LéaIl tient ma main comme s’il craignait qu’on nous sépare à nouveau.Comme si franchir cette porte allait changer quelque chose entre nous.Peut-être que c’est le cas.Peut-être que ce rendez-vous est le seuil entre l’avant et l’après.L’hôpital est blanc, trop blanc.La lumière néon agresse les yeux.Les murs n’ont pas d’âme.Même l’air semble figé dans un silence médicalisé.Et cette odeur. Ce mélange âcre de désinfectant, de plastique stérile et de peur.Je la connais.Elle me rappelle des souvenirs que je préférerais oublier.Des veilles interminables, des annonces en demi-teinte, des corps fatigués.Nathan ne dit rien.
LéaIl dort encore.Mais ce n’est plus le même sommeil.Ce n’est plus cette fuite, cette fatigue d’avoir trop porté, trop encaissé.C’est un repos vrai. Un repos d’homme aimé.Et moi, je suis là.Je le regarde.Je grave chaque détail dans ma mémoire, comme si demain on pouvait me l’arracher.Il a ce souffle lent, profond, qui fait monter et descendre sa poitrine nue.Cette paix nouvelle qui flotte autour de lui comme un voile enfin posé.Je n’ose pas bouger, de peur de troubler ce calme.Mais à l’intérieur, ça remue.Je pense à tout ce qu’il ne dit pas.À tout ce qu’il a dû taire pour survivre.Aux silences qui creusent les â
LéaLe jour n’est pas encore levé.Le monde dort.Mais moi, je veille.Je veille sur lui.Sur son souffle, plus calme maintenant, presque paisible, comme si cette nuit avait délesté son corps de quelques fantômes.Sur sa main, toujours refermée sur la mienne, comme un instinct, une nécessité.Sur ce visage enfin détendu, ce front qui ne se plisse plus sous le poids du passé.Et surtout, je veille sur son cœur. Ce cœur cabossé, ce cœur recousu de l’intérieur, avec maladresse, avec douleur… mais qui, doucement, recommence à battre autrement.Je le regarde.Et je sais.Je sais que rien ne sera plus jamais comme avant.Je sais que cette nuit a tout changé.Pas seulement entre nous. En lui. En moi.Ce qu’on a fait, ce n’était pas un acte de chair.C’était un cri muet, une offrande.Un geste sacré.Une tentative de dire : « Je suis là. Je ne bouge pas. Tu peux t’appuyer. Tu peux t’effondrer. Je tiendrai. »Je frôle sa tempe du bout des doigts.Il frissonne.Léger tremblement, mais je le sen
LéaJe reste là. Mon front contre sa peau. Écouter. Ressentir. Être avec lui. Sentir battre ce cœur cabossé sous ma joue. Sentir le chaud de sa peau, son odeur mêlée à la mienne. Comme une réponse silencieuse à mon propre chaos.C’est étrange, la manière dont l’amour naît parfois dans les décombres. Il n’a pas besoin de fleurs, ni de lumière. Parfois, il pousse dans l’ombre. Dans la peine. Dans le silence. Et il devient tout.Puis je le sens frissonner légèrement. Un soupir s’échappe de sa gorge. Et je lève les yeux.— Tu veux que je m’éloigne ? chuchoté-je.Il ouvre lentement les paupières. Son regard me transperce
LéaIl n’y a plus de dehors, plus de temps.Plus de guerre, de douleurs, de barrières.Il n’y a que lui. Ce corps tendu contre le mien. Cette chaleur entre nous, qui grimpe, qui monte, qui devient besoin.Je le sens. Chaque frémissement. Chaque souffle retenu. Chaque désir tu.Et moi… moi, je ne veux plus taire le mien.Je n’en ai plus la force. Plus l’envie.Je le regarde. Il a les yeux ouverts maintenant. Deux éclats noirs, profonds, brûlants.Sa mâchoire est serrée. Ses bras figés. Mais ce n’est plus la peur.C’est autre chose. Un appel. Une faim.Je tends la main. Je la pose sur son ventre. Sa peau est chaude. Elle frémit sous mes doigts.Puis je descends. Lentement.Pas pour provoquer.Pour dire :
LéaQuand j’ouvre les yeux, le jour n’est pas encore tout à fait levé.Le monde respire à peine. Tout semble suspendu entre nuit et lumière, dans ce fragile instant où le silence a encore la douceur d’un rêve.La chambre est baignée d’un gris laiteux, un voile diffus qui glisse sur les murs, s’accroche aux draps, effleure sa peau nue.Et lui… il est là. Toujours.Sa silhouette allongée à mes côtés, son souffle lent qui soulève doucement sa poitrine. La couverture est légèrement rejetée, découvrant une épaule, le creux de sa gorge.Ses traits sont figés dans un calme trompeur. Trop figés. Sa mâchoire crispée trahit une tension qui ne dort pas.Je le sens. Je le
Nathan LevasseurJe ne dors pas.Le silence a changé de texture. Il n’est plus ce refuge de nuit, paisible et creux. Il est devenu opaque. Chargé. Chaque minute m’écrase un peu plus. Chaque battement de cœur est un rappel que la colère n’est pas partie. Elle est juste rentrée s’enfermer à l’intérieur, dans ce coin sombre où je range ce que je n’ai pas le droit d’exprimer.Ce poison-là, je le connais. Il coule lentement. Il s’insinue. Et parfois, il me fait douter de tout. Même d’elle.Mais ce soir… ce soir, il y a eu autre chose.Je repense à Sophia. À ses mots. À cette manière qu’elle a de sourire avec ses crocs sous les lèvres. Elle ne parle jamais directement. Elle murmure à l’intérieur des gens. Elle s’infiltre là où ça fait mal. C’est sa spécialité. Elle n’a pas besoin de crier pour détruire.Et pourtant, elle a perdu.Parce que Léa s’est levée.Parce qu’elle a traversé cette salle comme on traverse une tempête, sans plier. Et qu’elle a dit ce que moi, je n’avais plus la force de
Nathan LevasseurJe pensais que c’était fini.Je pensais que le pire avait déjà eu lieu. Que la douleur de la première fois, ce moment où nos regards s’étaient croisés, suffirait à solder le passé. Mais certaines blessures ont des échos. Certaines morsures ne s’infectent qu’après coup.Et ce soir, je sens le poison se répandre.La réception se tient dans une salle voisine, attenante à l’église, et tout y transpire l’excès de bon goût : moulures dorées, fresques restaurées, bouquets blancs figés dans leurs vases de cristal.Les lustres lancent leurs éclats froids sur les visages poudrés, les regards polis, les sourires de circonstance. C’est une pièce construite pour l’illusio
Nathan LevasseurJe ne voulais pas y aller.J’ai protesté, grogné, repoussé l’idée jusqu’à la dernière minute. Mais cette cérémonie… — C’est pour Marc. Un frère d’armes. Un type droit, solide, loyal jusqu’au bout. Et même si je suis hors service, même si je suis brisé, même si je déteste ce que je suis devenu, je ne peux pas lui tourner le dos. Pas à lui. Pas à ce qu’on a partagé.Alors je me laisse faire.Léa m’aide à enfiler ma veste. Elle le fait sans un mot, avec cette douceur discrète qui n’exige rien, ne juge rien. Costume noir. Chemise boutonnée jusqu’en haut. Cravate nouée avec une patience infinie. Elle ajuste mon col, rabat un pli invisible, vérifie les manches. Je sens ses doi