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Le vent soufflait bas sur la route sinueuse menant à Ravencroix. C’était un de ces vents froids, secs et insistants, qui semblaient vouloir murmurer à l’oreille de ceux qui osaient encore s’aventurer dans ces bois. Alma referma un peu plus son manteau sur sa poitrine, resserrant les doigts sur le volant de sa vieille voiture, dont le chauffage avait cessé de fonctionner une cinquantaine de kilomètres plus tôt.
Cela faisait plus de quatorze ans qu’elle n’avait pas mis les pieds ici. La dernière fois, elle n’était qu’une enfant confuse, arrachée aux bras de sa grand-mère par une mère trop jeune pour être stable, et trop fière pour revenir sur ses décisions. Aujourd’hui, elle revenait seule. Pour enterrer celle qui avait été son refuge, son encre dans la tempête. La vieille Éleana Ravencroix, la guérisseuse du village, celle que tous respectaient et redoutaient à la fois. Le panneau rouillé du village surgit dans la brume : « Bienvenue à Ravencroix ». Alma ralentit, le cœur battant plus vite qu’elle ne l’aurait voulu. L'air semblait plus lourd ici, presque épais, comme si la forêt elle-même respirait à l’unisson de ses souvenirs. La route principale était aussi étroite qu'elle s’en souvenait. Les maisons de pierre, alignées comme des statues de silence, paraissaient observer son retour avec méfiance. Quelques rideaux se soulevèrent à son passage, comme si les habitants s’étaient transmis la nouvelle de son arrivée à la vitesse d’un murmure. Elle gara la voiture devant l’ancienne maison de sa grand-mère. La bâtisse, pourtant bien entretenue, semblait plus sombre qu’à son souvenir. Son toit de tuiles noires, ses volets fermés, son porche au bois usé : tout lui donnait l’allure d’un tombeau encore vivant. Alma resta quelques secondes immobile, la main sur la poignée de la portière, le souffle court. Il y avait cette chose, cette impression familière mais inexplicable, qui lui nouait l’estomac. Une intuition. Une peur ancienne. Comme si, en mettant le pied hors de la voiture, elle ouvrait une porte qu’elle n’aurait jamais dû rouvrir. Mais elle le fit. Parce qu’il fallait le faire. Parce qu’Éleana était morte, et que personne d’autre n’avait daigné venir s’occuper de ses affaires. Elle était la seule héritière. La seule âme de sang dans ce village d’ombres. La clé était cachée, comme toujours, sous le pot de romarin desséché à côté de la porte. Alma la tourna dans la serrure, qui opposa une résistance grinçante avant de céder. Une bouffée d’air poussiéreux s’échappa de l’intérieur. Elle entra. La maison était telle que dans ses souvenirs — et c’était peut-être ce qui la rendait plus étrange encore. Rien n’avait bougé. Les rideaux brodés. Les vieux livres sur la table basse. La grande armoire en bois noir qui renfermait des centaines de fioles, herbes séchées, racines noueuses et morceaux de pierres aux formes bizarres. Mais il y avait aussi… autre chose. Une tension dans l’air. Comme une vibration muette dans les murs. Alma s’arrêta dans le salon, posa ses sacs à ses pieds, et regarda autour d’elle. L’horloge était arrêtée, comme figée à l’instant de la mort de sa grand-mère. 2h46. Elle alluma le poêle à bois, ouvrit un peu les fenêtres malgré le froid, et monta à l’étage. La chambre d’Éleana était fermée. Elle hésita, puis posa la main sur la poignée. En ouvrant la porte, une odeur d’encens et de mousse séchée s’en dégagea. Rien n’avait été dérangé. Le lit était fait. Les livres de prières empilés. Une tasse vide sur la table de chevet. Et sur la commode, posée bien en évidence, une enveloppe à son nom. Alma. À lire seule. Ses doigts tremblèrent en la saisissant. Ma petite louve, Si tu lis ces lignes, c’est que je ne suis plus là. Mais tu es revenue, comme je l’avais toujours su. Il y a beaucoup de choses que je ne t’ai jamais dites. Pour te protéger. Pour ne pas réveiller trop tôt ce qui dort en toi. Tu porteras mes clefs. Tu ouvriras ce qui est scellé sous la maison. Et surtout, quand la lune sera pleine, ne dors pas seule. Le sang