La lumière du soleil de printemps explosait par la fenêtre entrouverte de la salle de restauration en mille éclats jade et diamant. Les parfums nubiles de la nature florissante imprégnaient l’atmosphère. Sans qu’elle s’en aperçût, ses embruns musqués avaient inondé l’âme de Soline d’une ivresse légère. Elle se hâta d’avaler son repas, impatiente de retrouver l’air vivifiant de la cour.En sortant du bâtiment, elle marqua un temps d’arrêt. Se mêlait au silence le murmure frétillant des colonies d’insectes, qui dans l’ombre avaient repris leur besogne après des mois de sommeil gelé. Le vent n’était que caresse, étreinte affectueuse. Des vagues voluptueuses déferlaient dans la courée, dont le sol poussiéreux s’était mué en tapis d’argent.Alors qu’elle laissait son esprit flotter, porté par les courants, elle remarqua à quelques mètres un papillon blanc. Ce fut pur ravissement. En un instant, dans son souvenir, réapparut le jardin de la maison de Croix où ell
Le ciel ne s’était pas encore paré de ses premières touches de couleurs. L’atmosphère était tiède et humide. La nature entière sommeillait, lourde de tout son poids. Anna ne s’était évaporée que depuis six jours, pourtant déjà, dans l’intervalle engourdi de la nuit, se préparait une nouvelle épreuve. Les machines qui maintenaient l’orphelinat de part en part se mirent discrètement en marche.Tout commença par de légères secousses. D’épaisses poutres de métal sortirent de leur support, poussées par un mécanisme hydraulique au souffle imperceptible. Sur les cinq premiers étages, elles se glissèrent au fond de cavités rectangulaires pour s’enfoncer au plus profond du bâtiment, sous le plancher, en huit points répartis de façon régulière d’une extrémité à l’autre de la structure. Le frottement de l’acier et du bois provoqua des vibrations dans le sol qui extirpèrent une poignée d’enfants de leur sommeil. Cependant, durant de longues minutes, plus rien ne bougea et ils se ren
Quand Soline et Tuaki retrouvèrent leurs amis à l’heure du déjeuner, ils remarquèrent que les plantes grimpantes avaient repris leur ascension lente le long de la façade. Elles enveloppaient le contour du premier étage de leurs bras crispés et épineux. Ce jour-là, même Barbara, qui d’ordinaire diffusait une douce énergie à son entourage par sa simple présence enjouée, affichait une petite mine inquiète. Chacun le constata. Cependant, personne n’osa l’interroger. La crainte de réveiller une frayeur collective incontrôlable était sans doute trop grande. Il fallait avant tout garder la force de continuerLe petit prince du désert frissonna nerveusement. Il promena le regard aux alentours pour s’assurer que personne n’écoutât, puis interpella ses amis:—Mes dernières nuits ont été tourmentées par le souvenir de la parole sage et sagace de Père. Je n’ai eu de cesse de me demander quels mots il eut prononcés pour guider son peuple vers la lumière ou
Le lendemain midi, une lumière merveilleuse déferlait sur la cour et les jardins de son ondée de couleurs vives, de mimosa, de lime et d’ambre. Une armée de mésanges, d’hirondelles et de linottes s’adonnait gaiement à une bataille de chants suspendus. Même l’aboiement plaintif des deux molosses des gardiens de nuit, suffoquant derrière les barreaux de leur cage, se mêlait au concert, harmonieux et musical. La chaleur enveloppait les corps comme une étreinte tendre et vigoureuse. Tout invitait à la douceur. Et pourtant, étrangers aux délices de cette suave turbulence, cinq jeunes âmes tourmentées, à l’écart de la foule amassée devant l’immeuble, entretenaient mutuellement leurs angoisses.Pierre fut le premier à prendre la parole. Son expression faciale montrait une anxiété indomptable. Il était tendu comme une corde prête à rompre à chaque instant.—Savez-vous où est Hugo?La question fit le tour des compagnons sans qu’aucun ne l
