F avait tout fait pour qu’il n’y ait pas treize personnes à la réunion. Il avait placé beaucoup d’espoir dans ce rendez-vous et voulait que tout soit parfaitement propre à une discussion saine et fructueuse. Aussi, lorsqu’il constata qu’il avait convié douze de ses congénères, il s’empressa d’ajouter deux invitations. C’est à cette soudaine phobie numérique qu’il songeait, face à la baie vitrée de sa tour, les yeux irrémédiablement fixés sur la Haute-Ville. Pas au déroulement de la réunion ni aux prises de bec qui allaient nécessairement se déclencher. Non. Juste le nombre 13. Et il était incapable de fournir la moindre explication à cela.C’était une première depuis sa prise de pouvoir. D’ordinaire, il consultait les leaders d’opinion de tous poils un par un, voire par petits groupes de trois ou quatre. Aujourd’hui, il avait convoqué quatorze des plus influents Martyrs. Et l’affaire faisait grand bruit, il le savait. Les rumeurs évoquaient un passage de témoin, une alliance à v
—Tou… ché… saoulé… Touché-saoulé!Gaël riait bruyamment. Que ce soit en raison du ridicule de sa situation, du nom du bar ou de sa soudaine dyslexie, une chose était sûre: l’alcool y jouait une grande part.Trois jours avaient passé depuis l’enterrement de Lili, depuis la dispute avec Moussa, depuis le message du tribunal… Trois jours et des litres d’alcool s’étaient écoulés, et il ne se souvenait même pas où il avait bien pu passer tout ce temps. Dans des bars, évidemment, mais pas seulement. Des bribes, des flashes revenaient à l’occasion. Il devait bien avoir dormi quelque part? Il devait bien avoir dormi…À force de réfléchir à ces 72 heures de blackout, Gaël n’eut plus du tout envie de rire. Il était assis par terre, sur le trottoir, à se gratter la tête comme un vulgaire alcoolique.Soudain, un rayon de soleil perça entre deux immeubles et vint l’aveugler. Il chercha piteusement du regard une pendule et découvrit qu’il était 8 h
Ce n’était pourtant pas son genre, mais Victor fut à deux doigts de s’assoupir dans la voiture qui le ramenait chez lui. Quelle journée abominable! En quelques heures à peine, il avait dû affronter Han Jin, convaincre des dizaines de membres de la Chambre du bien-fondé du projet de mur enfermant les Martyrs et faire face aux faux regards de sollicitude accompagnant les récentes morts de son père et de sa sœur. En somme, il avait dû jouer à tour de rôle au politicien roublard, au fils et frère éploré et à l’imbécile fini. N’importe qui serait épuisé après pareille comédie, mais pas Victor Dubuisson. Il décida qu’il resterait en forme. Ainsi allait-il s’efforcer d’être, l’esprit commandant au corps constamment, sans quoi il lui serait impossible de concilier ses ambitions et son bien-être.Au bout d’une ligne droite, le véhicule pénétra sur la Place de la Justice. Au milieu se trouvait toujours l’estrade sur laquelle le Chef de la Chambre des Familles prononçait la sentence
Le soleil… Ce putain de soleil qui n’avait eu de cesse de lui pourrir ses matinées depuis trois jours… Il faut dire qu’il était bête, aussi, de ne jamais penser à fermer ses volets quand il buvait trop. Et comme c’était le cas tous les soirs depuis quelques jours…Gaël jura une fois de plus et se leva, tant bien que mal. Il fit deux pas vers le miroir accroché à son mur verdâtre et gémit à son propre reflet. Cela faisait presque une semaine qu’il noyait dans l’alcool son chagrin, son mal-être et son rejet de tout ce qui était, avait été et serait encore. Paradoxalement, il ne se sentait pas proche du suicide. Il avait considéré l’éventualité, mais l’avait vite rejetée. Sans doute par curiosité. Une fois qu’on a tout perdu, qu’est-ce que le destin invente pour vous tourmenter un peu plus encore?Il enfila un t-shirt et se dirigea mécaniquement vers la machine à café, sa potion magique. Encore une journée pénible en perspective. À boire, regarder la télé, laisser Hi-N
