Annibal
Je restai là, figé dans l'ombre de la ruelle, les yeux rivés sur la silhouette de la femme qui s'éloignait lentement. Chaque pas qu'elle faisait semblait résonner dans mon esprit, perturbant des pensées que j'avais toujours soigneusement maîtrisées. Elle n’était rien. Une simple inconnue, croisée par hasard dans cette ville immense. Une brève rencontre sans importance. Et pourtant, je n'arrivais pas à me détacher de son sourire, de cette légèreté qui m’avait surpris.
Un frisson parcourut mon échine, bien que la nuit fût relativement chaude. Je pris une profonde inspiration, cherchant à chasser ce sentiment d'incertitude qui grandissait en moi. Ce n’était pas censé arriver. J’étais un assassin. J’avais toujours agi avec une précision clinique, sans émotion, sans sentiment. Mais ce soir… ce soir, je me sentais différent.
Je secouai la tête, comme pour me débarrasser de cette sensation incongrue. Ce n’était qu’une rencontre sans conséquence. Je devais me concentrer sur la mission. La cible était toujours dans son appartement, j'en étais certain. Je l’avais suivie jusque-là, je l’avais observée, et ses habitudes ne changeaient jamais. Rien n’avait changé, si ce n’est moi, ce soir.
Je me redressai et avançai lentement vers l’entrée de l’immeuble. La rue était déserte. L’obscurité, une couverture parfaite pour mes mouvements. J’avais appris à disparaître dans l’ombre, à ne laisser aucune trace de mon passage. C’était dans ma nature. Mais ce soir, l’ombre semblait plus dense, plus pesante. Peut-être à cause de cette rencontre, peut-être à cause de l’incertitude qui commençait à m’envahir.
Je m’arrêtai devant la porte de l’immeuble et jetai un coup d'œil rapide autour de moi. Rien. La rue était calme. Le vent soufflait légèrement, soulevant quelques feuilles mortes qui se faufilaient entre les pavés. Je glissai ma main dans la poche intérieure de ma veste et en sortis un petit outil. Quelques secondes suffirent pour désactiver le système de sécurité et ouvrir la porte sans bruit.
Je pénétrai dans le hall, feutré, mon esprit toujours ailleurs. Je longeai les murs, me dirigeant vers l’escalier. Mon regard se posa sur les portes des appartements, une routine que j'avais apprise à déchiffrer. Ce soir, je n'avais pas peur de commettre une erreur. C’était une mission comme une autre. Pourtant, chaque pas semblait plus lourd que le précédent.
Je montai les escaliers en silence, mon souffle calme. L’appartement de la femme se trouvait au dernier étage. Je n’avais aucune idée de ce que j’allais trouver une fois là-haut, mais cela n’avait pas d’importance. Je n’étais pas là pour poser des questions. J’étais là pour finir ce que j’avais commencé.
Arrivé devant la porte de l’appartement, je m’arrêtai un instant pour écouter. Aucun bruit ne s’échappait de l’intérieur. Tout semblait normal. J’avais mémorisé l’agencement de l’appartement, les détails de la mission. Tout était en place. J’allais frapper. Cela aurait dû être facile.
Pourtant, je n’agissais pas aussi vite que d’habitude. Mes doigts se mirent à trembler légèrement alors que je sortais l’arme silencieuse que j’avais préparée pour l’occasion. Mon regard se porta de nouveau sur la porte. Je l’hésitai. Pourquoi cette hésitation ? Pourquoi, après toutes ces années, n’étais-je pas capable de faire ce que je savais faire de mieux ?
C’était une question stupide, une question que je n’aurais jamais dû me poser. Mais je ne pouvais pas m’en débarrasser. L’image de la femme avec son écharpe rouge refaisait surface dans mon esprit. Je me revoyais, figé, au moment où nos regards s’étaient croisés. Elle avait vu quelque chose en moi, j'en étais certain. Et ce regard, cette petite conversation sans importance, m’avaient fait vaciller.
Je fermai les yeux, cherchant à chasser ces pensées. Ce n’était pas important. Pas ce soir. Ce soir, je devais terminer ce travail. Je me forçai à respirer profondément, me recentrant sur la mission.
Je tournai la poignée de la porte. Elle céda facilement. L’appartement était plongé dans l’obscurité, éclairé seulement par une faible lumière provenant d’un coin de la pièce, où un téléphone portable était posé sur une table basse. J’entrai, mes pas à peine perceptibles sur le parquet. La porte se referma derrière moi dans un léger souffle.
