Chapitre XXVIIIOsukateïL’été chauffait les murailles de Jivude lorsque nous revînmes de notre expédition, victorieux certes, mais débiteurs du Seigneur Suwamon qui, s’il ne le savait pas encore, ne reverrait plus son aîné, offert en tribut à notre quête insensée. Nous avions eu tout le chemin du retour pour ruminer la légitimité du prix payé. Je doutais pour ma part qu’il fut à ce point justifié.Avant le départ de la grotte de la déesse nous avions récupéré le corps de Nisfyl, ramené par le Sans-Visage Nëjose, ainsi que ceux des Aërlydes restés dans l’antichambre d’Okateï. Alignés aux côtés de ceux de Nortenam et de mon frère sur le pont de la galère empruntée à nos captifs, eux aussi du voyage quoique logés aux cachots, les visages cireux des défunts questionnèrent des jours durant notre conscience, tantôt pour l’apaiser et nous convaincre que nous avions agi au mieux, tantôt pour aviver nos remords. Le
PRÉFACEJ’écrivais dans la préface du premier opus qu’ « Osukateï - L’Âme de l’Arbre-Mère est une énigme. Puisqu’on apprend dès les premières pages du roman, dès le résumé en quatrième de couverture même que l’Arbre-Mère porte le nom d’Okateï. » Le voile se lève ici sur ce primo mystère...Tandis que dans le premier tome, l’univers se pose dans toute sa richesse, les énigmes s’installent et l’action se lance. Ici tout est en place. L’aventure commence véritablement… et au grand galop ! Luwise va plus loin dans sa quête d’identité, dépasse les frontières imaginables. Car Geoffrey Legrand nous emmène ici au-delà du possible. On franchit au gré de sa plume les plus sombres interdits. On plonge au cœur de destinations d’où personne ne revient jamais et on va plus loin dans l’épaisseur de l’univers de cet auteur de talent. Il y a le monde physique, la mythologie, le cadre spirituel et l’impalpable qui nous absorbe inévitablement. Un roman
Chapitre IAncêtres et descendantsPartir de rien est effrayant. Nulle ligne pour nous guider, nul canevas sur lequel s’appuyer, rien d’autre qu’une lointaine vision. Cette impression angoissante s’empara de moi le jour où j’héritai du trône de Folivröde, un territoire vierge plein de promesses sur lequel j’apposerai ma marque pour les siècles à venir. J’avais l’essentiel à ma disposition : l’écorce fertile où germeraient les graines des futurs champs et forêts, le soutien des ancêtres dont les hommes et les richesses fortifieraient le royaume nubile, l’appui de mon peuple, colons déterminés à construire un avenir sur cette terre sans passé. Ne manquaient plus que mes directives.La plus évidente fut de protéger le bourgeon de succession en le scellant dans une chambre à la base d’un donjon. La première pierre du château, mon château ! Il en allait de la sécurité de l’ensemble de la Lignée. La tour fut élev
Chapitre IILa guerre conjugaleUne dizaine d’hommes amarrèrent le vaisseau dans la crique de Folivröde tandis qu’une barque volante était apprêtée pour débarquer l’équipage. Faute d’un éperon et d’un port digne de ce nom, loin d’être la priorité du jeune royaume, accoster en ces lieux offrait donc toujours un spectacle épique. Nous observions la manœuvre depuis le donjon avec amertume. Parmi ces nouveaux arrivants se trouvait Olien Shifunada, mon promis.— D’après toi, lequel est-ce ? demanda Vänesine à Nisfyl. Je parierais sur le bouffi.— Les Sages de la Dixième Branche n’auraient pas osé. Cet Olien sera le représentant de leur Lignée, il doit avoir une certaine allure.— Dommage, j’aurais pris un malin plaisir à railler un roitelet disgracieux.— Je te promets mille raisons de le moquer, assurai-je. En attendant, allons les accue
Chapitre IIILes ambassadeurs aërsAu printemps suivant, la campagne de Folivröde se para d’une robe verdoyante constellée de touches jaunes et blanches. Ces prés masquaient sous une fine couche de sol l’écorce de la Branche, fragile ouvrage de la nature qu’un seul troupeau aurait suffi à anéantir ; l’agriculture demeurait un lointain rêve. Néanmoins chaque matin, je montais en haut du donjon malgré le froid de l’hiver qui tardait à s’éloigner et me prenais à rêver en admirant la beauté de mon domaine, les joues caressées par le vent.À l’ouest, le rideau diaphane de la cascade nourrissait un nuage emporté par la brise vers l’océan des vents. Des collines, visibles à travers l’arche de teck, bloquaient l’horizon en direction de Palwite, horizon où se perdait le jeune sentier serpentant entre les monts et les vallons, fine trace qui me ramenait en rêverie vers la cité de mon père. Vers l’orient, la pointe du
Chapitre IVLa menace sous nos piedsSärkor naquit au sixième jour du mois de Floraison. Ce fut une grande fête à travers la cité durant laquelle Nisfyl oublia son rang l’espace d’une journée. La mère et l’enfant se portaient à merveille, le bébé paraissait robuste comme son père, sans se départir du charme de Lujin. Nisfyl louait sans cesse les mérites de son fils dont le seul talent tenait dans la puissance de son braillement.— Avec un tel organe, lança Vänesine, il repoussera n’importe quelle armée.Son ami prit la pique pour un compliment et enlaça l’archer jusqu’à l’étouffer. Cette effusion eut un effet secondaire : Vänesine ne taquina plus jamais Nisfyl au sujet de son fils.Särkor appartenait à la première génération née sur le sol de Folivröde. Le palais s’emplissait depuis le début du printemps de pleurs d’enfants qui, malgré leur côté insupp
Chapitre VLe testament de Luwaly— Voici la lettre.La jeune fille me tendit le document que je parcourus rapidement. Les caractères étaient courbés sous une écriture pressée, les traits s’étiraient plus que nécessaire et les points étaient parfois à peine marqués. Par endroits, la plume avait frôlé le papier avant de continuer sa course effrénée, ne laissant qu’une griffe noire à peine visible. La tension de la rédaction transpirait à travers l’encre, la seule vue du texte donnait le frisson. Je n’avais pas encore lu le contenu que je reposai la feuille.Comme je relevai les yeux vers la visiteuse, son visage me troubla. La ressemblance frappante ramenait à la surface de vieux souvenirs encore douloureux.— C’est bien l’écriture de votre sœur. Les derniers mots de Luwaly…Je tendis un litayel, un sabre de bois, à
Chapitre VIL’anniversaire de FolivrödeNous approchions du mois de Labour. Les travaux du temple du longicorne prenaient des retards chargés d’accidents tragiques, des complications qui entretenaient le doute sur la faisabilité d’une construction suspendue au-dessus du vide. Heureusement arrivait un évènement festif à même de balayer le pessimisme ambiant : le premier anniversaire de Folivröde.Une foire avait été montée en bordure de la ville où ménestrels et gitans rivalisaient pour divertir les colons en échange de quelques tuiles de palissandre. Bière et hypocras coulaient à profusion dans des échoppes de toiles bondées de clients venus parfois de Tilsabily, la cité en amont de Palwite à plus d’une semaine de voyage. Les servantes encombrées de plateaux débordant de victuailles offraient un spectacle de contorsionnistes dont les prouesses n’avaient rien à envier aux saltimbanques. Les festivités étaien