L'arnaqueuse

Punta Cana, République dominicaine – 20h47

Le ciel s’étendait comme une mer d’encre, parsemée de petites étoiles tremblantes, et la brise douce apportait avec elle des arômes de sel et de rhum. Dans le cadre idyllique de la terrasse du restaurant, Naïla savourait lentement son mojito, un sourire énigmatique flottant sur ses lèvres. Le décor lumineux et les palmiers imposaient une tranquillité déconcertante, mais elle savait qu'à cet instant, tout n’était qu’une façade.

Ricardo Mendez, son partenaire pour la soirée, se croyait maître du jeu. La cinquantaine, un corps robuste d'homme qui avait vécu sous le soleil des Caraïbes et dans le monde des affaires douteuses, il pensait avoir repéré une proie facile. Mais Naïla savait exactement comment se jouer de lui.

— À notre partenariat, mi reina, lança-t-il en levant son verre de rhum vieux, un sourire suffisant étirant ses lèvres. Ce sera un succès.

Elle le regarda, presque hypnotisée par l'étendue de sa certitude et de son arrogance. Mais derrière ses yeux brillait déjà une lueur calculatrice.

— Je n’en doute pas une seule seconde, murmura Naïla d’une voix douce et assurée. Je sens que nous avons de grandes choses devant nous.

Elle laissa un petit silence s’étirer, assez long pour que Ricardo se sente poussé à parler davantage, à s’exprimer sur ses propres projets, ses rêves. Elle savait qu’aucun homme n’était aussi sûr de lui sans un besoin irrésistible de parler de sa grandeur.

Ricardo, pris par son propre enthousiasme, baissa légèrement son verre avant de le poser sur la table.

— C’est ce que j’aime chez toi, Sofia. Tu comprends les affaires. Pas comme ces autres femmes qui ne pensent qu’à la mode et aux soirées. Avec toi, c’est autre chose.

Naïla esquissa un léger sourire, mais ses yeux scrutaient déjà ses réactions, analysaient chaque mot, chaque geste.

— Je suis flattée, Ricardo, répondit-elle avec douceur, jouant l'humilité, tout en savourant sa victoire secrète. Je n’ai pas la prétention de comprendre tous les aspects du marché immobilier, mais l’union de nos forces pourrait vraiment apporter quelque chose de grand.

Un instant, il la regarda intensément, et elle se permit de soutenir son regard. Il ne s’agissait pas simplement de comprendre les affaires ; elle maîtrisait l’art de manipuler les egos, de le convaincre que son succès n’était possible que grâce à elle. Mais elle savait également qu'il n'était pas aussi naïf qu'il en avait l'air.

— L’union de nos forces, hein? murmura-t-il pensivement, se perdant dans la réflexion. Je sens que je pourrais vraiment m’investir dans ce projet. Eden Beach Resorts, c’est un nom qui fait rêver, mais je veux plus que ça. J’ai l’œil pour les bons investissements, et ce projet… Ce projet est l’occasion de briller comme jamais.

Naïla le regarda avec un éclat d’intelligence dans les yeux, sachant exactement où il voulait en venir. Il se voyait déjà sur la plage, profitant des retombées financières, se pavanant dans les cercles d’élite. Mais il ignorait que tout ceci était une illusion soigneusement montée.

— Ce n’est que le début, dit-elle en posant sa main sur la table, proche de la sienne, mais sans la toucher. Le marché est vaste, mais… il y a un secret que je n’ai pas encore partagé avec toi.

Il se pencha en avant, son regard s'intensifiant.

— Quel secret? Demanda-t-il, visiblement intrigué, un sourire amusé jouant sur ses lèvres.

Naïla s'arrêta un instant, savourant l’attention qu’elle venait de capter, avant de répondre d’une voix plus basse, comme si elle craignait qu’on puisse les entendre.