Lorsque Gaël lui ouvrit la porte, Maria ressentit une profonde déception de le voir si mal en point. Elle n’espérait certes pas le voir parfaitement rétabli–l’alcool, le manque d’hygiène et le désordre ne prêtaient pas à l’optimisme. Il l’avait appelée après trois jours de silence et elle pensait qu’il voulait évoquer ce qu’il s’était passé entre eux. Mais son coup de fil était évasif et elle constatait qu’il avait le regard particulièrement noir. Quelle qu’elle soit, la raison de son appel ne pouvait pas être bonne.Gaël la salua rapidement d’un geste de la main et l’invita à s’asseoir dans le salon. Aucune effusion de sentiment, aucun signe de l’épisode passé. Si Maria cherchait à savoir où cela les avait menés, elle était fixée.—Je vois que tu soignes ton régime alimentaire, plaisanta Maria en pointant les bouteilles d’alcool vides réparties aux quatre coins de la pièce.—Oui, faut croire que j’ai très soif, répondit-il sans sourire, san
—Mesdames, Messieurs, membres de la Chambre des Familles réunis ici, veuillez observer attention et force de jugement lors de cette session.—Dans l’esprit de Menel Ara.Une des réunions les plus importantes de l’histoire de Menel Ara s’ouvrait sous le regard agacé de la quasi-totalité des membres de la Chambre des Familles. Seul un homme, assis dans un coin en haut de l’amphithéâtre, jubilait intérieurement et priait pour que les rares éléments qu’il avait laissés au hasard se passent comme prévu. Lui seul appréhendait cet instant avec excitation, lorsque ses congénères souhaitaient uniquement regagner leurs pénates et dormir. Oui, seul Victor Dubuisson savait à quel point cette session était importante et combien elle allait marquer l’histoire de la Chambre des Familles. Et probablement de tout Menel Ara…—Chers membres de la Chambre, chers amis, déclara Komniev de son pupitre, je m’excuse platement de vous convoquer une nouvelle fois si tard, m
—J’ai parlé à Youri Komniev. La situation va s’arranger, je te le promets.Suryena ne pensait pas un mot de ce qu’il disait. Mais Delta avait besoin d’être rassuré. La capture d’Alpha l’avait totalement bouleversé, tout comme elle avait bouleversé les projets de Suryena. Mais le mal était fait: les Putras ne seraient plus considérés comme une secte inoffensive, lui-même n’était plus en sécurité au sein du Grand Palais et son plus fidèle lieutenant n’était plus que l’ombre de lui-même depuis que son fils croupissait, à quelques centaines de mètres de là, dans la prison de haute sécurité de la Haute-Ville.Non, Suryena ne pensait pas un mot de ce qu’il disait et, à la vérité, il avait bien d’autres soucis que la perte d’un de ses éléments, si fidèle fût-il. De toute évidence, Alpha allait être exécuté sur la Place de la Justice et ni lui ni son père n’y pourraient grand-chose. Évoquer Komniev dans la discussion rassurerait sans doute son lieutenant, mais c’était
Le 3 décembre 2078, la Chambre des Familles de Menel Ara fut bouleversée par la révélation de son infiltration par un Putra. Cette même nuit, la Chambre des Familles, réunie en session extraordinaire, avait également adopté le projet fou de construction d’un mur pour isoler les Martyrs dans leur territoire. L’ancien aéroport de Simake allait bientôt être cloisonné et une zone sécurisée permettrait de protéger les habitants de la Basse-Ville. L’édifice était d’ailleurs au milieu de toutes les discussions et chacun le décrivait comme «Le Mur». La zone franche, elle, était surnommée «le Non-Droit», en référence à l’impossibilité d’y mettre un pied.Un mois avait passé depuis cette nuit, et le chantier avançait extrêmement vite. Ainsi l’avait voulu James Brandon, trop inquiet pour la sécurité des ouvriers. Ceux-ci, payés une fortune, avaient dû être dotés de primes de risques colossales. Or, après une dizaine de jours de travaux, les Martyrs ne s’étaient pas