Une offre comme nulle autre

L’enveloppe était épaisse. Lourde, presque intimidante. Assise sur le grand canapé de velours, les jambes serrées, elle la tenait du bout des doigts comme si elle brûlait.

Elle ouvrit avec précaution. À l’intérieur : une lettre formelle, plusieurs pages tapées à la machine, et un petit badge noir avec un symbole doré gravé dessus. Sobre. Élégant. Mystérieux. Plus bas, une note manuscrite griffonnée à la va-vite : “Prenez le temps de lire. Mais sachez que ce genre d’offre ne se présente qu’une fois dans une vie.”

Elle lut. Et son cœur, lui, fit un bond puis s’arrêta net.

C’était… un contrat de travail. Mais pas un contrat classique. Rien à voir avec le service au café, ni même avec un emploi conventionnel. C’était une offre d'intégration au sein d’un réseau privé d’influence, officiellement rattaché à une filiale de la puissante entreprise Aetherium, mais dont les activités restaient dans l’ombre. Ultra-confidentiel.

Son rôle ? User de son charme et de sa capacité naturelle à convaincre pour séduire, manipuler, orienter des hommes puissants — politiciens, investisseurs, rivaux stratégiques. En somme, elle devait devenir un atout vivant, un pion brillant dans une immense partie d’échecs où les rois buvaient du champagne et les reines se vendaient cher.

Et comme dans tout bon jeu d’échecs… elle aurait un mentor. Un superviseur. Un certain Seth.

Mais plus elle lisait, plus le vertige s’installait. Le contrat prévoyait un logement de fonction luxueux, des repas assurés, une garde-robe fournie, un salaire aux zéros insolents, des déplacements à travers le monde… Une vie de rêve sur le papier. Mais à quel prix ?

Clause de confidentialité totale. Interdiction d’évoquer ne serait-ce que l’existence du contrat. Aucun retour possible après signature. Aucune attache. Disponibilité totale.

Elle referma doucement la chemise cartonnée, les mains légèrement tremblantes. Madame E n’avait pas parlé pendant toute la durée de la lecture, comme si elle voulait lui laisser le choc s’installer en silence. Lorsqu’elle releva les yeux vers elle, la dame avait ce sourire énigmatique, presque maternel.

— Ce n’est pas un rôle pour tout le monde, murmura-t-elle. Mais vous avez quelque chose… Une prestance. Une manière de regarder les gens dans les yeux. Vous pouvez faire pencher un empire d’un simple sourire si vous apprenez à vous en servir.

Mais tout ce qu’elle ressentait, c’était le dégoût. Elle se leva précipitamment.

— Je… je ne suis pas intéressée. Je suis venue pour un poste, pas pour devenir un jouet politique.

— Un jouet ? Vous ne comprenez pas encore la puissance que vous pouvez avoir… Mais je vous laisse y réfléchir, ajouta-t-elle d’un ton calme. L’enveloppe vous appartient. Prenez-le. Et revenez vers moi si vous changez d’avis.Vous avez une semaine. C’est une décision qui change une vie. Et nous ne courrons pas après les indécis.

Elle ne répondit rien, se contentant de sortir de la pièce, la tête lourde, les pensées brouillées. La maison semblait plus froide à présent, plus silencieuse. Sur le point de franchir la grande porte, elle croisa un homme qui entrait à l’instant. Grand, cheveux noirs coupés avec soin, épaules solides, et un regard d’un marron profond. Il s’arrêta à peine, la toisant d’un air distant, comme s’il s’attendait à la voir sortir à cet instant précis. Elle sentit une onde glacée la traverser quand leurs regards se croisèrent. Il n’avait pas souri. Pas parlé. Mais ses yeux, eux, avaient planté quelque chose en elle. Une impression difficile à nommer. Froide. Troublante. Et marquante.

De retour chez elle, encore sonnée par la tournure des événements, elle raconta tout à Léna. Elle voulait vider son sac, trouver une oreille raisonnable pour balayer cette idée folle… mais Léna, elle, avait eu une réaction inattendue.

— Mais... c'est génial ça, Alors tu commences quand?

— Léna ?!! Mais c'est hors de question que j'accepte

— Attends… tu te rends compte de l'opportunité ? On ne te demande pas de coucher, on te demande de jouer. D’incarner un rôle. Et tu serais payée, logée, protégée ! T’as vu la maison ? T’as vu ce qu’ils t’offrent ?

— C’est tordu, Léna.

— Le monde est tordu, ma belle. Soit tu regardes passer les occasions, soit tu montes dedans et tu fais ton propre jeu.C’est tordu. Carrément tordu. Mais… c’est réel. Et rare. Et toi, ma belle, t’es pas née pour galérer derrière un comptoir à nettoyer des tasses pour des clients râleurs. Ce monde-là, aussi étrange soit-il, il reconnaît ta valeur. Ils te veulent. Tu as une semaine pour dire oui à ta vraie vie.

Elle n’avait pas dormi cette nuit-là. Ni les deux suivantes. Elle relisait le contrat. Elle pensait à cet homme mystérieux. À ce regard. À ce qu’elle avait à perdre. Et surtout, à ce qu’elle avait à gagner.