— Ce projet… Il ne fait que commencer, mais je t’assure qu’il est bien plus avancé que ce que tu crois. Tu vois, tout ce qu’il te faut, c’est avoir un partenaire qui connaît les bonnes personnes, qui sait comment faire le lien entre les bonnes influences, et je t’assure que ce sera une mine d’or.

Ricardo, pensant qu’elle en disait plus qu’elle ne voulait, se pencha encore plus en avant, un brin d'avidité se manifestant dans son regard.

— Et je suppose que tu fais partie de ces bonnes personnes, n’est-ce pas?

Elle haussait les épaules avec une nonchalance parfaite, tout en veillant à entretenir le suspense.

— Ne t’en fais pas. Nous sommes tous deux assez intelligents pour savoir comment les choses doivent se faire. Mais… disons simplement que si tu es prêt à investir, je pourrais t'aider à faire en sorte que ce projet devienne un modèle pour les autres.

Elle marquait une petite pause, sachant que le moment était crucial.

Sous la table, son téléphone vibra discrètement. Naïla y jeta un coup d’œil rapide et lu le message de Michaël : "C’est fait." Un frisson d’adrénaline lui parcourut l’échine. Les 500 000 dollars de Ricardo avaient disparu. Elle lui adressa un sourire subtil.

— Excuse-moi une seconde, chéri, murmura-t-elle en se levant. J’ai juste besoin de me rafraîchir un peu.

Il lui lança un regard brûlant, un sourire satisfait plaqué sur son visage. Comme un lion sur sa proie.

— Ne tarde pas trop, hermosa. Je vais t’attendre ici.

Naïla s’éloigna sans se retourner, maîtrisant chaque mouvement, chaque pas. La salle s’étendait devant elle comme un long couloir vers la liberté, vers sa prochaine étape. Elle franchit les portes du restaurant avec une élégance innée, et, dans un coin de l'établissement, s’engouffra dans la salle de bain des dames.

Devant le miroir, elle se fixa un instant, admirant le reflet de la femme qu’elle venait de jouer. Son maquillage était impeccable, ses lèvres rouges d’une teinte parfaite. La robe émeraude épousait sa silhouette sans en dévoiler trop, et dans ses yeux, une lueur déterminée brillait. Mais elle savait qu’il était temps de changer.

Elle ouvrit son sac et sortit un passeport. Arielle Dumas, journaliste française en reportage. Sofia Laurent était une illusion qui n’avait plus de raison d’être.

Elle vérifia l’heure. Dans exactement trente-sept minutes, le vol pour Haïti l’attendrait. Une destination nouvelle, un nouveau départ. Elle inspira profondément et se détendit légèrement. Le jeu était terminé.

Elle s’apprêtait à disparaître dans l'ombre, et il ne restait plus rien de l’ambitieuse investisseuse que Ricardo avait cru connaître.

L’appartement de Michaël, situé au dernier étage d’un immeuble discret, était plongé dans la pénombre, à l’exception des écrans illuminant son bureau.

Assis devant une interface complexe de transferts bancaires, il laissa échapper un ricanement en voyant la confirmation finale apparaître.

Transaction réussie.

— Bordel, Naïla, tu t’es surpassée, lança-t-il en pivotant sur son siège lorsqu’elle entra dans la pièce.

Elle se laissa tomber sur le canapé en cuir noir, retirant ses talons avec un soupir satisfait.

— Facile. Il était trop confiant. Comme d’habitude.

Elle attrapa la bouteille de rhum sur la table et se servit un verre généreux. L’adrénaline vibrait encore en elle, créant cette exaltation qu’elle connaissait trop bien.

Le frisson du danger.

Michaël leva son verre vers elle.

— 500 000 dollars en une semaine, pas mal.

Elle trinqua avec un sourire en coin.

— Juste un échauffement.

Michaël observa Naïla avec un regard admiratif, ses doigts tapotant sur le verre. La pièce était plongée dans une semi-obscurité, les seules lumières provenant des écrans d'ordinateur et du plafond, où une lampe de bureau éclaire faiblement le visage de Naïla.

