Menel Ara était en guerre. Quiconque aimait cette cité devait éprouver une tristesse profonde. Mais quiconque la connaissait savait que c’était inéluctable.Moussa appartenait à ces deux catégories. Comme trop de Menelarites, il avait un espoir naïf au fond de lui qui l’empêchait de tout abandonner et de quitter la cité. Même ce jour. Ce jour où, en se réveillant, il apprit que les Martyrs avaient pris le Mur censé les contenir. Ce jour où il découvrit que, quasiment au même moment, les forces de sécurité avaient essuyé une cuisante défaite en tentant de forcer l’entrée du Grand Temple.Oui, Menel Ara était en guerre. Dans la Haute-Ville, pour une raison inconnue, les Putras et la Chambre se livraient un combat a priori déséquilibré. Et dans la Basse-Ville, les Martyrs se faisaient plus menaçants et rien n’indiquait qu’ils allaient s’arrêter en si bon chemin.Au milieu de tout ça, une écrasante majorité de Menelarites était coincée entre deux feux. Certains parlaie
Pour la deuxième nuit consécutive, Youri Komniev ne dormit pas. Ou très peu. La journée qui s’était achevée avait été la pire qu’il ait vécu à la tête de la Chambre. En quelques heures à peine, ses forces de sécurité avaient pris deux raclées et il avait dû refuser autant de démissions de son chef de la sécurité.Et voilà que, assis dans sa cuisine devant une tasse de café, le vieux politicien se demandait qui avaient bien pu être les victimes de la nuit. «Payer double» avait dit Delta. Deux morts. Et son fils dormait paisiblement…Il ne pouvait décemment pas rester les bras croisés, mais l’impuissance le gagnait. De fait, Menel Ara, sa cité, celle dont il avait la responsabilité, était en guerre. Cette simple situation l’avait poussé à faire, la nuit précédente, ce qu’il s’était juré de ne jamais faire: demander de l’aide aux forces internationales.Menel Ara avait un statut extrêmement marginal aux yeux des autres États. Depuis la prise de contr
Il avait beau vérifier et revérifier, les chiffres étaient corrects: La Vigie avait vu ses ventes se multiplier par six depuis son rachat. Malgré son sens aigu de l’anticipation, Victor ne s’attendait pas à un tel succès. Désormais, en considérant qu’un même exemplaire du journal était lu par deux ou trois personnes différentes, près des deux tiers de Menel Ara avaient accès à sa chronique. C’était énorme, colossal, d’immenses responsabilités. Et tellement stimulant à la fois.Ses dernières proses s’étaient axées autour du chantage élevé au rang d’art par Youri Komniev. Il y avait raconté, parfois en détail, les dossiers que le chef de la Chambre gardait sur ses semblables. Ibn Bassir avait adoré. Le directeur de journal qu’il était se payait le luxe d’avoir pour fan numéro un son rédacteur en chef. Leurs relations avaient d’abord été professionnelles, puis presque amicales, et désormais, il avait l’impression d’être une sorte d’idole, ou de superstar aux yeux d’Ibn Bassir
—J’ai de plus en plus de mal à justifier la situation.—Ne vous inquiétez pas, Maître. Les jours qui viennent vous donneront raison. Faites-moi confiance.—Je ne fais que ça…Delta soupira profondément. Il vivait très mal le blocus imposé par la Chambre et encore plus les méthodes qu’Ys utilisait pour en sortir. Mais leur efficacité était indiscutable. Alors il fermait les yeux, parlait quotidiennement aux innombrables Putras rassemblés dans le temple et laissait Ys faire ce qu’il voulait. Il n’avait pas les arguments pour s’opposer à lui.—Maître, je sais que tout ceci vous pèse. Vous avez été élu dans une période extrêmement particulière et difficile. Mais vous devez être courageux. Les jours meilleurs arrivent.Ys dégageait une confiance en lui inébranlable. Il n’y avait aucun doute dans son esprit quant à la victoire des Putras dans leur lutte contre la Chambre.—Comment peux-tu être aussi sûr de toi alors que
Réveillé en sursaut, Victor regarda l’heure. Un peu plus de 3 heures du matin. Il se frotta les yeux et chercha d’où venait ce bruit qui avait osé le tirer de son sommeil. L’Hi-Nan. D’un geste vif, il attrapa le petit appareil et l’ouvrit:—Monsieur Dubuisson?—Lui-même, répondit-il d’une voix molle.—Ici Kanda Loomi, des pompiers de Menel Ara. Je suis désolé de vous déranger à cette heure…—Que se passe-t-il? demanda Victor, retrouvant sa vigueur.—Les locaux de La Vigie ont été la cible d’un attentat à la bombe, il y a une demi-heure environ. Je suis désolé, Monsieur, mais il ne reste plus grand-chose. Le bâtiment a été soufflé par l’explosion. —Très bien, j’arrive tout de suite.Victor referma son écran et se leva rapidement. Après s’être habillé en toute hâte, il prit un taxi et indiqua la direction au chauffeur, la voix hésitante. Un attentat à la bombe. Les Martyrs, forcément.
