Home / Romance / Internato / Chapitre 9

Share

Chapitre 9

last update Last Updated: 2021-11-15 15:35:22
Chapitre 9

Gustave est pratiquement endormi quand son camarade revient avec « le nouveau ». Il se lève d’un bond, bien décidé à l’accueillir comme il se doit.

Il se retrouve alors face à un jeune garçon au teint pâle et plutôt gringalet, qui se cache derrière Augusto dès qu’il l’approche.

Décontenancé par cette réaction, l’adolescent se redresse et se présente :

– Bonjour, je suis Gustave, ravi de te connaître.

Il attend une riposte, puis se résout à ne pas en recevoir, quand il entend une voix qui marmonne :

– Francisco.

Déjà, le nouveau se détourne et se dirige vers son lit.

Gustave jette un regard empli d’interrogations vers Augusto qui se contente de hausser les épaules, une moue perplexe sur le visage, censée lui signifier qu’il n’y comprend rien non plus.  

Le silence s’installe et, peu de temps après, la respiration de Francisco s’apaise et se fait régulière : il dort. Gustave interpelle alors Augusto :

– Il t’a parlé, à toi ?

– Très peu. Il m’a dit son prénom et il a acquiescé à ce que je lui ai expliqué... Tu aurais vu, il a passé la première demi-heure de la visite à trembler comme une feuille, ça m’a fait mal au cœur pour lui, je te le jure !

– Bon, on va lui laisser du temps. On ne sait jamais, il va peut-être se détendre !

Les deux garçons finissent par s’endormir, la tête pleine d’interrogations devant la bizarrerie de leur camarade de chambre.

Le lendemain, Francisco reste mutique malgré les efforts des deux adolescents pour le dérider. Il les suit de loin en loin, mais évite les contacts, qui semblent l’angoisser. Gustave se demande ce qu’a dû vivre Francisco pour être aussi distant et méfiant.

À l’inverse, il aime beaucoup passer du temps avec Augusto, qui est toujours d’humeur égale. Il manque par moments de finesse, se montre maladroit, mais sa franchise, son naturel et sa bonhomie font qu’il n’est jamais en colère contre lui. Il met chacun à l’aise et semble s’étonner de tout ce qu’on lui dit, de chaque élément nouveau. Le jeune homme a grandi dans la campagne andalouse et se réfère souvent à ce lieu, à ses traditions et ses valeurs. Il décrit son enfance comme « banalement heureuse », avec des parents attentifs, dont une mère qui lui prépare toujours son petit déjeuner, à son âge ! Il a donc peu l’habitude de se dépêtrer seul au quotidien : en comparaison, Gustave a vraiment vécu l’inverse : la ville impersonnelle, un père froid et absent et la débrouillardise comme unique moyen pour s’en sortir...

Pendant les temps de repas et de soirée, il sympathise un peu plus avec Heinrich et Carlos, qui lui racontent des anecdotes cocasses sur les surveillants et les professeurs, et ses fous rires lui arrachent des larmes. Il se tourne également vers Gunther, plus réservé, mais pourtant très amical avec lui.

En revanche, il n’arrive pas encore à s’approcher du petit groupe d’adolescentes qui a un espace bien déterminé au réfectoire. Est-ce qu’on les a placées là, ou ont-elles choisi de se rassembler ? Si certaines jettent quelques œillades dans sa direction, d’autres l’ignorent complètement.

Gustave a toujours été maladroit avec les filles, ne sachant pas comment attirer leur attention sans se mettre dans une situation embarrassante. Pourtant, il aimerait franchir le cap et échanger avec la petite brune ; elle semble avoir trouvé une copine, mais il voit bien qu’elle a le regard perdu dans ses pensées pendant que sa voisine tente de l’intéresser à son récit.

Les jours suivants, l’ambiance est lourde dans la chambre, chargée des mutismes de Francisco. Les adolescents oscillent entre leur préoccupation pour lui et l’envie de faire comme s’il n’était pas là, sans avoir besoin de le solliciter en vain.

Un soir, alors que règne un silence maintenant habituel dans la pièce, Gustave et Augusto sont étonnés d’entendre Francisco murmurer :

– Cisco. Vous pouvez m’appeler Cisco.

