Chapitre XVCes hommes qui voulaient décrocher les étoilesLa barque glissait sans bruit sous la Branche de Palwite, propulsée de mains fermes par les quatre rameurs. Les mousses accrochées sur l’écorce à quelques coudées seulement de l’embarcation se fondaient en une masse d’un noir profond qui tranchait avec l’obscurité bleutée de la nuit. Les bords du Rameaux dessinaient deux lignes bleu marine, deux horizons suspendus au-dessus des têtes des quatre guerriers. Machinalement, Nisfyl avait dénoué le col de sa chemise tandis que ses respirations se faisaient plus amples. Naviguer sous une Branche donnait cette impression désagréable que procure un plafond trop bas. L’appréhension irrationnelle de voir brusquement chuter le Rameau s’insinue en nous et persiste malgré les efforts de notre raison pour chasser cette illusion.Vänesine ne se souciait pas de l’Arbre-Mère, si près pourtant qu’il aurait pu en effle
Chapitre XVICeux qui décidentImolien tournoyait autour de moi comme un papillon intrigué. L’image peut paraître étrange lorsque l’on sait que le Monde Intermédiaire est dépourvu d’espace et que le temps y suit un cours tantôt lancinant, tantôt tumultueux. Les pensées et les sentiments s’y matérialisent pourtant, au point de les voir et de les toucher. Ainsi, son esprit virevoltait pour m’observer sous tous les angles, fouiner derrière mes ambitions, puis creuser mes blessures cachées sans la moindre pudeur.Une biche qui n’a jamais connu de prédateur ignore la fuite. Il en allait de même pour moi qui n’avais jamais subi ce genre d’agression dans ce monde où jusqu’alors, j’étais seule résidente. Imolien pillait mon âme sans que je puisse lui résister, un jeu si facile qu’il finit par se lasser. Par déception plus que par compassion, il rendit son verdict qui, malgré le ton désabusé un brin condescendant, m
Chapitre XVIILes six chevaliersNous arrivâmes en vue de Jivude au bout d’une semaine et demie de voyage. La cité n’avait guère changé depuis mon départ : une ville basse aux toits d’ardoise, cerclée de murailles, entourait la citadelle du Seigneur Suwamon, protégée derrière sa seconde et troisième ligne de remparts. Le plus frappant pour l’étranger nouvellement arrivé, étaient les mille colonnes de fumée qui s’élevaient chacune d’une cheminée. Le phénomène impressionnait surtout en hiver ou comme ce jour-là, par un printemps rigoureux. Jivude méritait son surnom de cité rebelle, la seule qui tolérait l’usage de l’Incandescent en l’absence de prêtre pour le surveiller. Une hérésie qui en agaçait plus d’un jusque dans les Îles des Vents.L’Insaisissable s’amarra dans le port de Jivude, aux côtés d’immenses galères et de navires aux voiles repliées, pareils aux cygnes majestueux nageant sur un lac tranquille
Chapitre XVIIIChasse à l’hommeImolien Nevalöd se terrait dans une cabane isolée au milieu de pâturages montagnards. Usant du regard de l’Arbre-Mère, je le surprenais en plein repas et le voyais terminer un fromage affiné de plusieurs mois, sans soupçonner être épié par sa rivale. Nous étions si près l’un de l’autre que j’aurais pu lui trancher la gorge d’un simple geste si toutefois mon corps avait accompagné mon âme par-delà les Branches.La bâtisse de berger ne possédait qu’un lit, la paille encore déformée par la nuit passée. Chaque recoin de la baraque portait l’empreinte de son occupant, là de la viande en train de sécher, ici des outils bien affûtés. Les rares affaires d’Imolien s’entassaient à côté du sommier, à peine déballées, une immense claymore à portée de main contre le mur, la lame rangée dans son fourreau. Le Muwide habitait les murs depuis plusieurs semaines mais se tenait prêt au départ à
