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L'obsédante fascination
L'obsédante fascination
Auteur: Plumeauvent

Ne m'en veux pas

Je sais ce que tu vas dire mais crois-moi, j'ai essayé. Et pas qu'une fois. Je me suis timidement regardée à maintes reprises dans la glace avec un air détaché et j'ai prononcé ces trois mots qui  ont le don de frapper à la poitrine : «  Je te quitte ». Je les ai vraiment dits, je t'assure. Assez fort même, dans l'espoir qu'il les entende et se fasse une raison. A 39 ans, il serait peut-être temps, non ? Il ne peut pas rester à contempler cet amour  ronchon qui lui tourne le dos. Même un coup de vent glacial n'a pas le courage de me faire aller vers lui.

Lui ai-je trop donné ? Suis-je cet athlète qui, arrivé en bout de course se dit qu'il n'a plus de forces ? Je les ai eus, mes quart d'heures de gloire, mes heures aussi, où je récoltais sa sueur s'échapper de notre désir conjugué à double voix.  Mais, justement, je m'interroge : me suis-je trop essouflée dans cette histoire ? Me suis-je égarée ?  Comment retrouver cette bouffée d'oxygène qui m'enveloppait autrefois ?

Remuer le passé est risqué, je le sais, mais j'ai besoin de comprendre. Où sont passés nos draps humides, nos torses collants, nos gorges qui n'avaient qu'une envie : se jeter sur la première goutte d'eau !

Quand il m'embrasse, je me sens comme sur un navire, le beau paysage  bercé de rêveries en moins. L'envie de rejeter son visage d'une main ferme me vient sans pouvoir me contrôler. Pourquoi ? Et pourquoi doit-il y avoir un pourquoi ? Pourquoi justifier ce plaisir insoutenable ressenti lorsque ta langue suave se promenait entre ce que j'ai de plus fidèle , ce qui me tient compagnie du matin au soir ? Pourquoi j'ai crié 7 fois sans retenue ? Ce souffle que je pensais enfoui voire égaré au milieu de mon existence est revenu. C'était doux et étrange à la fois. Je ne connaissais pas. J'étais comme une touriste sortant de l'avion qui découvre de nouvelles pratiques pour la première fois.

Hier, il est rentré du boulot en avance. Il était si élégamment habillé et, aussitôt une dangereuse pensée m'a traversée. J'ai souhaité qu'il m'annonce quelque chose d'extraordinaire, quelque chose d'insensé . J'y ai cru en serrant les poings dans les creux de mes hanches. Son costume d'agent immobilier lui donnait une autre forme de raffinement. J'ai pensé qu'il me cachait l'indisible. J'ai voulu l'interroger, secouer sa cravate,  la todre, lui hurler dessus, lui dire de me révéler ce qu'il tentait de me cacher. Je me suis rentenue. Crois-moi, j'aurais aimé faire plus ce soir-là. La motivation était absente, comme mes questions. D'habitude, je suis celle qui questionne, cigarette à la main, je crache ma fumée au visage de l'autre et j'attends des réponses. Je n'ai pas eu de questions donc je n'ai pas eu de réponses. Logique.

J'ai senti son parfum valser avec une certaine allégresse dans le salon et ça m'a freinée. Ne m'en veux pas si je n'ai pas réussi. Je m'étais entraînée devant mon miroir. J'ai lu que le miroir était un bon exercice, une sorte de compagnon qui ne critique pas, ne juge pas, ne sermonne pas et ce, même quand tu dérapes. Mais dis-moi, pourquoi ai-je dérapé? Paul plairait à n'importe quelle belle-mère. Paul fait partie de ces hommes sur qui tu peux compter quand les Kleenex manquent et que le supermarché est fermé à double tour et que la caissière te voit en larmes et te dit d'attendre l'ouverture le lendemain matin. Paul est un homme au caractère délicieux telle une friandise que l'on mangerait en cachette de peur de se la faire voler. Paul est....C'est bien  ça le problème, je crois. Paul. Lui. 

 J'ai maintes fois repensé à nos débuts, quand il n'y avait que lui et moi. Le jour où juste après avoir fait usage de ses draps d'une pâleur angélique, nous avons couru tels de jeunes fous dans les rues bondées de personnes au visage sans saveur. Nous avions lu la tristesse sur leur visage. une tristesse presque inquiétante tant elle était criante. Je crois qu'ils ne comprenaient rien à notre bonheur. Ils voyaient la blancheur de ses dents et l'ombre de mes fossettes mais restaient cloîtrés dans l'incompréhension. Comment deux jeunes gens pouvaient-ils courir dans la fraîcheur de l'aube sans même ressentir le froid chatouiller leurs narines ? Le rose de nos joues ne venait pas de la froideur de la saison hivernale  mais de la richesse de nos émotions. Nos émotions crevaient de puissance. C'était une belle mort bien vivante. Je n'avais pas peur ce jour-là. Je marchais avec l'aisance d'un professeur qui répète sa leçon pour la énième fois. Je crois avoir nargué certains passants avec mon bonheur au coin des lèvres. J'ai honte quand j'y repense. Parfois je me hais, ou plutôt je hais mes réactions. Je suis comme un chat. Je transpire l'élégance et la beauté mais je suis imprévisible. 

Toi aussi, tu as été imprévisible. Ne m'en veux pas de t'en vouloir, ce ne serait pas juste. Avoue seulement que j'ai joué et j'ai été prise au piège. Mais dis-moi, pourquoi ai-je accepté ce jeu ? Qu'est-ce que ça allait m'apporter dans le fond ? Connaître le danger ? Dans quel but ? Pour me voir en redemander ? Tu vois, je me remets à poser mille questions et j'attends des réponses que je n'aurai pas car tu es loin. Tu as emporté mon désir empli de fébrilité loin. Mais alors, comment est-ce possible que j'arrive à te sentir près de moi ?

Je ne sais pas être raisonnable. Je dois me réprimer, me mettre du sparadrap sur la bouche, du savon peut-être. J'ai peur que Paul devine mes pensées , même si dans le fond,  je crois bien que ça arrangerait les choses. Tout serait réglé, on n'en parlerait plus. Tout cela n'aurait jamais existé et on pourrait repartir ? 

Les départs me font peur. J'y vois un retour, tout comme je sens que ma relation avec Paul se remet dans sa coquille. Alors pourquoi ? Hier soir, j'ai enfilé de la lingerie fine bleue. Il adore le bleu clair. Je m'étais lâché les cheveux comme pour me sentir plus sauvage, plus alerte, plus connectée. Fiasco ! La lingerie fine, je l'ai retirée aussitôt après m'être observée dans la glace. Non, ce n'est pas moi, me suis-je murmuré. Je ne peux pas. C'est malhonnête et la malhonnêteté me tuerait. Je ne veux pas me tuer car j'ai encore des choses à vivre mais je sens que ce qui était prévu avec Paul n'a plus de place sur aucune page de n'importe quel calendrier en papeterie. C'est effrayant quand j'y pense. Et quand je pense à toi, ça m'effraie tout autant.

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