ELINALa salle est pleine.Ils m’attendaient.Ils font semblant d’être surpris, mais leurs postures parlent pour eux : ils savaient que je viendrais. Que je n’aurais pas le choix. Que je ne pourrais pas me terrer éternellement dans l’aile d’Aiden à écouter le monde trembler de l’autre côté des murs.La lumière tombe d’en haut, froide, tranchante. Elle n’éclaire pas.Elle expose.Elle dissèque.Les anciens sont déjà installés. En cercle.Le cercle du Conseil. L’arène voilée de respectabilité où se jouent les exécutions politiques.Des visages ridés, figés dans des expressions de gravité calculée. Des générations d’alliances, de pactes, de trahisons. Ils me regardent comme un artefact dangereux qu’on a extrait trop tôt d’une ruine interdite. Une anomalie qui marche, parle et les oblige à se souvenir de ce qu’ils ont voulu oublier.Aiden est à mes côtés.Il voulait parler en premier.J’ai refusé.C’est à moi.C’est ma guerre.Je pénètre dans le cercle sans saluer.Et je reste debout.Dro
ELINALa nuit m’a refusé le sommeil.Je suis restée là, éveillée, le cœur battant trop lentement, comme s’il n’était plus tout à fait humain. Comme si mon corps hésitait encore à me reconnaître.Aiden dort. Pour de vrai, cette fois. Son souffle est paisible. Il rêve, je crois. J’espère qu’il rêve d’avant. D’un monde où rien de tout cela ne pesait encore sur nos épaules.Moi, je me lève.Et je sors.Pas pour fuir.Pour chercher.Quelque chose me tire. Pas une voix. Pas une pensée. Un instinct. Un souvenir qui ne m’appartient pas vraiment, mais qui pulse en moi, comme un deuxième battement de cœur. Une mémoire souterraine.Je longe les couloirs silencieux, ceux qu’on ne montre pas aux visiteurs. J’effleure les murs d’une main distraite, sentant sous la pierre les failles oubliées, les vibrations anciennes.Je descends.Toujours plus bas.Un escalier dérobé derrière une tenture. Une porte masquée par une armoire qu’on a poussée un peu trop soigneusement. Des marches glissantes, humides,
ELINALe palais m’étouffe.Pas par sa grandeur.Par ce qu’il contient.Par ce qu’il retient.Les murs résonnent de pas étouffés, de murmures étirés, de silences trop pleins. Tout est propre ici, glacé, poli. Tout est pensé pour dissimuler les tempêtes.Mais moi, je suis la tempête.Et je saigne encore.Mes jambes fléchissent à peine le seuil franchi. Aiden m’attrape sans mot dire. Il ne me porte pas, pas vraiment. Il me soutient. Comme si me soulever était m’insulter. Comme si me lâcher était me trahir.Il marche avec lenteur, malgré la tension dans ses épaules. Chaque centimètre de ce palais est surveillé. Les serviteurs, les gardes, les conseillers tapis dans les ombres. Ils nous regardent passer avec une crainte qu’ils ne prennent même plus la peine de masquer.Mais ce n’est pas moi qu’ils craignent.C’est ce que je suis devenue.Et au fond de moi, je le sais : ce n’est que le début.Nous atteignons une aile plus reculée. Une chambre haute, ciselée de lumière pâle et d’un mobilier
AIDENIls émergent des bois.Un à un.Des silhouettes sombres, gainées d’ombre et de sang séché. Ils avancent sans bruit, comme s’ils appartenaient au silence lui-même. Leurs yeux brillent d’un éclat mauvais, pas de lumière, mais de mémoire. Une mémoire corrompue.Je les connais.Pas tous.Mais assez.Des anciens. Des bannis. Des traîtres.Ceux qui ont tourné le dos à la meute quand elle a brûlé. Ceux qui ont pactisé pour survivre. Ceux qui ont vendu des noms contre du pouvoir. Ceux qui ont assassiné les leurs pour rester debout.Ils n’ont pas oublié.Ils n’ont pas pardonné.Et maintenant, ils reviennent pour achever ce qu’ils avaient commencé.— Reste derrière moi, je murmure.Mais Elina me devance.Elle se place devant.Ses cheveux fument encore. Sa peau luit d’un éclat spectral. Ses yeux… ne sont plus tout à fait les siens.Elle est toujours là.Mais elle n’est plus seulement Elina.Elle est plus.Elle est toutes.ELINAIls sentent la peur.Ils la cherchent dans mes gestes, dans mo
ELINALa lumière s’est tue.Pas disparue.Pas effacée.Juste… tue.Elle s’est retirée en moi comme une marée qui aurait tout arraché sur son passage.Elle m’a laissée là, pantelante, criblée de cendres intérieures, étrangère à mon propre corps.Je suis vide.Et pleine.Je suis silence.Et hurlement.Je ne peux pas bouger.Je ne veux pas.Chaque muscle est un souvenir calciné.Chaque battement de cœur est une brûlure en suspens.Chaque pensée, une lame rouillée qu’il faut trancher pour traverser.Je flotte dans un entre-deux.Ni vivante.Ni morte.Ni même vraiment humaine.Suspendue dans cette matière dense, lourde, sale, qu’on ne nomme jamais à voix haute : l’après. L’après le miracle.L’après la morsure divine.L’après le feu.Aiden murmure mon nom.Encore.Et encore.Chaque syllabe est un tremblement dans ma chair ouverte.Sa voix est rauque. Elle crisse contre l’air, comme une vérité qui ne sait pas s’habiller de douceur.Je n’arrive pas à répondre.Pas encore.Je sens ses bras au
ELINALa terre tremble.Pas comme un séisme.Comme un rugissement souterrain. Comme si le cœur même du monde se fendait sous nos pieds, ivre de douleur et de colère.Ça vibre dans mes os. Ça me vrille les tempes. Ça martèle ma poitrine jusqu’à faire sauter mes côtes.Et le Délié hurle.Un son déchiré, désarticulé. Ce n’est pas un cri de rage.C’est un cri de fin.Pas une fin noble, pas une fin qu’on affronte avec honneur ou résignation.Une fin sale. Dévorante. Une lame de néant qui veut tout avaler, tout noyer, tout faire taire.Il ne cherche pas à régner.Il cherche à rayer.Derrière moi, Aiden ne tombe pas. Il devrait. Il saigne. Il vacille. Il s’épuise. Mais il tient.Il plante sa force en moi comme une racine dans une terre meurtrie.Et c’est ça, plus que tout, qui me pousse à avancer.Je ferme les yeux. Et je descends.Pas dans une vision. Pas dans un souvenir. Pas dans les limbes connues de la magie ancienne.Je descends au-delà.Là où les morts oublient leur nom. Là où la mémo