L’appartement était silencieux, presque trop silencieux. Rien ne semblait anormal, pourtant une sensation étrange, comme une pression invisible, pesait sur moi. Je me déplaçai lentement à travers l’appartement, scrutant chaque recoin, chaque mouvement dans l’obscurité. Je n’entendais rien, mais quelque chose dans l’air était différent. Je me sentais observé, bien que je sois seul.
Je m’approchai de la porte de la chambre, prêt à l’ouvrir. Mais un léger bruit derrière moi me fit me retourner brusquement. Une silhouette émergea de l’ombre, silhouette familière. C’était elle. La femme.
Elle était là, dans l’appartement. Debout, calme, comme si elle m’avait attendu. Elle ne semblait ni effrayée ni surprise. Elle me regardait simplement, un léger sourire sur les lèvres.
"Je pensais que vous reviendriez," dit-elle d’une voix douce, presque musicale. "Mais je ne pensais pas que ce serait ce soir."
Je restai figé, le cœur battant dans ma poitrine. Cette situation… ce n’était pas ce que j’avais prévu. Comment avait-elle su ? Pourquoi était-elle là ?
Elle s’avança lentement, chaque mouvement mesuré, sans hâte. Je reculais d’un pas, mon esprit en pleine ébullition. Je n’avais pas d’explication pour ce qui se passait. Mais je savais une chose : je n’étais plus maître de la situation. Je n’étais plus l’ombre dans la nuit, celui qui décidait de tout.
"Vous avez fait une erreur en venant ici ce soir," dit-elle, ses yeux fixant les miens.
Je ne savais pas comment réagir. J’étais pris au piège dans un enchevêtrement de doute et de confusion. Pourquoi n’avais-je pas agi plus tôt ? Pourquoi n’avais-je pas vu ce qui se déroulait sous mes yeux ?
Je me préparai à bouger, à prendre une décision. Mais avant que je n’aie pu faire quoi que ce soit, la lumière s’éteignit brusquement. L’obscurité se fit plus dense. Et dans le noir total, je compris que cette mission ne se déroulerait pas comme prévu.
AnnibalLa porte claque doucement derrière nous. Pas de cris. Pas de menace. Pas de guerre. Juste… le silence.Je dépose les clés. Claire retire ses bottes en soupirant. Elle ne dit rien. Mais je la sens trembler, même sous ses vêtements. Je me retourne, la fixe.Elle me regarde, fatiguée, les yeux rouges mais clairs.Elle est belle comme ça.Vraie.Brisée, mais vivante.Et mienne — si elle le veut encore.— Ça fait combien de temps qu’on n’a pas été seuls, Claire ?Elle sourit, à peine.— Trop longtemps. J’avais oublié le son de ton silence.Je m’approche. Elle ne recule pas. Je tends la main et touche son visage. Sa joue est froide. Je veux la réchauffer.— On peut s’arrêter ce soir. Juste pour ce soir. Pas de Luca. Pas de monstres. Pas de souvenirs. Juste toi et moi.Elle ferme les yeux, s’approche, pose son front contre le mien.— Tu crois qu’on mérite ça ? Ce genre de paix ?Je pose mes mains sur sa taille, l’attire contre moi.— Je crois qu’on a traversé assez d’enfer pour mérit
---ClaireIl est là.Je le reconnaîtrais entre mille.Même couvert de sang séché, même amaigri, même l’âme en lambeaux…Annibal reste Annibal.Je cours. Je m’effondre contre lui. Il ne dit rien. Mais ses bras me serrent. Fort.Plus fort que je l’aurais cru possible.Comme si me toucher était la seule chose réelle ici.— Tu m’as retrouvée, je souffle.Il ferme les yeux. Sa main dans mes cheveux.— Je t’ai suivie jusqu’en enfer, Claire. Et ce n’est pas fini.---AnnibalLe monde est brisé. Mais Claire est là.Et tant qu’elle respire, j’ai une raison de continuer.Je ne pose pas de questions. Pas encore.Parce que je vois dans ses yeux les réponses que je redoute.Elle est différente.Quelque chose l’a touchée là-bas. Quelque chose l’a marquée.— Luca est avec toi ? je demande.Elle hoche la tête.— Oui. Mais il change. Il rêve d’elle. Il l’entend.Elle ne prononce pas son nom.Mais je sais de qui elle parle.Sali.Celle qui a volé la lumière de Claire. Celle qui a tenté de m’arracher m