appelle le sang. Et le tien est ancien. Pardonne-moi, Éleana. Alma resta figée de longues secondes après avoir lu. Son regard se posa sur l’armoire, puis sur la trappe cachée dans le sol du couloir, celle qu’elle croyait être une cave ordinaire. Sous la maison. Qu’y avait-il sous la maison ? Le soir tomba sur Ravencroix comme un manteau sans promesse de chaleur. Les arbres, nus et dressés comme des sentinelles ossifiées, formaient une couronne de ténèbres autour du village. Alma alluma toutes les lampes à huile de la maison. L’électricité était instable, voire inexistante. Un luxe que sa grand-mère n’avait jamais vraiment accepté. Alors qu’elle s’apprêtait à descendre à la cave, un bruit attira son attention. Un grattement, tout près. Dehors. Elle s’approcha prudemment de la fenêtre et vit… un homme. Grand, vêtu d’un manteau sombre. Immobile au bord de la lisière. Elle ouvrit la porte à moitié, méfiante. — Qui êtes-vous ? appela-t-elle. L’homme ne bougea pas. — Vous êtes perdus ? ajouta-t-elle, plus fort. Il leva la tête. Ses yeux brillèrent étrangement, d’un éclat presque fauve, sous la lueur de la lune. — Tu es revenue, dit-il simplement. Ravencroix t’attendait. Puis il tourna les talons et disparut dans les bois, comme s’il n’avait jamais été là. Alma referma la porte à double tour. Plus tard dans la nuit, alors que le poêle réchauffait à peine les pièces, elle descendit enfin à la cave. Sous les vieilles marches, une autre porte, de fer cette fois, se dressait. Un symbole ancien était gravé dessus. Trois croissants de lune imbriqués. Elle utilisa la clé attachée à la lettre d’Éleana. L’air à l’intérieur était plus froid, plus ancien. Et il y avait des choses là-dessous. Des livres reliés de cuir, des bocaux scellés. Une grande malle en bois, verrouillée par trois serrures. Et un miroir ovale couvert d’un drap noir. Elle s’approcha du miroir. Et l’entendit. Une respiration. Derrière elle. Mais quand elle se retourna, il n’y avait rien. Cette nuit-là, Alma ne dormit pas. Et dehors, la lune montait. Rouge, ronde, anormalement proche. Comme si elle-même guettait son retour.Chapitre 34 : Les cendres de la victoire La mer d’Irlande, agitée par les dernières bourrasques de la tempête, berçait le bateau volé où Qetsiyah, Léandre, et leurs alliés s’étaient réfugiés après l’assaut dévastateur contre le Sanctuaire de l’Ordre des Veilleurs. La Louve du désert, comme on la surnommait, se tenait à la proue, le sel piquant ses blessures, son flanc entaillé et son bras empoisonné par l’argent, toujours douloureux sous son bandage. Les marques argentées de la Lignée d’Argent scintillaient faiblement sur sa peau, épuisées par la bataille, et le cristal luminescent dans sa poche pulsait à peine, comme si la louve en elle, après s’être déchaînée, s’était retirée dans un silence prudent. Léandre, allongé à l’arrière, luttait contre le poison d’argent, sa respiration faible mais stable grâce au contre-sérum. Leur lien, forgé dans le sang, les sacrifices et une affection indéniable, était une flamme vacillante mais inextinguible. Les clans, Crocs de Fer, Hurleurs de la
Chapitre 33 : Le prix de la victoire La tempête s’était apaisée sur les falaises d’Irlande, laissant un silence lourd, ponctué par le grondement lointain des vagues et les gémissements des loups blessés. Le Sanctuaire de l’Ordre des Veilleurs n’était plus qu’un amas de ruines fumantes, ses laboratoires détruits, ses Archontes vaincus, et l’Ombre d’Argent, l’oncle de Qetsiyah, enchaîné, à peine conscient. La Louve du désert, comme on la surnommait, se tenait au centre du chaos, son flanc saignant, la douleur de l’argent pulsant dans son bras. Les marques argentées de la Lignée d’Argent scintillaient faiblement sur sa peau, épuisées par la transformation totale qu’elle avait libérée pour vaincre les chasseurs. Le cristal luminescent dans sa poche vibrait doucement, un écho de la louve désormais apaisée, mais son cœur battait à tout rompre, non pour elle, mais pour Léandre. Il gisait contre un rocher, son épaule transpercée par la dague empoisonnée d’un Archonte, son visage pâle sous l