— Ce n’est que le début, répondit-elle, son sourire mystérieux ne laissant rien transparaître de ses véritables intentions. Elle reposa son verre sur la table en marbre noir, prenant un moment pour observer Michaël, qui semblait presque déstabilisé par la fluidité avec laquelle elle manipulait les événements.

Naïla n’avait jamais été une simple spectatrice dans cette danse dangereuse qu’ils menaient. Elle en était la maîtresse, une joueuse d’échecs dont chaque mouvement était calculé à l’avance. De son arrivée à Punta Cana à l’éclat de la transaction, elle avait tout orchestré avec une précision sans faille. Et cela, bien avant de s’introduire dans la vie de Ricardo.

— Qu’est-ce qui vient après ? demanda Michaël, brisant le silence tout en analysant les chiffres affichés à l'écran.

Naïla se leva lentement, ses talons frappant le sol dans un rythme hypnotique. Elle se dirigea vers la fenêtre, observant la ville en contrebas. La lumière tamisée des néons offrait à la ville une lueur presque irréelle. Haïti, le terrain de jeu idéal pour les affaires douteuses.

— Ce n’est pas une question de ce qui vient après, murmura-t-elle. C’est une question de qui sera le prochain à tomber dans le piège.

Elle tourna lentement la tête vers Michaël, ses yeux brillants d’une lueur froide, calculatrice.

— Ricardo pensait qu’il pouvait me manipuler, mais il ne savait pas à qui il avait affaire. Il a joué à un jeu dangereux, Michaël, et il a perdu. Mais nous avons encore des pions à déplacer.

Michaël haussait un sourcil, clairement intrigué.

— Et tu as déjà une idée de la prochaine cible ?

Naïla fit un geste désinvolte de la main.

— Oh, il y en a toujours d'autres. Nous ne manquons jamais d'opportunités. Mais pour l’instant, nous devons jouer prudemment.

Elle s’approcha de son sac, en sortit un dossier en cuir noir et le posa sur la table. Il contenait des documents, des informations, des liens entre des personnalités de l’élite internationale. Des secrets bien cachés qui, entre de bonnes mains, pouvaient ouvrir des portes.

Michaël s’assit, son regard fixant les papiers, son esprit déjà en train de réfléchir aux possibilités.

— Et Ricardo, comment allons-nous gérer ce petit problème ?

Naïla sourit en coin, cette fois plus franchement.

— Il va rester dans l’ombre pour un moment. Trop de bruit risquerait de tout gâcher. Mais il finira par comprendre ce qui se passe. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne soit complètement hors-jeu.

Elle se leva à nouveau, se dirigeant vers le mini-bar.

— Nous avons joué avec lui, mais c'est pour mieux avancer. Le monde dans lequel nous évoluons… il n’y a que des règles invisibles, des alliances qui se brisent et des coups bas. Ce qu'il ne sait pas encore, c'est que notre plus grand atout, c'est le silence.

Elle versa un autre verre de rhum, se retourna vers Michaël, et le regarda un instant.

— Tu sais, Michaël, parfois, la victoire ne se trouve pas dans l’instant. Elle est dans la lenteur du processus. L’art de laisser les choses se tordre autour de nous avant de les broyer. Ce qu’on fait, c’est plus que du simple business. C’est de l’art.

Elle prit une longue gorgée et s’assit à nouveau, ses yeux se fermant légèrement.

— Mais on ne doit pas s’arrêter là. Ce que nous avons à notre disposition, c'est un réseau. Et chaque pièce du puzzle peut rapporter bien plus que de l’argent. Nous allons les faire tomber un à un. Parce qu’à la fin, c'est nous qui serons au sommet.

Michaël sourit à son tour, un sourire de complice, une alliance forgée dans l’ombre.

— Je vois. Et tout commence avec un coup parfait.

Naïla hocha la tête, satisfaite.

— Exactement. Et celui-ci n’est que le début.