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NOUS Au-delà des envies
NOUS Au-delà des envies
Auteur: Emeline62B

Prologue : Autre part

Raffael

Décembre 2018

Durant toute ma vie, j’ai été en retard. Pour tout et n’importe quoi. Cela n’implique pas forcément ma ponctualité lorsque j’allais à l’école, ni mes devoirs que je devais rendre. Ce sont surtout sur les choix que j’ai fait, pas toujours les meilleurs, et que j’ai pris bien trop tardivement. Les décisions que j’ai plus souvent prises sont les plus décevantes, et je fuis par la suite. J’essaie d’oublier la plupart du temps, mais elles sont là, ancrées dans ma mémoire comme pour me prévenir à quel point je suis lâche et indécis.

C’est un défaut, un vilain défaut même. Mais c’est moi. 

Et justement, aujourd’hui, je suis encore en retard, et c’est ma faute.

Levé vers six heures trente du matin -une heure trop matinale pour moi- je n’ai pas eu le temps de déjeuner sous les sermons de maman. Je me suis juste douché, peut-être cinq minutes après que ma sœur libère enfin la salle de bain, j’ai réussi à boucler ma valise quelques minutes après, en fourrant des habits que j’avais laissés la veille sur mon bureau.

Je les ai aidées par la suite à transporter les bagages jusqu’à la petite citadine rouge de ma mère, et comme d’habitude, Helena en a fait trop, emportant un sac en plus :

— Il n’y a plus de place dans le coffre ! je m’écrie, tant bien que mal alors que ma petite-sœur ramène son sac de transport.

— Et alors ? réplique-t-elle en fronçant les sourcils, si tu fais comme le tetris, tu arriveras bien à tout caler, non ?

— Lena, il y a ma valise, la tienne, ta vanity, et un gros sac rempli de je-ne-sais-pas-quoi que j’ai du mettre sur la banquette arrière, et tu veux que je mette ton sac de transport en plus ? Maman n’a pas acheté un gros 4x4 comme papa ! Tu le mettras entre tes deux jambes comme moi.

— Pour ta gouverne, frérot, « le sac rempli de je-ne-sais-pas-quoi », me reprend-t-elle en mimant les guillemets avec ses doigts, est toute ma panoplie de littérature ! Ma raison d’être ! Ce que, bien sûr, tu ne peux pas comprendre !

Je lève les yeux au ciel, agacé par son attitude. Ce n’est pas comme si on devait partir depuis une bonne demi-heure, et qu’à cause de moi, on est à la bourre pour notre avion. L’aéroport se trouve exactement à Bruxelles, soit plus de deux cents kilomètres de chez moi, il est sept heures, notre avion décolle à dix heures précises, et Helena trouve encore un prétexte pour me faire chier.

Heureusement que ma mère passe par là, en fermant la porte de la maison derrière elle :

— Lena, arrête d’embêter ton frère. Tu porteras ton sac entre tes jambes, un point et c’est tout. Bon on y va, sinon vous allez vraiment rater votre avion !

Helena m’adresse un regard noir avant de monter à l’arrière de la voiture, je grimpe à mon tour au côté passager pendant que maman fait gronder le moteur. C’est ainsi que durant la route, je me suis insolé dans ma bulle en m’armant de mes écouteurs, et je me suis laissé bercer par ce flot de paroles dès l’instant où j’ai fermé les yeux.

Elles me font penser aux miennes.  

Loin, je pars mais je ne sais plus ce que je suis,

Tu es là, si présente dans mes pensées,

Ailleurs, je m'en vais mais je ne sais plus qui je suis,

Un leurre, un magnifique, voilà ce que tu es.

Je me réveille en sursaut lorsque ma mère m’oblige à sortir de mon sommeil, et je me rends compte que nous sommes enfin arrivés à l’aéroport. Et aussi que nous sommes toujours en retard. Je me dépêche de sortir de la voiture, et de nouveau, j’aide à retirer nos bagages. On se met à courir sur le parking pour atteindre le bâtiment, et sous le regard froid de la réceptionniste, j’enregistre mes affaires avant l’embarcation. Je ne dis rien tandis qu’elle tape sur son clavier mais étrangement, ses yeux noirs me font songer à ce que j’ai déjà perçu quelques jours auparavant. Un éclat de déception, rempli de reproches, et surtout ce désespoir qui me broie le cœur. Je peine à croiser son regard maintenant que mes pensées s’entrechoquent avec la réalité, alors je baisse les yeux quand elle me tend ma carte d’embarquement et crie au suivant.

