SolveigTant pis pour lui. Il est passé à côté de la rencontre du siècle.Cela m’arrive souvent de me mentir à moi-même. Je me raconte des trucs que j’aimerais vrais. Je me les répète plusieurs fois d’affilée, jusqu’à ce que j’arrive à me persuader que c’est la réalité. Dans le cas présent, dans le but d’essayer d’oublier le sentiment désagréable que ce faux plan me laisse. Comme pas mal de gens qui ont eu leur part de crasse quand ils étaient gosses, qui ne se sont pas assez sentis aimés, ce genre de situation engendre une réaction de ma part plutôt disproportionnée. Je le vis mal. Je me sens rejetée, pas assez bien et j’en passe. J’enclenche un cercle de pensées dégueulasses qui n’ont aucun intérêt, sinon celui de me blesser encore plus que la situation de base s’en était chargé.Pour contrer cela, je me mens donc.Au petit déjeuner, en me brossant les dents, en contrôlant mes comptes, en commandant une robe sur internet.Et s’il lui était arrivé qu
SolveigLe ciel est teinté de rouge et de gris. Je ne suis pas du genre à voir des présages dans ce qui m’entoure. On ne me verra jamais fuir un chat noir ou céder à n’importe quelle superstition. Mais en observant le ciel ce matin, je suis plus inquiète. Comme s’il captait une certaine gravité à la situation actuelle.Je me suis réveillée tôt, la main sur mon portable. Mais qu’est-ce que je croyais ? Que Kristin était allée au travail de son frère dans la nuit ?J’ai fait un cauchemar. Un homme sans tête habillé d’une chemise noire et d’un jean que mon esprit appelait Erick était en colère, perdu. Il tenait dans sa main un carnet que je reconnais à présent au premier coup d’œil.Je décide d’aller me balader dans le parc. Il est immense et abrite une petite forêt avec un parcours de santé. Le week-end, lorsqu’il fait beau, il grouille de vie, d’enfants qui jouent, de joggeurs et j’en passe. La semaine, j’y trouve le calme. J’en profite pour écouter de la mus
SolveigNous n’avons pas de nouvelles d’Erick depuis deux jours. Je cherche à comprendre, je relis inlassablement nos derniers messages en quête d’un indice qui m’explique son silence. Je n’ai rien vu venir. Son absence occupe toutes mes pensées. Malgré cela, je n’ose pas lui écrire. S’il avait voulu, il l’aurait fait. Il a écrit à Kristin. Pas à moi.Ces deux mois passés à échanger ne peuvent pas être qu’un mirage. Peut-être que si, en fait. Je peux être effacée de sa vie à coups d’appuis sur une flèche de clavier.Baptiste, quant à lui, est là. D’ailleurs c’est par son biais que je sais que Kristin n’a pas eu davantage de nouvelles.On dirait qu’il est plus prudent avec elle qu’avec les autres femmes. Celles qui le ramenaient chez elles. Je me demande si elle peut lui faire oublier Elise. Il a cette lueur dans le regard quand il parle d’elle, son corps s’anime, un sourire vient se nicher au coin de ses lèvres. C’est bon de le voir comme ça. Et alors que je
SolveigUn brouillard épais m’enveloppe. J’avance à l’aveugle, The White Side dans les mains.—Quelqu’un m’entend ?Une voix masculine me parvient.—Qui est là ? demandé-jeJ’ai du mal à respirer, je me sens oppressée, triste.Je répète ma question. Sans réponse. Je continue ma progression. Quelque chose me retient. Je me débats, mais ne parviens pas à me libérer. Je hurle à m’en briser les cordes vocales.L’homme m’interrompt:—Je m’appelle Erick, je suis perdu, je n’arrive pas à retrouver mon chemin, vous pouvez m’aider ?—C’est Solveig… Je vais venir !Mon cœur s’affole. Je me libère enfin et le cherche sans rien y voir. Je fouille, mais ne le trouve pas.—Solveig?Je suis projetée en arrière. Un sentiment de peur immense m’envahit.—Erick ! hurlé-je.**Je n’ai pas reçu de message d’Erick. Ce cauchemar doit être le résultat de mon
