Je retourne sur mon lit, perturbée par cette révélation, sous le regard amusé d’Ellis. Et s’il avait raison? Et si, tout ce que nous faisons était bel et bien une réponse au conditionnement que l’on nous impose depuis des années?Puis, une pensée, plus insidieuse encore, commence à faire son chemin. Si tout ce qu’il dit est vrai… et alors? Qu’est-ce que ça peut bien changer pour nous? Que nos comportements soient conditionnés ou non, est-il vraiment possible de nous déconstruire après tant d’années? Peut-on seulement briser une société dans ce qu’elle a de plus profond?Décontenancée, je décide de m’occuper intelligemment. Je lis à propos d’un tas de maladies que je pourrais présenter. Enfin,«maladie»… Un mot que je n’aime pas. Je ne suis pas malade et ne l’ai jamais été! Mais tous ces troubles… je ne suis pas certaine de me retrouver en eux. Troubles dissociatifs de l’identité, troubles alimentaires – anorexie,
—Ellis…, soufflé-je en passant le pas de la porte.Allongé sur le lit, les yeux perdus dans le vague, il doit être en train de se perdre sur le réseau d’iBrain. Il a les cheveux en bataille, un sous-pull noir qui souligne la naissance de ses muscles. Je le détaille un moment avant de faire une nouvelle tentative.—Ellis…?—Quoi?—Je crois que j’ai fait une connerie.<nostalgie>—Jaspe?—Hmm?—Jaspe…—Quoi?!—Jaspe…—T’as fait une connerie?Je n’ose rien dire, je me mords juste la lèvre comme une idiote. Il sait que quand je commence comme ça, de toute façon, c’est cuit. Et je sais aussi que ma manière de l’appeler ainsi le fait fondre. Utiliser la mignonnerie pour parvenir à mes fins. Voilà une compétence clé.—As, tu as fait une connerie?Il vient me voir dans la cuisine, cont
Après un long moment à les écouter parler d’amour, d’âmes sœurs et de leur futur au sein de la société, je décide de m’isoler et de retourner dans ma chambre. Ce genre d’aveux à demi-mot me peine. Ce que représente Isaac ne me plait pas du tout, alors quoi? Je devrais ne rien faire? Attendre que de nouveaux rêves m’assaillent, m’oppressent, ou me montrent ce qu’il fait à l’autre bout de la ville? Et lui, alors, a-t-il accès aux miens, de rêves? Peut-il pénétrer dans mon intimité alors que je ne le connais pas? Toutes ces questions se bousculent dans ma tête et mes crampes d’estomac ne s’améliorent pas.J’ai la trouille de finir comme Hana, cobaye oublié pour avoir testé le programme qu’il ne fallait pas.<nostalgie>—Ce serait bien, si on commençait à rénover la chambre d’amis, tu ne crois pas? me propose Jaspe, alors que nous sommes au restaurant.Je repose lentement ma fourchette sur le bord de mon assiette,
<alerte>Vous êtes blessée. N’oubliez pas de désinfe…</alerte>Je frotte de toutes mes forces pour effacer ces marques. Ce n’est pas du feutre et ce n’est pas un tatouage non plus, même si ça y ressemble. C’est de la scarification. Ce connard d’Isaac s’est scarifié. Mais pourquoi? Pour me parler? Pour m’atteindre? Parce qu’il sait que je suis dans ses rêves? Putain! Comment le sait-il? Me sent-il? Et mes douleurs aux côtes? Aux jambes? Et si tout n’était que lié à ses propres douleurs?Ellis est venu toquer à la porte, voir ce qu’il se passe. Je n’ai rien répondu: il est au courant, de toute façon, il a vu les traces violacées s’étendre sur mes bras. Il sait que pour moi aussi quelque chose cloche dans le programme.J’ai peur de me rendormir et de replonger dans le prisme de cette personnalité instable, de ce meurtrier. Je ne connais pas Isaac, mais je sais déjà qu’il est t
