26 octobre 2019
Ce samedi de fin octobre, Isobel était prise d’un dilemme. Elle était invitée à une soirée dans la maison des parents d’Effie Dunn, une ancienne camarade de classe du secondaire. C’était à Golspie, sur la côte est des Highlands, à une trentaine de minutes en voiture. Autrefois, Effie était une de ces filles qui avait le don de faire jalouser ses consœurs. Populaire, éternelle première de la classe et athlétique. Sa beauté cuivrée avait fait un malheur pendant les deux années de fin de cursus obligatoire et elle n’avait même pas la décence d’être vaniteuse pour contrebalancer le tableau. Rayonnante et chaleureuse, elle avait donné quelques cours de soutien en anglais à Isobel, avant que celle-ci ne jette l’éponge. Elles ne s’étaient pas revues depuis la fin de leur scolarité et n’avaient d’ailleurs jamais été de grandes amies. Être conviée était supposé la flatter, mais comme toujours, la perspective de se rendre dans ce genre d’événement l’angoissaiOctobre 2020Isobel avait été sauvée de justesse. Trente minutes avant son agression, la police avait été prévenue par un appel anonyme que quelqu’un allait attenter à sa vie. Les autorités avaient bien essayé de remonter à la source de cette prédiction énigmatique, mais leur piste avait abouti à un téléphone prépayé. Impossible de relier la ligne à un propriétaire. La seule information qu’elles avaient pu obtenir, c’était que l’appel salvateur avait été passé depuis le Japon. À n’y rien comprendre…S’il y avait un bon côté à cet épisode effroyable, c’était qu’il bouclait son mensonge. La police écossaise et le FBI tenaient leur coupable. L’enquête conclut qu’il avait voulu finir son travail obsessionnel en traquant la seule rescapée de Kintra. Comme il avait succombé à l’assaut, Matthias Dwayne ne pouvait plus témoigner d’une version différente ni éclairer sur ses motivations. Il avait par ailleurs été identifié comme l
20 août 2020Au milieu de la nuit noire qui avait fini par emporter la douce chaleur de l’été, Isobel ressassait les mots de sa jumelle. Celle-ci trouvait Finngall tordu. Combien de personnes en viendraient à la même conclusion? La police, le couple Raven, l’ensemble des gens ayant prêté attention à cette affaire médiatisée… tous pouvaient faire ce même lien douloureusement erroné. Plus l’enquête piétinerait, plus cette solution paraîtrait évidente à adopter. Son ami avait choisi de lui être fidèle. En refusant de parler de ses facultés aux autorités, il sacrifiait son honneur, son avenir et son image. Son secret était préservé et en échange, la Rêveuse le jetait en pâture à l’opinion publique. À une époque où il était si facile de désacraliser une personnalité, qu’adviendra-t-il du jeune étudiant? Ordinaire, passif, il se ferait dévorer par ce monde qui ne voulait plus cacher ses prédateurs. Postée à sa fenêtre, Isobel respirait la fraîche odeur de la te
Elle reprit subitement conscience d’une bruyante inspiration. Une quinte de toux ébranla son corps lourd et amorphe, comme si ses veines étaient maintenant remplies de plomb. Elle avait froid et se sentait dénudée jusqu’à son âme. Sa vision, floue, mit une éternité à faire le point sur ce qui l’entourait. Un plafond blanc, des murs blancs, des draps blancs; un décor aveuglant. Dans ses bras décolorés étaient plantées des perfusions, ses index étaient enfoncés dans des capteurs. Elle étouffait. Lorsque ses gestes–trop–lents l’eurent débarrassée du masque à oxygène qui l’oppressait inutilement, son ouïe fut déchirée par les cris d’une machine.La jeune femme ouvrit la bouche, mais sa langue pesait des tonnes. Le «bip» strident l’empêchait de se concentrer pour fouiller sa mémoire. Elle avait oublié: que faisait-elle ici? La porte s’ouvrit à la volée, plusieurs personnes firent irruption dans la pièce; un ba
24 novembre 2019Chasser cette image de sa tête était impossible. Chaque fois qu’il fermait les yeux, Finngall revoyait les deux corps étendus l’un à côté de l’autre. Abigail, sa mine laiteuse et ses yeux ouverts, fixes, éteints. À ses côtés, une Isobel cloîtrée dans le silence, le visage et la jambe ensanglantés. De nuit comme de jour, cette vision le hantait. La douleur s’était incrustée jusque dans sa chair, la culpabilité acidifiait ses entrailles. «Il aurait dû insister», «il aurait dû la convaincre», voilà les reproches qu’il ne cessait de se faire. Il aurait pu la faire tout arrêter, il en avait eu les moyens. Si ce n’était en lui faisant entendre raison, il n’aurait eu qu’à crever les pneus de sa voiture, tout révéler à sa mère ou appeler la police. Maintenant qu’il était sorti de cette spirale infernale, il entrevoyait mille solutions. Mille occasions manquées de sauver son amie. Si elle en était là, c’était de sa faute. «Et pou
Où était-elle?Ses paupières étaient lourdes comme le plomb, son corps léger comme une plume. Dans sa poitrine, il n’y avait plus le moindre battement. Elle grelottait, son crâne était rempli de braises. Sa peau se hérissait au rythme des sueurs froides qui descendaient le long de son dos.Était-elle morte?Soudain, ses yeux sombres se rouvrirent. Elle n’était plus dans le manoir de Kintra. Elle se trouvait dans un espace gigantesque, infini, sans forme ni frontière. Il faisait nuit noire mais elle y voyait comme en plein jour. Tout autour d’elle flottaient des traînées de fumée blanchâtre, tels des spectres sans visage ni raison d’être. Parasitée par l’empathie, elle se sentit accablée d’un profond désespoir et d’une tristesse si intense que si elle devait la décrire, elle dirait qu’elle avait le goût de la mort. La jeune femme se redressa puis se mit sur ses pieds. Perdue, elle fit quelques pas hasardeux dans ce paysage dém
21 novembre 2019«Kintra» était un terme gaélique signifiant «fin de la plage». Un nom extrêmement bien choisi pour ce minuscule village isolé d’à peine une quinzaine d’habitants. Aménagé pour que les chalets pittoresques alignés le long de la plage co-existent avec la variation des marées, il était fendu d’une route non pavée qui le traversait avec impatience. Isobel avait l’impression qu’une fois ressortie du hameau, elle ne rencontrerait que des contrées sauvages encore inexplorées par l’Homme. Le paysage était magnifique, incarnation typique du charme de son pays. La grisaille et la brume ne faisaient que sublimer les reliefs irréguliers de sable, de pierre ou de verdure. Ce n’était pas étonnant qu’une famille aisée du nouveau-monde ait cherché ici la tranquillité du vieux continent. Les deux amis se garèrent à proximité d’une grande habitation de plain-pied aux airs de gîtes saisonniers. La voiture souffla de soulagement, troublant la q