Chapitre 32 : La Louve déchaînée Les falaises d’Irlande, battues par une tempête rugissante, vibraient sous l’écho des explosions qui avaient secoué le Sanctuaire de l’Ordre des Veilleurs. La forteresse, partiellement en ruines, crachait des flammes et des fumées âcres, mais la bataille était loin d’être terminée. Qetsiyah, la Louve du désert, se tenait au bord de la falaise, son flanc saignant sous une entaille fraîche, la douleur de l’argent pulsant dans son bras et son corps. Les marques argentées de la Lignée d’Argent scintillaient sur sa peau, comme des éclairs dans la tempête, et le cristal luminescent dans sa poche brûlait presque, luttant pour contenir la louve qui hurlait en elle, prête à se libérer totalement. Léandre, à ses côtés, soutenait l’Ombre d’Argent, son oncle, démasqué mais à peine conscient, affaibli par le contre-sérum. Leur lien, forgé dans le sang et une affection indéniable, était une ancre, mais l’Ordre, blessé mais pas vaincu, lançait une contre-attaque fér
Chapitre 31 : Le cœur de la tempête Les falaises d’Irlande rugissaient sous la fureur d’une tempête, les éclairs illuminant le Sanctuaire de l’Ordre des Veilleurs, une forteresse de pierre noire nichée comme une cicatrice dans la roche. La pleine lune, voilée par des nuages tumultueux, amplifiait la puissance de Qetsiyah, la Louve du désert, dont les marques argentées scintillaient sur sa peau comme des flammes. La douleur de sa blessure à l’argent pulsait, mais le cristal luminescent dans sa poche canalisait la louve qui rugissait en elle, prête à se déchaîner. Léandre, à ses côtés, serrait sa lame, son regard brûlant d’une détermination farouche. Leur lien, forgé dans le sang, la confiance et une affection profonde, était leur ancre dans cette bataille finale. Les clans, Crocs de Fer, Hurleurs de la Côte, et loups libérés, se tenaient prêts, une trentaine de guerriers unis contre l’Ordre et l’Ombre d’Argent, dont l’ombre planait comme une menace imminente. Le registre, désormais e
Chapitre 30 : L’aube de la tempête L’Atlantique grondait sous un ciel plombé, ses vagues s’écrasant contre la coque rouillée du cargo qui transportait Qetsiyah, Léandre, et leurs alliés vers l’Europe. La Louve du désert, comme on surnommait Qetsiyah, se tenait à la proue, le vent salé fouettant son visage, attisant la douleur de sa blessure à l’argent qui pulsait sous son bandage. Les marques argentées de la Lignée d’Argent scintillaient sur sa peau, vibrant en écho à l’approche de la pleine lune, et de la bataille finale contre l’Ordre des Veilleurs au Sanctuaire. Le cristal luminescent dans sa poche pulsait doucement, un rempart fragile contre la louve qui rugissait en elle, prête à se déchaîner. Le registre, serré dans le sac de Léandre, contenait la clé de leur mission : la localisation du Sanctuaire, les plans du « Protocole Argent », et les indices pointant vers l’Ombre d’Argent, peut-être son oncle. Léandre, à ses côtés, scrutait l’horizon, sa lame rangée mais ses muscles ten
Chapitre 29 : Les ombres intérieures Le vent glacé de l’Atlantique sifflait à travers les planches disjointes d’un hangar abandonné sur la côte de Long Island, où Qetsiyah, Léandre et leurs alliés s’étaient réfugiés après leur victoire contre les chasseurs dans la clairière. La pleine lune approchait, marquant le délai de l’embuscade planifiée par l’Ordre des Veilleurs, et leur voyage imminent vers le Sanctuaire en Europe pesait comme une lame suspendue. La Louve du désert, comme on surnommait Qetsiyah, sentait son sang vibrer d’une tension croissante, amplifiée par la douleur persistante de sa blessure à l’argent et les marques argentées de la Lignée d’Argent qui scintillaient sur sa peau. Le cristal luminescent dans sa poche pulsait doucement, un rempart fragile contre la louve qui grondait en elle, mais ce soir, une autre bataille se profilait, non contre l’Ordre, mais contre les peurs et les doutes qui menaçaient de fissurer leur détermination. Léandre, assis près d’une fenêtre