Vingt-quatre heures? Il est fou, je ne peux pas…Enfin je crois. Est-ce que j’ai le droit de sortir? Je n’ai pas demandé à la psy. Je continue à prendre les médicaments tous les jours, mais je n’ai pas l’impression d’aller mieux. Tout est toujours flou, j’ai encore des vertiges et je commence à avoir le nez qui saigne. Qu’est-ce que je ferais sans ces médicaments? Je ne peux pas tout abandonner comme ça et partir parce qu’un con me menace d’écrire des messages sur ma peau…Au scalpel.Et pourquoi veut-il me voir, d’abord? Il attend de moi que je le ramène à l’Upside? Il croit peut-être que je suis une fille de bonne famille, richissime, qui n’attend qu’une chose, lui offrir une seconde chance…Je descends au rez-de-chaussée dans l’espoir d’obtenir un rendez-vous avec le Docteur Healey, lorsque des cris attirent mon attention. Cara s’énerve de sa voix de crécelle sur deux infirmiers dans le hall. Je passe une tête par la porte, u
<nostalgie>Cancer des ovaires / Ablation totale / Seize ans / Fatal(ité)J’aurais dû lui dire, seulement je n’ai jamais pu m’y résoudre.«Pas tellement envie d’enfant»est un passe-partout beaucoup plus simple à encaisser. J’aurais dû lui dire. On était amis, amants, amoureux. Il aurait compris, j’en suis persuadée.Et puis…. Il aurait aussi compris que je ne suis plus une femme. Enfin, je crois. C’est ce que je me suis dit, à seize ans, surtout quand j’ai demandé aux autres. «Qu’est-ce qui fait que je suis une femme, hein?»Les hormones, tout ça, ça vient avec la différence entre nos sexes. C’est ce qu’on a vu en bio. Moi je me suis cantonnée à cette définition. Plus d’ovaires… eh bien… moi. Il ne restait que moi, dans mon corps pas bien proportionné.—Mais, ovaires ou pas, je reste une femme, non?Bouche ouverte, fermée, poisson hors de l’eau qui ne peut plus respirer. On ne me répond p
<rêve>—Tic, tac, tic, tac, récite Isaac.Il attend toujours, emmitouflé dans les couvertures qui, il l’espère, le maintiendront en vie assez longtemps pour être secouru. Je suis à nouveau plongée dans sa psyché et la douleur se fait mienne quand je réalise que son flanc est totalement infecté.Je suis sa dernière solution. Je le réalise en suivant le cours de ses pensées: il n’attend plus que moi. Il veut me forcer à venir à lui, il monte des plans pour chercher mon point faible, a épluché les données disponibles sur moi en ligne.Il n’a rien trouvé. Il fait la liste du néant de mon existence, réalise que je n’ai ni travail, ni petit ami, ni argent. Une mère à la rigueur, mais il l’a mise de côté lorsqu’il a réalisé qu’elle était déjà sur le point de passer l’arme à gauche.Il n’a alors plus d’autre solution. Je devine ce qu’il a en tête au moment où il s’empare du couteau.Isaac aime faire les choses en grand. Et il déteste
Je me retourne et colle Nora contre le mur en plaquant ma main sur sa bouche pour lui intimer de se taire. Ses sanglots ruissellent sur ses joues et elle porte une main à ma taille pour s’ancrer à la réalité. De larges traînées de sang maculent mes vêtements – le sien – mais ça n’a pas d’importance. Pour le moment il faut juste échapper aux gardes, nous verrons après pour le reste.À tâtons je ferme à clé le cagibi sombre où je viens de nous cloîtrer, tandis que de l’autre côté de la porte, les gardes s’approchent bruyamment.C’est quitte ou double, même si je suis persuadée qu’ils ne nous ont pas vues.Les claquements de talons des officiers résonnent dans chacun de nos muscles et vrillent notre crâne. Les yeux de Nora sont si dilatés qu’elle a l’air droguée. Je presse mon corps contre le sien dans l’espoir de faire cesser nos tremblements, alors que son sang continue d’imbiber nos vêtements. Le bruit des voix étouffées nous parvient et je perçois dans le regard d