James Brandon était assis dans son bureau et lisait un énième rapport sans intérêt sur une énième attaque infructueuse contre la Zone sécurisée.Depuis deux jours, c’était devenu son rôle exclusif: constater les dégâts causés par les Martyrs et les mutins de la Basse-Ville, et s’efforcer de trouver un moyen d’éviter l’inévitable. Il pouvait toujours compter sur une puissance de renseignement considérable. Mais à quoi bon? Quel intérêt de connaître les desseins de son ennemi si on ne peut rien faire pour le contrer? Les Martyrs avaient dû deviner l’état des défenses de la cité en prenant le Mur. Peut-être subsistait-il encore un doute dans l’esprit de F et ses lieutenants, mais les escarmouches qu’ils lançaient régulièrement pour sonder les défenses de la Zone sécurisée affaiblissaient bien plus que prévu ses propres troupes. Il avait plaidé, encore et encore, auprès de la Chambre pour obtenir des hommes en renfort. Mais la sécurité de la Haute-Ville l’avait tou
En deux jours, alors que chaque seconde paraissait une heure, la face de Menel Ara a considérablement changé. Et dans deux jours, elle sera probablement bouleversée à nouveau. Il faut le voir pour le croire. Jamais je n’aurais cru assister de mon vivant à la déliquescence de Menel Ara. Tout le monde a perdu la raison: les Putras se battent, les Martyrs se retournent contre le peuple, ce dernier se bat avec un ancien membre de la Chambre pour leader… Au milieu de tout cela, peut-être 150000 Menelarites sont otages de cette guerre civile. La Chambre, les Familles… Le pouvoir en place fait tout son possible pour empêcher la Zone sécurisée de céder. Mais ce n’est qu’une question de jours avant que la force du nombre ne l’emporte. Le plus curieux dans l’évolution de la situation est qu’avec du recul, tout ceci paraît inéluctable. Les Sept Familles n’auraient jamais cru avoir à faire face à un tel déchaînement de violence. Toute négociation préalable aurait donc été vaine
Catherine Saulte regardait le ciel. Depuis l’éprouvante session de la Chambre où Komniev les avait mis au courant de la menace terrible que les Putras faisaient peser sur eux, elle n’avait pas quitté sa maison. Celle, fût un temps, qu’elle avait partagé avec l’homme qu’elle aimait… Comme les choses changeaient vite. Voilà qu’elle était tétanisée à l’idée de sortir de chez elle, la grande Catherine Saulte qui s’était rêvée fine politicienne. Elle n’en avait ni le courage ni l’étoffe, et cela peut-être plus que le reste, était très difficile à accepter.Les Phillips, eux, étaient partis. Elle ne savait pas quand. On ne l’avait pas prévenue. Son éducation de femme menelarite la poussait à ne pas investir la luxueuse bâtisse de sa pseudo famille par alliance, mais à rester dans son petit pavillon. Elle avait tout fait, tout essayé pour leur complaire. Mais ils ne voyaient à travers elle que le cadavre de leur fils et il leur était impossible de l’accepter. Sans famille, sans ami, sa