Chapitre XIXLe chant du BourgeonVänesine et Tilysëd ouvraient la marche à un rythme soutenu, débroussaillant le chemin à grands coups de fauchons. Les Aërlydes nous devançaient d’une journée dans la poursuite d’Imolien, curieuse course où proies et chasseurs se confondaient, pressés d’en découdre. Nortenam surveillait nos arrières sans perdre une miette des explications que je donnais à Törize, Nisfyl et Tobiane restés au centre.— Contrairement à ce que nous avions toujours cru, mon frère Inasu-Nöwemon n’est pas un enfant chéri. Sans doute Eseï l’a-t-il espéré lorsqu’il l’a pris sous son aile, hélas mon jumeau n’a pas hérité de mon don. Du moins, pas dans sa totalité. Sa sensibilité envers l’Arbre-Mère dépasse celle d’un être humain ordinaire. Je pense qu’il entend les Sèves à sa manière et qu’il possède des pouvoirs supérieurs à ceux des chamans. En particulier, il lui est tout à fait possible de me ble
Chapitre XXLe mur du crépusculeLorsque nous arrivâmes au pied de la grotte d’Imolien, le sous-bois ne résonnait plus que des chants de rossignols et de l’appel lointain d’un coucou. Des entailles dans les troncs d’arbres, des flèches brisées et des éclaboussures sanguinolentes éparpillées de-ci de-là témoignaient d’un affrontement récent, mais aucune ombre de combattants. Nous dûmes nous pencher par-dessus un ravin pour découvrir le premier cadavre d’un fantassin aër, l’un des rares abandonnés sur place. Un examen attentif nous apprit en effet que plusieurs corps, des morts ou des blessés, avaient été emportés au moment du départ des Éthérés.Alors que nous cherchions le reste de notre équipe, Vänesine tomba sur nous en courant, une gourde à la main. Il manqua de nous percuter, s’excusa en un mot et s’engouffra dans la grotte sans plus de formalité. Nous le suivîmes, inquiets de son empressement, et décou
Chapitre XXIAu cœur de la nuitNous chevauchions en silence depuis le matin, nos sens en éveil et la garde de nos épées à portée de main. Le crépuscule avait succédé à l’aube sitôt franchie l’orée de la forêt enténébrée où les éclats du soleil mouraient en halos blafards d’un bleu presque noir. Les limbes des feuilles-miroirs, autrefois fiers et étincelants comme autant d’étoiles rayonnantes en plein jour, se paraient ici d’une peau rachitique et fripée de vieillard, tachetée d’innombrables auréoles ocre laissées par l’Asiwitil, la maladie cause de leur déclin. Privés de ces réflecteurs indispensables à leur survie, les grands arbres mouraient feuille après feuille, ne laissant que des troncs en guise de sépulcres. Des arbrisseaux vivotant veillaient leurs dépouilles sans se soucier du drap de mousse et de lichen qui les enveloppaient lentement. Une odeur de pourriture accompagnait l’ensemble du tableau. Les miasmes ambiants infil
Chapitre XXIILe pont au-dessus de l’abîmeLe doigt de Tilysëd effleura le dos de ma main, déchaînant dans son sillage une tempête de sentiments confus qui paralysa mon cerveau le quart de seconde que dura le contact. Un bête jeu du hasard dû au dodelinement de nos renards tandis que nous chevauchions côte à côte. Un incident sans conséquence s’il ne s’était suivi d’un réflexe maladroit du jeune homme, une hardiesse qui frappa de tétanie le palpitant emprisonné dans ma poitrine. Du bout des doigts, Tilysëd pinça mon auriculaire sans vouloir le lâcher, dans une minuscule étreinte enflammée.Depuis quatre bonnes heures, nous remontions la sente sans une alerte et nos sens commençaient à s’émousser. Nous oubliions peu à peu où nous nous trouvions et reprenions les habitudes d’une banale patrouille, bavardant au gré de nos envies, un œil distrait aux menaces alentour. Tilysëd se glissa à mes côtés, l’occasion d