Dans mon coin, en attendant ma sœur et ma mère, je repense à ce que je crois avoir vu, mais au bout du compte, j’ai peut-être halluciné. J’essaie d’effacer cette vision de ma tête, ce n’est jamais bon de ressasser. De confondre le passé et le présent.

Je me ressaisis lorsque ma sœur a enregistré ses bagages, et ensemble, on s’est remis à courir pour atteindre au moins la zone détaxée. Quand on la gagne, on est presque soulagé.

Presque.

— Bon, je vous laisse ici les enfants, nous dit maman avant de prendre ma sœur dans ses bras.

Je vois les larmes qu’elle tente de cacher alors qu’elle enlace Lena. Les au revoir lui ont toujours fendu le cœur, mais là c’est la première fois qu’on passe Noël sans elle, en douze ans de temps. Ses cheveux blonds sont tirés en une queue de cheval, c’est ce genre de coiffure qu’elle fait quand elle n’a pas le cœur de s’apprêter. « A la va vite », comme elle dit si souvent, le sourire aux lèvres mais crispé. Et pourtant, je l’ai vue de maintes et maintes fois, cette coiffure, surtout lorsque maman se sentait malheureuse.

C’est donc impuissant que je la regarde murmurer à l’oreille de ma sœur, ses yeux verts embués de tristesse. Helena hoche la tête, sans rien dire, mais son dos est secoué de tremblement. Elles se séparent à contrecœur, puis maman me tend les bras, je saisis cette occasion pour la consoler :

— Hé, ce ne sont que deux semaines, je lui dis alors qu’elle referme ses bras autour de mon cou.

— C’est déjà trop, Raffael, tu le sais. A chaque fois que je vous laisse là-bas, c’est un déchirement, me répond-t-elle avec un demi sourire. S’il te plait, fais-en sorte de ne pas te disputer avec ton père. C’est Noël, l’esprit de famille.

— Je vais essayer.

— Promets-le-moi.

Je soupire en percevant son regard improbateur. Elle me connait, elle sait comment je suis.

— Je te le promets.

Je sais d’avance que je ne vais pas tenir cette promesse. Elle me tapote l’épaule et m’embrasse sur la joue avant de me lâcher :

— Allez, je ne vous retiens plus, passez de bonnes vacances, les enfants.

Elle se retourne après nous avoir fait un dernier signe de la main, puis s’en va. On la regarde partir quelques secondes avant de se hâter une nouvelle fois, jusqu’aux portiques de sécurité. On les passe sans problème, non sans récolter quelques réprimandes : il ne faut pas courir dans un aéroport.

— Désolée, Monsieur ! s’exclame Helena en lui faisant son plus beau sourire, mais à cause de mon frère, nous sommes très en retard ! Notre avion décolle pour dix heures, vous savez !

Je lui adresse un sourire maladroit quand l’agent de sécurité m’observe, il n’est pas rempli de reproches comme la réceptionniste, mais de compassion. J’ai eu le sentiment qu’il me comprenait, que ses yeux me disaient « moi aussi j’ai une sœur, elle est chiante mais je l’aime ». Il attrape son talkie-walkie et signale que deux jeunes gens ne vont pas tarder à embarquer, puis il nous sourit :

— Les hôtesses vont vous attendre.

Helena le remercie avant de prendre ma main pour me tirer jusqu’à elle, on marche à vive allure pour rattraper notre salle puis notre avion. Lorsqu’on monte enfin dedans et qu’on s’installe sur nos places réservées, je souffle un bon coup, de soulagement.

— Putain, c’était chaud ! commente-t-elle, presque époumonée. C’est ta faute, tout ça !

« Je sais », pensé-je, mais je ne réponds pas.

Je l’ai peut-être fait exprès de nous mettre en retard. Un peu de mauvaise volonté et hop, obligé de rester en France, mais non. Le corps est là, mais l’esprit est autre part.

Ailleurs, je pars mais j'ai laissé une moitié,

Que je ne suis plus sûr de retrouver.

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