LucaLe sol est stable. L’air est lourd, mais réel.On est de retour.Enfin… presque.Claire tient ma main si fort que je sens mes os craquer.Mais je ne dis rien. Parce qu’elle pleure. Et que je n’ai jamais vu Claire pleurer.— On l’a perdue, je dis.Elle secoue la tête.— Non. Elle s’est perdue. Nous, on s’est retrouvés.Et quand je regarde autour de nous, je sais que ce n’est que le début.Parce que le monde ne nous appartient plus.Mais nous savons où frapper.---ClaireCe n’est pas le monde que j’ai quitté.Les rues sont silencieuses. Les lampadaires crépitent comme des néons malades. L’air sent le métal et la pluie.Mais ce n’est pas ça, le pire.Le pire, c’est le regard des gens.Ils ne nous voient pas vraiment. Comme si nous étions flous, transparents à leurs yeux.Ou peut-être qu’ils ont appris à ne plus voir.Peut-être qu’ils savent… que ceux qui reviennent ne sont plus les mêmes.Luca titube à mes côtés. On n’a rien dit depuis l’apparition. Rien depuis le départ de Sali.O
ClaireLe sol n’est plus le même.Depuis que j’ai franchi cette rue — la rue, celle que personne n’ose nommer —, tout semble suspendu. Le vent ne bouge plus les feuilles. Les lampadaires ne font plus d’ombre.Je sens la trace de Luca. Une chaleur qui palpite encore sur le bitume, comme un cœur qui ne veut pas cesser de battre.Je le suis.Mais plus j’avance, plus je me perds.Mes souvenirs deviennent brumeux. Le nom de ma mère m’échappe. La couleur de mes yeux me fuit.Je me raccroche à une seule chose : Sali.Si je la retrouve, je retrouve Luca. Et peut-être… peut-être que je me retrouve moi-même.SaliElle est là.Elle marche dans mon sillage sans même comprendre.Je l’ai rêvée mille fois, Claire. Je l’ai vue tomber, se relever, tomber encore. Toujours humaine. Toujours trop humaine.Mais maintenant, elle est presque prête.Je tends les doigts, à travers la membrane qui sépare nos mondes. Je touche son esprit. Juste un peu.Elle tremble. Elle résiste.Elle est parfaite.Mais elle ne
ClaireTrois jours.Trois jours sans Anibal. Trois jours sans Serge. Trois jours que le bunker est devenu un tombeau muet, sans porte, sans écho. Et pourtant, parfois, la nuit, je crois entendre une voix murmurer mon prénom.Je reste assise sur le seuil du monde. Là où l’herbe recommence à pousser, là où le vent sent encore un peu la vie. Luca dort la plupart du temps. Quand il se réveille, il parle peu. Il a vu quelque chose là-bas, quelque chose qu’il refuse de mettre en mots.Et moi… moi, je tiens. Je veille. Parce que quelqu’un doit le faire.LucaJe ne rêve plus. Ou peut-être que je ne me réveille plus.Depuis que Claire m’a tiré hors de ce trou béant, je flotte entre deux états. Comme si mon corps était resté là-bas, avec Serge. Comme si mon esprit était resté accroché aux derniers mots d’Anibal.Il a murmuré assez. Mais est-ce que ça a compris ce qu’il voulait dire ?Claire me parle parfois. Elle me raconte des souvenirs, de l’avant. Des rires, des nuits étoilées, des bières tr
ClaireQuand je retrouve Anibal, il a le regard vide, les mains tremblantes.— Elles sont là, je dis.Il hoche lentement la tête.— Je sais.On rejoint Luca et Serge dans ce même café où tout avait basculé. Mais cette fois, personne ne fait semblant.Serge a les yeux injectés de sang, Luca tremble comme une feuille. Et moi… j’ai mal. Une douleur sourde au creux du ventre, comme si quelque chose me rongeait de l’intérieur.Anibal prend la parole, froid, déterminé.— On doit retourner là-bas.— Tu es malade, je murmure.— Non. On les a laissées passer. Elles ont franchi la faille. Ce monde… elles veulent le dévorer. Il faut refermer la porte.— Mais on ne sait même pas comment elle s’est ouverte !— Si, dit Serge. C’est nous.Un silence. Puis Claire comprend. Elle se lève lentement, les larmes aux yeux.— On l’a ouverte. En survivant.---LucaOn rentre chez nous cette nuit-là, mais quelque chose a changé. Les murs grincent comme des bêtes blessées. Les ombres bougent quand on ne regard