Les deux garçons, surpris, se redressent.

– Quoi ? objecte Augusto.

Le silence s’installe pendant quelques secondes, puis la voix fluette résonne de nouveau :

– Ma mère est peintre. Elle fait surtout des portraits... un peu particuliers. Mais très appréciés dans certains milieux. C’est pour ça que je m’appelle ainsi : Francisco. C’est le prénom de Goya, l’artiste, vous savez ? Mes parents pensaient que je deviendrais brillant, comme lui.

Il eut un petit rire triste.

– Mais quand ils ont vu que ce que je valais et que leurs espoirs resteraient vains, comme ils me l’ont dit un jour, ils ont diminué leurs ambitions en même temps que mon prénom. Je suis devenu Cisco, pour eux. Rien. Ou pas grand-chose. Une figure pâle dans leur belle villa colorée de La Plata. Cisco, voilà.

Francisco finit sa dernière phrase dans un chuchotement. Il s’éteint littéralement.

Les deux adolescents restent muets et pensifs à l’occasion de cette confidence. Puis Gustave dit :

– Ben nous on va t’appeler Francisco, et ici tu pourras être quelqu’un à part entière.

– Ouais, rajoute Augusto, qui ne sait pas quoi dire, mais veut se montrer solidaire. Compte sur nous mon gars.

– C’est gentil, mais... ce n’est pas la peine. Vraiment. répond Francisco d’une voix morne.

Puis il s’allonge sur son lit et se tourne contre le mur.

Continue to read this book for free
Scan code to download App

Latest chapter

  • Internato   ÉPILOGUE + REMERCIEMENTS

    ÉPILOGUEDernier extrait du journal de Gabriela:Je sens la mort venir... Je la devine. Et c’est d’autant plus difficile maintenant que je sais que la vie va jaillir de mon ventre ! Mon bébé va naître. Mon magnifique bébé. Je veux que cet enfant connaisse une agréable existence, calme et paisible, voire un joli destin. Je ne souhaite pas qu’il soit sali par la fin de mon histoire...J’ai vécu l’enfer ces derniers mois, mais jusque-là ma vie a été belle. J’ai grandi auprès d’un entourage affectueux, j’ai été choyée et encouragée par mes parents et mon cher frère, j’ai eu des amis... J’aurais adoré avoir un amant. Un vrai. Je ne voulais pas être déchirée par un monstre !Mais j’ai peur pour ce bébé qui ne m’aura pas à ses côtés pour s’épanouir dans les meilleures conditions... Je souhaiterais qu’il grandisse dans la joie, que ses futurs parents soient une bonne famille pour lui, qu’ils l’aiment, l’entoure

  • Internato   Chapitre 45

    Chapitre45Extrait du journal de GabrielaCela fait une éternité que je suis là: des semaines, des mois, le temps n’a plus d’importance. J’ai fini par parler, je n’ai pas pu tenir indéfiniment. Isabel a eu ce qu’elle voulait: sa déclaration m’a anéantie, et quelques jours après sa visite, je lâchai tout: réseau, personnes impliquées... J’ai honte de l’avoir fait, mais j’espère que le laps de temps a été suffisant pour que chacun prenne la fuite et se prémunisse des représailles.Par moments, j’entends la voix d’Isabel résonner dans les couloirs: vient-elle rencontrer d’autres prisonniers qu’elle a elle-même fait arrêter, cette immondice ?En tout cas, elle n’est jamais revenue me voir, je ne l’aurais pas supporté.Mon existence ici n’a pas tellement changé depuis que j’ai donné mes camarades: les temps passés en salle de torture sont moins nombreux, mais je reçois les coups de Klaus et j’ai longtemps subi les viols de Sebastian plu

