Côte d'Ivoire, les années 1930. La France a achevé de faire de la Côte d'Ivoire une colonie. Xavier qui est connu de tous comme le mulâtre d'Assinie possède le plus grand domaine de la région de grand-Bassam. Il est riche et beau mais il est confronté au constant mépris des blancs de la colonie. Il veut à tout prix se faire une place dans la haute société. Une éventuelle union avec Agnès Lebourgois, la fille d'un noble et très raciste colon pourrait lui permettre d'atteindre ses objectifs. Xavier hésite cependant face aux sentiments qu'il éprouve pour la douce Eba, la fille de son contremaître. Alors entre Eba et Agnès Lebourgois qui deviendra l'épouse du mulâtre ?
View MorePrès de la fenêtre, Xavier se tenait en retrait. Un verre de vin à la main, il savourait discrètement son apéritif. Dans quelques minutes, le repas n’allait pas tarder à être servis. En attendant, il patientait. Pour s’occuper, il se plaisait à jauger chacun des invités. À l’abri d’éventuels regards, il pouvait aisément les observer déambuler. Dans la vaste salle de réception, celle-là même du palais du gouverneur Dieudonné-François Reste, ils semblaient tous joviales. Excités, ils paradaient fièrement « ces bêfouê » comme les essiniens les appelaient . En effet, Ils étaient tous là « les bêfouê ». Parés dans leurs plus beaux vêtements, les blancs, principalement les bourgeois de la colonie étaient là. Il n’en manquait pas un seul. Pour rien au monde aucun d’entre eux n’aurait manqué un tel événement. Le banquet annuel organisé par le gouverneur Reste était l’occasion de se montrer. Lui-même Xavier avait fait des mains et des pieds pour y être invité. La tâche avait été ardue. Convaincre ces racistes de colons d’admettre à leur table le mulâtre qu’il était n’avait pas été chose aisée. Xavier avait dû faire jouer ses relations. Il avait surtout mis la main à la poche. Le commandant de cercle, une connaissance à lui avait reçu de ses mains un pot-de-vin plus ou moins important. Propriétaire de la plus grande plantation d’Assinie, Xavier pouvait se permettre un tel luxe. En effet, fruit de l’union plus ou moins controversée d’un français et d’une indigène, la nièce du roi d’Assinie, Xavier Bavière était un homme fort riche. Probablement, était-il le plus riche de toute la région. Le domaine immense dont il avait hérité occupait un vaste territoire de la presqu’île d’Assinie. Supplantant l’océan atlantique, « l’antre de l’éléphant », son domaine, était constitué de plusieurs hectares. La terre y était fertile. Les récoltes, elles, étaient florissantes chaque année. La vie dans « l’antre de l’éléphant » s’écoulait paisiblement. Autan pour lui que pour ses manœuvres, il y faisait bon vivre. Du moins, c’était ce dont il essayait de se persuader. Pour se donner bonne conscience, il n’avait pas trouvé mieux. Sinon, comment ignorer la sueur et le sang versés dans les plantations de cafés et de cacaos par ses manœuvres, les indigènes ? Le maigre pécule qu’il leur versait en compensation de leur dure labeur était une véritable escroquerie. Il les exploitait. De son forfait, il n’en était pas fier. Si cela n’avait tenu qu’à lui, Xavier aurait fait preuve de plus de largesse. Mais il n’avait pas le choix. Avec l’administration coloniale qu’il devait constamment contenter par diverses taxes et autres impôts, il aurait fait faillite s’il avait été plus généreux. Exploiter les indigènes était le prix à payer. Ce prix, son père avant lui l’avait payé. Son père ! Penser à cet homme qui lui avait été inconnu jusqu’à l’âge adulte lui faisait toujours un drôle d’effet. Son père ! Pour lui, Jacques Bavière avait été tout sauf un père. D’ailleurs, même à présent, Xavier se considérait comme n'en ayant jamais eût un. Cette vérité, les français d’Assinie, le lui rappelaient constamment. Obstinément, ils le qualifiaient de bâtard. Pour eux, il était le bâtard de Jacques Bavière. Pourtant, Xavier qui portait le patronyme de ce dernier avait été reconnu légalement. Sa filiation à l’égard de son géniteur avait été établit un peu fort tard cependant. Xavier Bavière qui dans un passé pas très lointain s’appelait Anzouan Ezoua avait eût le temps d’expérimenter les dures réalités de la vie d’un enfant mulâtre. Très tôt, il avait été arraché aux bras de sa mère. Sur le conseil de