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Le déclic

Author: Adek
last update Last Updated: 2025-07-29 05:18:37

Léna passait nerveusement ses articles sur la caisse, le bip-bip régulier de son scanner était devenu une forme de méditation pour elle, un fond sonore qui l’empêchait de trop penser. Le supermarché était bondé comme tous les jeudis après-midi, et elle enchaînait les clients avec un sourire mécanique, coincée dans une routine qu’elle n’avait pas choisie. Elle avait en poche un diplôme en consulting obtenu avec mention, mais visiblement, le monde se fichait bien de ses efforts. Les réponses à ses candidatures ne venaient jamais. Et quand elles venaient, c’était pour lui dire qu’elle manquait d’expérience. Comme si survivre seule depuis l’enfance ne comptait pas comme expérience.

Lena était orpheline, tout comme Camila. C’est sûrement ce qui les avait rapprochées au départ, il y a quatre ans, dans ce même supermarché. À l’époque, Lena était encore étudiante, et Camila, fraîchement engagée comme renfort en caisse pendant l’été. Leur première vraie conversation avait eu lieu dans la salle de pause, autour d’un café dégueulasse et d’un paquet de chips partagé à deux.

— "Je crois que t’as pris la dernière barre chocolatée que j’avais repérée…", avait lancé Camila, mi-blagueuse mi-fatiguée.

Lena avait souri, amusée. "Alors c’est une déclaration de guerre que tu fais là ?"

Et depuis ce jour, elles ne s’étaient plus quittées. Leur amitié s’était construite autour des galères, des insomnies, des fous rires volés entre deux rayons, et un jour, elles avaient décidé de louer un petit studio ensemble. Leur chez-elles. Pas bien grand, ni lumineux, ni très propre au départ… mais c’était leur refuge.

Depuis la rencontre avec Mme E., Camila n’avait pas arrêté d’y penser. Cette proposition étrange tournait dans sa tête comme un vin qui monte à la tête trop vite. L’appartement en question, le contrat, les conditions floues. L’homme mystérieux. Ce regard froid. Cette impression qu’il l’avait attendue, devinée.

Ce jeudi-là, Camila avait terminé son shift au café complètement exténuée. Elle portait encore l’odeur du café froid et des croissants rassis. Sa patronne lui avait hurlé dessus deux fois ce matin-là pour des oublis de commande. Elle se sentait déjà au bord du gouffre quand une cliente hautaine et visiblement très pressée s’approcha du comptoir avec un air méprisant.

— "Vous pourriez faire un effort pour sourire. Vous êtes là pour servir, non ?"

Camila avait levé les yeux, tentant un sourire forcé.

— "Je suis là pour faire mon travail, pas pour servir d'accessoire décoratif."

Un silence brutal suivit. Les clients suivants regardaient la scène, suspendus. La cliente fronça les sourcils.

— "Vous vous permettez de me parler comme ça ?"

— "Vous croyez que les gens sont là pour se faire marcher dessus ? C’est pas parce que vous êtes bien habillée que vous êtes mieux que moi."

Le patron, qui observait la scène depuis quelques minutes, s’était approché, furibond.

— "Camila, mon bureau. Maintenant."

Elle le suivit sans broncher, mais elle savait déjà. Au fond d’elle, elle savait que c’était fini.

Dix minutes plus tard, elle sortait avec ses affaires dans un sac en plastique. Virée.

Elle rentra chez elle à pied, sous la chaleur lourde et poisseuse. Elle n’avait même pas la force de pleurer. Elle s’effondra sur le canapé dès qu’elle poussa la porte. Lena, qui venait de rentrer, la trouva là, sans chaussures, les yeux rouges et le souffle court.

— "Camila ? Qu’est-ce qui s’est passé ?"

Camila lui raconta tout. La cliente, les mots échappés, la colère, le licenciement. Lena la prit dans ses bras sans poser de question.

