes récentes. Princess s’était isolée près d’un ruisseau, ses pieds nus effleurant l’eau froide. Elle fixait son reflet, déformé par les vaguelettes, comme si elle cherchait des réponses dans son propre regard. Les visages d’Elira, de Tarek, et des autres tombés dans les Monts de Cendre dansaient dans son esprit, leurs voix réduites à des échos. Elle