l’administration coloniale, son grand-oncle, le roi d’Assinie l’avait envoyé en pension. Dans une mission tenue par des religieuses, il avait reçu un enseignement plus ou moins correcte. Par la suite, il avait continué ses études à l’école normale William Ponty. Diplômé, il était revenu sur la presqu’île. Dans le sinistre objectif de faire de lui un servile employé à sa solde, l’administration coloniale lui avait offert un poste de fonctionnaire. Il avait refusé. Il y avait été bien obligé. À l’article de la mort, son géniteur, Jacques Bavière avait cru bon de réparer ses torts envers lui. Du jour au lendemain, Anzouan Ezoua était devenu Xavier Bavière. Ainsi, Il avait hérité par la suite d’un important patrimoine. Dès lors, il n’avait plus été question pour lui de faire autre chose que de prendre soin de cet héritage. À présent, il en était autrement. Xavier aspirait à plus. Il ne s’était pourtant pas lassé de cette vie de propriétaire terrien. Perdu sur ses terres, il appréciait jusqu’à présent de goûter au bonheur de la vie en solitaire. Les désagréments et autres inconvénients, il ne les subissait qu’une fois à l’extérieur. Xavier était marginalisé. De la part des blancs de la colonie comme de celle des indigènes, il faisait l’objet de mépris. Pour ne pas être un blanc, un vrai citoyen de la métropole, il était rabaissé. Pour ne pas être un vrai autochtone, un essénien comme les habitants de la presqu’île, il était également ridiculisé. Ni noir, ni blanc, Xavier n’avait sa place nulle part. Et pourtant, s’il lui avait été permis de choisir, il aurait sans hésiter appartenu au camp de l’égalité. Il voulait être respecté. Ambitieux, Xavier Bavière nourrissait ce désire d’être enfin accepté. Plus que tout, il souhaitait obtenir la place qu’il estimait devoir occuper au sein du cercle très fermé de la haute société. N’était-il pas dans la région, l’un des hommes les plus riches, l’un des célibataires les plus convoités aussi ? N’était-il pas plus ou moins mieux éduqué que la plupart de ces fonctionnaires au rabais, dépêchés à la volée par la métropole ? Alors pourquoi lui fallait-il subir le même sort que les indigènes ? Pourquoi devait-il subir l’injustice réservée aux cultivateurs africains et ne pouvait-il pas jouir à part entière de la politique économique du colonisateur ouvertement favorable aux propriétaires européens ? C’était pour revendiquer ce traitement qu’il estimait lui revenir de droit que Xavier était là. Depuis Assinie jusqu’à Bingerville, il avait fait le déplacement dans cet objectif. Il était là pour montrer qu’il existait. Il était là pour tous les obliger à s’en rendre compte, enfin. Surtout, il était présent à ce banquet pour s’imposer. Pour se faire enfin accepter, il n’y avait pas d’autre moyen selon lui. Les relations et les amitiés, c’était pendant ce genre d’événement qu’on était sensé les nouer. Cependant, depuis son arrivée, Xavier s’était tenu à l’écart. De toute la soirée, il n’avait encore parlé à personne. Habitué à côtoyer les européens, il n’était pas moins impressionné d’en voir autant, réunis dans un seul et même endroit. À si méprendre, il lui paraissait être le seul «noir» ou plutôt le seul mulâtre, présent. De toutes les façons, pour ces colons l'un ne valait pas mieux que l'autre. Entre ces deux statuts, ils ne faisaient aucune différence. Pas si foncé que cela, Xavier Bavière aurait pourtant pût passer pour un individu de type méditerranéen voir hispanique. Mais les traits grossiers de son visage le trahissaient. Avec le manque de finesse de ceux-ci, il était impossible d’ignorer ses origines. Son nez épaté et sa bouche aux lèvres charnues étaient typiques aux africains. À des kilomètres à la ronde, il était repérable. Son élégant smoking et ses cheveux crépus coupés très court n’y changeaient rien. Au milieu de ses blancs de la haute société, le mulâtre qu’il était, faisait office d’être un intrus, un vulgaire imposteur. Se sentant quelque peu mal à l’aise, Xavier tenait bon cependant. Résolu à mener son projet à bien, il n’était pas prêt à prendre la fuite, pas après tous les efforts déployés. Inspirant profondément, le mulâtre d’Assinie décida de passer à l’action. Il en était grand temps. Pour se donner du courage, il vide d’un trait son verre et se jeta dans l’arène.