SolveigJe jette quelques pièces sur le comptoir et récupère le journal que je viens d’acheter. Camille a publié son article-enquête – et j’ai pour habitude de lire son travail.J’en profite pour aller dans le parc. Le chemin entre la presse et l’endroit où je compte m’installer n’est pas long. Je m’assieds au pied d’un arbre. Pas qu’il n’y ait pas de banc disponible à cette heure, c’est juste que je préfère ça. Je déplie le journal et me mets à lire. Un article m’attire l’œil. Il parle du suicide du chanteur d’un groupe très connu. Sa mort me touche, alors que je ne le connais ni d’Adam ni d’Ève. Je suis étonnée par ma réaction. J’ai tendance à vivre ce genre d’événements de très loin. Là, les souvenirs refont surface.Je me rappelle précisément quand j’ai eu leur premier album entre les doigts. J’habitais encore chez mes parents. Jeune adolescente, je mettais le son le plus fort possible sur la chaîne Hi-fi que j’avais trouvée dans une poubelle pas très loin de c
CamilleUn mail de la maison d’édition de L m’a informée hier qu’elle avait enfin accepté une interview. Le rendez-vous a été posé plutôt rapidement puisque je dois la rencontrer demain dans un café.Je relis les derniers articles parus à son sujet. Ils sont assez légers, cela me laisse une assez grande marge de manœuvre pour les questions.Je tapote nerveusement sur mon clavier. Efface. Recommence. Puis réussis finalement à préparer plus ou moins convenablement cette rencontre. Une chance pour moi d’avoir adoré ce livre.Cela m’est arrivé de devoir questionner un auteur dont je détestais les écrits et je me suis promis de ne plus jamais recommencer, ça s’est transformé en désastre et j’ai décidé de ne pas publier le résultat de cette entrevue.Je lance la radio sur mon ordinateur, des notes de piano sont crachées par les haut-parleurs. Je m’adosse à la chaise et arrête ce que je fais pour monter le son.«Une nuit je m’endors avec lui
SolveigIl est l’heure du rendez-vous – celui où j’assume au grand jour ma petite omission. Mes mains sont moites, ma bouche est sèche, j’ai envie de partir en courant. Aucun doute, je stresse.Je me suis installée à une table face à l’entrée, j’ai attrapé un journal qui traînait là et j’attends. Cachée. Jusqu’à la dernière minute. Il me semble qu’on pourrait entendre un saxo en fond, un solo. Qu’un narrateur pourrait raconter l’état d’esprit dans lequel je me trouve. Une voix à la Gabin. Une autre époque. Au lieu de ça, j’ai du Martin Solveig craché par des haut-parleurs de mauvaise qualité. Cam’ passe la porte. Elle tourne sur elle-même, ne me voit pas et s’installe elle aussi. Elle sort son ordinateur et mon livre. J’ai l’impression d’être une espionne à la regarder par-dessus mon journal. Elle commande à boire et je me dis qu’il est temps que j’y aille.Je pose mon journal et commence à me lever quand je réalise que mon amie est en train d’en faire de même. Ell
Solveig—Solveig?Je sursaute. Il m’a semblé entendre mon prénom venir de la cuisine. Si ça se trouve, Baptiste a encore cru qu’il pouvait entrer chez moi comme dans un moulin. Je me lève, prête à lui dire ce que je pense, mais trouve la pièce vide.—Il y a quelqu’un ?Pas de réponse. J’ai dû rêver.Dehors, encore cette purée de pois, on n’y voit pas à un mètre. Ravie de ne pas avoir à mettre le nez dehors, je rejoins ma couette et mon journal pour découvrir enfin les mots de Camille et les miens – ceux de L. Finalement, nous avons procédé par échange d’e-mails.**Je plie consciencieusement le journal et le pose à mes côtés. Il est temps.En composant le numéro de l’hôpital, une certaine appréhension m’étreint. Ma cadre peut me refuser mes vacances.Je fais ma demande, défends ma cause, elle m’accorde finalement deux semaines – pas une de plus – à compter de ce jour. J’ai bien vu que ça lui posait problèm