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Chapitre 4

Quand Eba poussa doucement la porte en bois, la jeune fille eût une surprise. Ils étaient là, ses deux parents qu'elle croyait couché depuis fort longtemps. Ils étaient toujours debout et avaient même de la visite. Dans la pièce exiguë qui servait à la nombreuse famille de salle de séjour, son père recevait un inconnu. Jeune, la peau aussi noir que la sienne, ce dernier semblait bien étrange avec sa chemise blanche soigneusement fourrée dans son pantalon beige. Face à son père, lui et ce dernier se tenaient tranquillement assis autour de la table. Debout près d'eux, Effoua sa mère faisait le service. Soigneusement, celle-ci s'appliquait à remplir les deux verres des hommes de «coutoutou». Partout dans la minuscule pièce, l'odeur forte et entêtante de cet alcool artisanale flottait dans l'air. Grisés par le breuvage enivrant, les deux hommes semblaient d'humeur festive. Au sein de la petite maison, l'atmosphère était  donc plus que détendue. Ce constat, la jeune fille le réalisa en apercevant les sourires sur les trois visages qui se tournèrent simultanément  vers elle à son entrée.  En observant  celui de sa mère se figer net sur son beau visage ridés, Eba devina sans difficulté l'orage qui l'attendait. 

—Tiens, tu rentre enfin, s'exclama Effoua. Où étais-tu passée ? 

Réfléchissant à un mensonge, Eba qui cherchait à gagner du temps referma en silence la porte derrière elle. Impatiente d'attendre une réponse qui ne venait toujours pas, Effoua commença à se plaindre du comportement de sa cadette.

—Depuis tout le temps que je te cherche. J'espère que tu n'es pas encore allée  traîner à la maison du maître. Je t'ai déjà dit qu'il ne fallait pas abuser de sa bonté...même s'il semble n'y voir aucun inconvénient, tu devrais savoir où est ta place....  

—Ah ! L'interrompit le viel Ezan agacé. Laisses la tranquille !

Jovial, l'excellente humeur du vieux contremaître était contrariée par les remontrances à n'en point finir de sa femme. Il voulait qu'elle se taise. Mais très remontée, celle-ci n'était pas décidée à lâcher l'affaire. Il fallait qu'en tant que mère de famille, elle assure correctement l'éducation de ses enfants. Cette résolution, ni  la présence de leur invité ni l'autorité de son mari n'allait l'en en dissuader. Les mains sur les hanches, Effoua  s'insurgea donc contre la passivité de son mari.

—Comment ça que je la laisse tranquille ?  Les gens du domaine parlent tu sais. Il se raconte des rumeurs pas très plaisantes...

Une fois encore, Ezan ne pût s'empêcher d'interrompre son épouse.

—Ha femme ! Tais toi un peu, tu veux ? Qu'est-ce que ça peut bien te faire tous ces ragots. Qu'ils racontent ce qu'ils veulent tiens. A son âge, Eba a droit à un peu de liberté.

Au prénom ainsi prononcé, l'inconnu leva subitement deux yeux incrédules vers Ezan. Lui qui  jusque là n'avait affiché qu'une indifférence totale aux querelles du vieux ménage semblait tout à coup intéressé. Le regard marqué par l'étonnement, il interrogea Ezan du regard avant de considérer attentivement la jeune fille.  Toujours adossée contre  la porte d'entrée, celle-ci baissa timidement les yeux.

—Ne me dis pas que c'est la petite Eba qui a aussi grandit, s'exclama enfin l'inconnu qui semblait à la fois surpris et enchanté.

Animé par une étrange fierté, Ezan acquiesça.

— C'est bien elle. En effet, elle a beaucoup changé depuis ton dernier passage au domaine, il ya quoi, six ou sept ans ?

— Huit ans, précisa l'inconnu en reportant à nouveau son regard sur  la jeune fille.  C'était avant mon départ pour la métropole, rappelle toi.

L'inconnu qui fixait Eba avec une expression d'étonnement paraissait vraiment surpris par la métamorphose qui s'était opérée chez celle-ci. Passée au peigne fin par le regard insistant, la jeune fille aurait volontiers voulu disparaître. Vraiment,  cet inconnu la rendait mal à l'aise. Qui était-ce d'ailleurs ? A entendre ses dires, il semblait l'avoir connu par le passé. Mais lui, il lui restait toujours aussi étranger. Toutefois, en l'observant mieux, son visage lui donnait vaguement une impression de déjà vu.  Sa physionomie, les traits de son visage lui paraissaient familiers. Il lui faisait étrangement penser à quelqu'un. Cette mâchoire carrée, ce menton volontaire et ses yeux... Tous ces détails lui rappelaient étrangement Xavier. C'était cela! En observant bien le visage de l'inconnu, Eba lui trouva une ressemblance  plus que frappante avec le jeune propriétaire du domaine.  Était-il possible qu'entre  ce mystérieux indigène et le métis, il puisse exister un quelconque lien de parenté ? 