Il m'en a fallu du temps pour me remettre de ma surprise. Au lieu de réagir sur le coup, j'ai perdu de précieuses minutes à observer le démon, incrédule, les yeux exorbités. J'étais tellement décontenancé. Pas seleument par son apparition soudaine, mais également par son apparence. Pour m'affronter, cet ange déchu avait choisi de se présenter sous son meilleur jour. Il s'était mis sur son trente et un. Alors que moi le serviteur du Dieu tout puissant j'étais vêtu d'un maillot de corps troué et d'un vieux pantalon jogging, l'acolyte du père du mensonge était élégant dans un impéccable costume. Il avait même une cravate ! Ainsi apprêté, il avait plus l'air d'un homme d'affaires que d'un esprit malin.Ce constat m'a dérouté sur le moment. Mais après réflexion, je n'ai rien trouvé d'
Séance tenante, j'ai décidé de prier pour Pauline. Contrairement aux visionnaires de l'église du christianisme céleste, je n'ai pas pris de disposition particulière. Pas de bâillon. Pas de lien. Je ne lui ai même pas imposé les mains. J'ai fait comme j'en avais l'habitude. C'est à dire que je lui ai simplement demandé de se tenir debout, à peu près à un mètre de distance de moi, les mains levées. Docilement, Pauline a obéit. Elle a fermé les yeux et s'est disposée. J'ai alors élévé la voix pour invoquer la puissance de l'Eternel. J'ai demandé à ce dernier de rompre tous les liens qui liaient son enfant et par l'autorité dans le nom de Jésus, j'ai ordonné à l'esprit du mal de quitter Pauline.Honte à moi, c'est avec sceptisisme que je prononçais tous ces mots. Je priais sa
Quand je lui ai posé la question, Pauline n'a pas su quoi me répondre.— Je ne sais pas, a t-elle lâché confuse. Je vous jure que je ne m'en souviens pas.Je n'ai pas pu m'empêcher de la regarder bizarrement. Comment ça elle ne s'en souvenait pas ? Ce n'était pas logique. Elle devait forcément me mentir. J'ai même cru à un instant qu'elle se foutait de moi. Alors, je l'ai pressé. Au moyen d'un discours moralisateur, je l'ai sommé de me dire la vérité. Mais la jeune dame restait campée sur sa position.— C'est vrai pasteur. Je ne me souviens pas. Je vous l'ai dit. A partir du moment où j'ai vu les portes se refermer, c'est le trou noir....Ce n'est que bien plus tard dans la matinée que Pauline revint à elle. Et elle ne se retrouva pas couchée dans un lit quelque part à l'abris bien en
Conduite par l'homme de Dieu, Pauline pénétra dans le temple de l'église du christianisme céleste. Celle-ci était petite et vide. Il n'y avait aucun siège. Dans un coin,les chaises en plastique avaient été empilées. La salle comportant des piliers avait les murs peint en bleu. La décoration de l'église du christianisme céleste semblait être copiée sur celle de l'église catholique à des limites près. Pauline s'y croyait avec l'estrade tout au fond où trônait l'autel et une grande croix représentant le Christ crucifié, à l'exception de ce gigantesque œil surmonté d'un arc-en-ciel.Il semblait la fixer tandis qu'elle avançait dans la salle où tous semblaient l'attendre. Parmi eux, Pauline aperçut tout de suitele chef Samuel. On ne pouvait pas ne pas le remarquer avec l
A peine les yeux fermés, Pauline sombra dans un profond sommeil. La chaleur étouffante qui régnait dans la sinistre pièce ne l'empêcha pas de dormir à poing fermés. Sa position inconfortable non plus. Encore moins les chaînes qui liaient ses poignets. Malgré ses circonstances peu adéquates, Pauline roupillait. Elle en oubliait la situation dramatique qu'elle traversait. Elle en oubliait son angoisse. Elle s'oubliait. Elle oubliait tout. Plus rien n'existait. Le sinistre cagibi où elle était enfermée semblait avoir disparu. Pauline s'imaginait être ailleurs. Elle n'était plus couchée à même le sol mais dans un lit. Un grand lit. Un grand lit bien confortable avec des draps soyeux.Ces draps l'enveloppaient. Ils lui effleuraient la peau. Ils la caressaient. Quel délice ! C'était le paradis. Dans son rêve, Pauline frémissait.
Inquiet, le chef visionnaire se demandait si ce n'était pas le cas. Il fallait vérifier. Il se hâta de s'agenouiller près de Pauline. Il posa deux doigts sur sa carotide et attendit. Il ne tarda pas à avoir un poul. Sous la peau de ses doigts, il pouvait sentir les pulsations cardiaques. Ouf ! soupira profondément l'homme de Dieu.Pauline était vivante. Dieu soit loué ! Le chef Samuel était soulagé. Au moins, il n'avait plus de soucis à se faire de ce côté là.En effet, Pauline commença à manifester des signes vitaux. Elle clignait des paupières. Elle gémissait et remuait doucement les lèvres, murmurant des mots imperceptibles.— Quoi ? lui demanda le chef Samuel qui baissa un peu plus la tête vers elle et pencha son oreille plus prêt de sa bouche. Qu'est-ce que tu dis ?
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