  • Internato   Chapitre 44

    Chapitre44Au premier étage, la fête bat son plein. Les rires et la clarinette de Sydney Bechet résonnent dans le parc. Les convives ne se rendent pas encore compte du drame qui se joue tout près d’eux et dont ils seront les principales victimes.Devant l’entrée, les adolescents se déchirent. Chacun campe sur ses positions et souhaite faire entendre raison aux autres. Le discours extrême de Marga a fait des émules, et ils sont cinq à se réjouir de la tournure des événements.Ce qui encourage Gustave, Léa, Augusto et leurs semblables, c’est qu’à contrario, leur groupe reste solidaire et campe sur ses positions. Ils ne peuvent pas laisser des humains mourir, quels qu’ils soient, et leur plan doit changer ! Nada se maintient plutôt en retrait, comme si elle ne parvenait pas à trouver sa place.Augusto lance alors:– Vous vous rendez compte que vous avez tout foutu en l’air ? Vous avez fini par leur rendre service !– Quoi ? réagit Stéphane, mais où tu vois qu’on leur ren

  • Internato   Chapitre 43

    Chapitre43Gustave dévisage les personnes qui l’entourent pendant qu’ils se dirigent tous du même pas vers le bâtiment principal de l’édifice. Sur les visages de ses camarades, il peut lire la rage pour certain, la peur pour d’autres, mais surtout, une détermination sans faille.Et le sien, qu’exprime-t-il aux yeux des autres ?Il se sent transporté à l’idée de cette cohésion et se rend compte que son avis a de l’impact, qu’il est écouté, considéré, comme il l’a rarement été auparavant. C’est grisant.Toutefois, une petite voix lui remémore ses lectures passées, notamment ce traité de Le Bon qui l’avait passionné: dans cet écrit, l’auteur démontrait que l’effet de groupe est forcément néfaste car le collectif exacerbe les débordements et la foule perd une partie de son intelligence quand elle agit de manière groupale.16Il ne veut pas y penser et se dit que pour eux ce n’est pas pareil, qu’ils sont mus par une identique envie de bien faire, mais il garde un certain sce

  • Internato   Chapitre 42

    Chapitre42Les étudiants eurent besoin d’un temps d’échange, comparant leurs lieux de naissance, les histoires qui leur ont été racontées, les difficultés relationnelles que la plupart d’entre eux rencontraient avec leurs parents. Ils ont tous, à un moment donné, entendu des récits sur leurs origines sans y apporter de regards critiques. Ils se rendent maintenant compte des incohérences ; là où ils pensaient leurs proches réservés ou maladroits, ils comprennent à présent que certains d’entre eux n’avaient pas été aimés, voire avaient même été les instruments de ces hommes et femmes. La colère enfle. Plusieurs d’entre eux poussent des cris de rage et extériorisent leur indignation.Medhi s’avance et demande:– Mais que peut-on faire maintenant ?– Les tuer !rugit Marga. Le leur faire payer, à la hauteur de ce qu’ils nous ont fait subir !– Non, je ne veux pas être comme eux, dit Léa.Surtout pas ! Et pourtant j’ai des motifs de les détester…Assass

  • Internato   Chapitre 41

    Chapitre41Extrait du journal de GabrielaLa journée avait été dure pour moi. J’avais dormi dans mes vêtements trempés, ce qui n’avait pas arrangé mon état: je tremblais sans discontinuer. Cette fois-ci, pas de nouvelle tunique: ils préféraient me laisser dans l’inconfort et devaient s’en délecter.La fièvre me gagnait et la séance de torture précédente m’avait plongée dans des moments d’inconscience inquiétants, mais malgré tout salvateurs. Les coups de fouet répétés sur toutes les parties de mon corps avaient laissé des traces sanglantes, et je n’osais pas enlever mes habits de peur que la peau, collée par le sang et le pus, ne se détache en même temps.Je ne voulais rien voir, rien ressentir. Je ne savais plus depuis combien de temps j’étais là, mais j’avais réussi à tenir, à ne pas parler d’Esteban et de mon réseau: un jour de plus de gagné pour assurer leur fuite.J’entendis des pas dans le couloir et je me recroquevillai à l’idée qu’ils vienne

More Chapters
Explore and read good novels for free
Free access to a vast number of good novels on GoodNovel app. Download the books you like and read anywhere & anytime.
Read books for free on the app
SCAN CODE TO READ ON APP
DMCA.com Protection Status