—Elle est devenue une bien belle jeune femme ton Eba, l' entendit-elle justement déclarer. Effoua  a raison. Tu devrais un peu mieux la surveiller. 

L'inconnu qui avait parlé d'une voix doucereuse laissa une fois encore  son regard admiratif errer un court  instant sur la jeune fille avant de le reporter sur son interlocuteur. 

— Ce n'est qu'une enfant Kouamé, fit ce dernier. Mais ma foi, je dois reconnaître que tu n'as pas tort, ajouta Ezan pensif.

— Ce qu'il faudrait, déclara de nouveau Effoua, c'est surtout lui trouver quelque chose à faire....

—Qu'est ce que tu racontes ? L'interrompit aussitôt Ezan exaspéré, elle ne t'aide pas assez comme ça ici à la maison et dans tes tâches chez le jeune maître ? 

—Tu parles ! S'exclama Effoua dépitée. A peine si je la vois. Elle passe tout  son temps avec le jeune monsieur et ça ne peut plus continuer comme ça. Quand elle n'était qu'une enfant ça ne posait pas de problème, mais maintenant qu'elle  devient une jeune femme...

Pensive, la mère d'Eba marqua un instant de pause. Un instant, elle considéra  le dénommé Kouamé. Dans l'esprit de la mère de famille, une idée sembla naitre. S'adressant à ce dernier, elle lui en fit part sans détour.

—Tu pourrais peut être lui trouver quelque chose toi, Kouamé. A l'hôpital, ils ont certainement besoin de bras valides là-bas.

Quelque peu surpris par la requête inattendue, le dénommé Kouamé parut embarrassé. Percevant sa gêne, c'est Ezan qui vint à son secours.

— Voyons Effoua, qu'est-ce qu'elle va bien pouvoir faire dans un hôpital notre Eba. Elle n'a aucune formation.

—Mais elle sait lire et écrire, répliqua fièrement la mère d'Eba. 

S'adressant au visiteur, Effoua cru bon de lui donner quelques explications à cet effet.

—C'est ton frère qui le lui a appris, figure toi. Ha celui là, on peut dire qu'il nous a rendu un grand service. Pour se rendre utile auprès de l'administration coloniale, être instruit est amplement suffisante.  Tu devrais vraiment  penser à l'aider toi aussi Kouamé.

— A vrai dire, commença ce dernier dubitatif, je ne sais pas si je peux avoir un tel pouvoir. Mes fonctions à l'hôpital, je ne les occupe que dans quelques jours seulement. Et pour tout dire, avec ces bêfouê je ne sais pas trop à quoi m'attendre.

— Tout se passera bien, crû bon de le rassurer Ezan bienveillant. Après toutes ces années passées à étudier la médecine dans leur pays, ils ne peuvent pas te créer d'ennui ici.

—Espérons le, se contenta de répondre Kouamé en un soupir. 

Le regard soudain songeur, ce dernier fixa son verre rempli d'alcool sans paraître toutefois le voir.  Un instant, un silence méditatif retomba sur la maison. Profitant de cette accalmie, Eba qui depuis un certain moment déjà se sentait de trop entreprit de disparaitre. Rapidement, elle quitta la porte d'entrée où elle commençait à prendre racines pour s'engager vers la chambre à coucher. Mais  l'interpellant subitement, son père l'arrêta net.

— Toi qui reviens du dehors, as-tu vu le jeune maître ? Est-il enfin rentré ? 

Craignant la réaction de sa mère qui la fixait justement le regard en coin, Eba préféra mentir. Innocemment, la jeune fille haussa les épaules.

—Je n'en sais rien. Mais par contre en rentrant, j'ai cru apercevoir son auto non loin de la grande maison.

—Il doit donc être rentré, déduisit aussitôt Ezan. Tu devrais y aller Kouamé. Ton frère sera tellement ravi de te revoir.

—Certainement, se contenta t-il de lui répondre. Certainement.

L'air sombre, le jeune homme esquissa par la suite un sourire énigmatique qui en disait long. Sans toutefois s'étendre sur le sujet, il se contenta plutôt de se lever. Après avoir brièvement pris congés de ses hôtes, il s'en alla enfin. Tenant à l'escorter, le viel Ezan l' accompagna.

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