— "Je suis désolée... C’est pas juste."

— "On a le loyer dans deux semaines… Comment je vais faire ?"

Lena regarda son amie, impuissante. Elle-même n’était qu’à un salaire de la rue.

Un silence s’installa. Camila serra les dents.

— Je vais le faire.

Léna releva la tête.

— Faire quoi ?

— Accepter la proposition. Celle de Madame E.

Un silence tomba comme une chape de plomb entre elles. Même le robinet qui gouttait n’osait plus couler.

— C’est vrai que je voulais que tu acceptes, répondit finalement Léna, mais… à bien y réfléchir, ça fait un peu peur. Tu es sûre de toi ?

Camila hocha lentement la tête, mais son regard fuyait. Elle tripotait machinalement la couture de son jean, incapable de la regarder en face.

— J’ai plus de boulot, Léna. Plus rien. Le loyer, l’électricité, les courses… tout s’accumule. Et puis, t’as vu la tête de mon compte en banque ?

— Oui mais quand même… l'autre fois quand tu men as parlé jai laissé l'excitation prendre le dessus. Tu sais même pas ce que ça implique vraiment. Ce contrat, c’est bizarre. Elle t’a pas tout dit. C’est quoi cette histoire de “t'appartenir quelques mois” ? On dirait le début d’un mauvais film d’horreur.

— Je sais… Mais c’est ça ou crever la bouche ouverte. Et tu sais aussi bien que moi que personne nous tendra la main. Elle, au moins, elle m’offre une porte. Même si c’est une porte qui grince et qui pue le danger.

Léna s’approcha et s’assit à côté d’elle. Elle posa une main sur la sienne.

— Au moindre problème, tu te barres. OK ?

Camila esquissa un sourire.

— OK.

— Promis ?

— Promis.

— Genre, tu sens un truc bizarre, hop, tu fais demi-tour. On n’a pas besoin de pacte avec le diable, on a déjà survécu à l’enfer.

— J’emmènerai du sel bénit dans mes chaussettes, plaisanta Camila, le rire coincé entre le sarcasme et la peur réelle.

— Et tu m’envoies ta localisation. Toujours. Jour et nuit. Je veux pouvoir te retrouver même si t’es planquée dans une cave.

— Deal.

Léna se leva d’un bond, essayant de détendre l’atmosphère.

— Bon, je vais nous faire des pâtes. Au moins, c’est un luxe qu’on peut encore se payer. On va pas affronter les mystères de la haute société le ventre vide.

— Mets plein d’ail, répondit Camila. Je sens qu’on aura besoin de protection spirituelle.

Elles rirent, un peu nerveusement. L’odeur familière des pâtes à l’ail s’éleva dans la pièce, couvrant un instant l’angoisse diffuse.

Plus tard, après le dîner, Camila sortit le vieux téléphone à clapet que Madame E lui avait donné. Elle l’observa un moment comme s’il allait exploser, puis appuya sur la seule touche avec un numéro enregistré. Ça sonna. Une fois.

Deux fois.

— Oui ? répondit une voix froide et parfaitement maîtrisée.

Camila inspira profondément.

— C’est moi. Camila.

— J’écoute.

— Je… j’accepte.

Un silence pesant, puis :

— Parfait. Quelqu’un passera te chercher demain matin à 8h. Sois prête.

La ligne coupa. Camila resta figée, le téléphone encore contre son oreille. Léna la regardait depuis le pas de la porte, pâle.

— C’est fait.

— Ça y est. T’as signé ton pacte.

— Sans lire les petites lignes.

Elles échangèrent un regard. Un de ces regards qui disent tout ce que les mots ne peuvent pas porter. La peur. L’amour. L’inquiétude. Et cette loyauté qui les liait depuis toujours, comme deux orphelines face au monde.

Demain, Camila franchirait cette porte. Et rien ne serait plus jamais comme avant.

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