Ni Louis-Jean ni Hugo, le traître, l’agent infiltré, n’avaient suivi. Ce dernier était probablement allé faire son rapport à la directrice avant de retourner paisiblement se coucher, en songeant à la prochaine rébellion à étouffer. Gardiens, chiens hybrides et détenus évoluèrent à pas prudents dans une végétation dense et inhospitalière. Les branches fraîchement taillées venaient leur lacérer les bras et les jambes. Dans leur dos, elles se refermaient immédiatement sur la voie comme pour dissimuler rageusement un sentier interdit, indûment emprunté.Enfin, après une vingtaine de minutes, ils arrivèrent à destination. Une petite cabane en pierres de roche grises, grossièrement équarries, perdue au milieu de nulle part.Deux minuscules fenêtres arquées à barreaux, pareilles aux yeux obscurs d’un démon aux aguets, les dévisageaient. Un peu de lumière, sans doute pas plus d’une simple bougie, fuyait sur le côté par une troisième petite fenêtre à la peinture éc
Le groupe évolua lentement dans l’obscurité poisseuse du tunnel. On ne pouvait dire si les obstacles qu’ils percutaient sur le chemin étaient de simples racines, un fouisseur, ou une mystérieuse créature souterraine. Si une chose les frôlait, ils tressaillaient de peur qu’une main malintentionnée ne cherchât à les attraper. S’ils entendaient un bruit, ils frissonnaient à l’idée qu’un serpent ou qu’une bête affamée les mordît.Tout à coup, à la surface, le tonnerre éclata et une pluie diluvienne se mit à tambouriner sur le sol au-dessus de leurs têtes. Plus ils avançaient et plus le tintamarre s’intensifiait.Un bras s’extirpa des profondeurs, dégagea la voie des branchages et enfin, un corps tout entier s’arracha avec peine dans un balancement poussif. Anna considéra les alentours, le regard écrasé par l’averse. La forêt se dressait, prodigieuse et titanesque. Ses contours de fer dans la nuit en larmes semblaient irréels, magiques.La jeune
Piwi n’avait pas menti. Il connaissait par cœur les moindres recoins du pays. Sa mémoire abondait en anecdotes savoureuses sur les environs.Les enfants lui racontèrent leur parcours depuis leur évasion. Il leur révéla d’abord pourquoi ils n’avaient rencontré aucun animal dans la forêt. Il avait appris l’histoire des lieux en écoutant la conversation de trois vieux braconniers de la région, assis au comptoir de l’une de ces tavernes qui font face à l’océan sur le port. Selon eux, le lieu aurait dû servir de décor à un roman fantastique. Une sorte de forêt hantée par les esprits des animaux tués par les hommes du village au cours de parties de chasse récréative, qui seraient revenus de l’au-delà pour se venger de leurs bourreaux. Mais l’inspiration aurait fui l’auteur, qui ne développa jamais de récit cohérent, passa à tout autre chose et finit par l’oublier pour de bon.—Ça a rendu ces vieux cornichons complètement dingues! clama-t-il dans un é
—Soline, réveille-toi. Piwi est parti!La silhouette vaporeuse de Catherine se tenait accroupie juste au-dessus d’elle, les mains délicatement posées sur les épaules. La petite fille enfila ses lunettes et se redressa. Le nuage dans ses yeux s’effaça peu à peu. Le feu n’était plus qu’un amas de charbon étiolé. Un voile de grisaille déparait la clairière. La brise matinale charriait un air sec et froid.Anna et Tuaki rassemblaient les provisions et préparaient la levée du camp. L’amertume et l’anxiété n’avaient pas quitté la figure de Pierre. Il scrutait l’horizon. On devinait sans peine combien il devait espérer secrètement que Mc Dowell ne respectât pas sa parole et leur fît faux bond.Barbara s’approcha de son amie, l’aida à ajuster son écharpe, la réchauffa d’une étreinte fougueuse. Elle plongea une main dans la poche de sa robe et lui tendit une pomme, après l’avoir frottée vigoureusement. Soline la remercia d’un sourire anky