Chapitre 4

Camille a hoché la tête. « Oui, c’est moi. »

« C’est un courrier express pour vous, en livraison locale, » a dit le livreur en lui tendant un bordereau. « Je vous laisse signer, s’il vous plaît. »

Elle a pris le stylo, a signé et a rendu le reçu au livreur.
Il lui a tendu une pochette de documents.

Elle l’a remercié d’un simple « merci » et a refermé la porte.

Elle a ouvert le dossier. C’était le contrat de divorce qu’elle avait rédigé, avec la signature d’Alexandre Leclerc apposée en bas de page. Ses sourcils se sont légèrement arqués. Elle a posé calmement le dossier, puis a ouvert son ordinateur portable. Sa signature signifiait qu’il acceptait la répartition des biens telle qu’elle l’avait définie.

Des démarches administratives restaient nécessaires pour officialiser le partage des biens. Camille avait tout anticipé : elle avait préparé les photocopies de sa pièce d’identité, ses informations bancaires, ouvert un compte d’investissement. Elle avait même rédigé une procuration, expliquant qu’elle ne pouvait pas se présenter en personne et qu’elle mandatait Alexandre Leclerc en tant qu’avocat pour gérer l’ensemble de la procédure de divorce en son nom.

Elle a soigneusement rangé tous les documents dans une pochette, puis a contacté un coursier pour les faire livrer directement au cabinet d’avocats d’Alexandre.

Au même moment, Alexandre venait tout juste de s’asseoir à son bureau, au cabinet. Maître Léon, un confrère, est monté avec le coursier à sa porte. Depuis que Isabelle avait été arrêtée, Alexandre n’avait plus d’assistant temporairement.

« Une demoiselle Moreau m’a demandé de vous remettre ça. Pourriez-vous signer ici ? » a dit le livreur.

Alexandre a signé et a pris le dossier.

Une fois dans son bureau, il l’a ouvert.

Il a survolé rapidement les documents. Une grimace s’est dessinée sur son visage.
Elle continue son cirque ? pensait-il. Mais lorsqu’il a vu la lettre de procuration, il a perdu toute contenance.

Elle l’avait officiellement mandaté comme avocat pour gérer leur divorce ?
Parce qu’elle ne pouvait pas se présenter ?

Ha !

Très bien.

Même à ce stade, Alexandre était convaincu que Camille faisait tout ça par colère. Il ne croyait pas une seconde qu’elle ne l’aimait plus.

Elle l’avait tellement aimé autrefois, qu’il avait cru que cet amour était inépuisable. Qu’il pouvait le puiser sans fin.

Mais l’amour, oui, ça pouvait disparaître.

Il s’est rassis devant son bureau. Il a partagé équitablement tous les biens. Camille lui avait fourni toutes les infos : comptes bancaires, compte d’investissement… Il n’avait plus qu’à transférer sa part sur ses comptes. Les deux voitures ? Une pour chacun. Elles étaient déjà à leurs noms respectifs. Rien à faire. Le logement ? Il y avait des formalités à accomplir, mais là encore, Camille avait fourni tous les documents requis. Il a simplement demandé à quelqu’un de s’en charger. Concernant le certificat de divorce, la loi permettait que l’un des conjoints mandate un représentant si les circonstances personnelles l’empêchent de se présenter.

Puisqu’elle voulait aller jusqu’au bout, Alexandre a décidé de jouer le jeu à fond.

Il a accepté le mandat de Camille.

Et quand un grand avocat du cabinet de prestige s’engage sur un dossier, ce n’est pas pour faire semblant. Sous sa direction, la procédure a été traitée rapidement, efficacement. Le certificat de divorce a été obtenu sans délai.

Le tout — le certificat de divorce et les documents de propriété — a été emballé et envoyé par coursier express.

Quand la livraison est arrivée, Camille s’apprêtait justement à se rendre au poste de police pour récupérer sa voiture. Désormais innocentée, son véhicule n’était plus retenu. Elle allait le récupérer.

Camille a reçu le colis devant l’entrée de l’hôtel.

Léa l’attendait à la porte et l’a vue parler avec quelqu’un. Quand Camille est montée dans la voiture, elle lui a demandé : « C’était qui, à qui tu parlais ? »

« Un livreur express. » Camille a sorti le contenu de la pochette tout en répondant.

En voyant ce qu’il y avait dedans, elle n’a montré aucune expression particulière.

Léa s’est penchée pour jeter un coup d'œil… et a immédiatement lâché un juron : « Putain, déjà le certificat de divorce ?! C’est ultra rapide ! »

Camille a esquissé un sourire, léger, un peu amer. « C’est bien comme ça. »

Au fond d’elle, elle aussi se sentait un peu saisie par la tournure. Elle n’avait pas imaginé que tout irait aussi vite. Et surtout… aussi facilement.

Avait-elle sous-estimé l’efficacité d’Alexandre ?

Ou peut-être… avait-il eu envie de divorcer depuis bien longtemps ?

« Tu tiens le coup ? » a demandé Léa, dans une tentative sincère de la réconforter.

Camille a rangé soigneusement les papiers, a levé les yeux avec un sourire paisible. « Ça va. »

La sonnerie du téléphone de Léa a soudain retenti.

Comme elle conduisait, elle a décroché en mains libres, via le Bluetooth intégré à la voiture :

« Demain, passe m’acheter un petit bonsaï de pin noir. »

« Oui, oui, j’ai compris. » a-t-elle répondu distraitement, avant de tourner la tête vers Camille :
« Cami est à côté, elle… »

Mais avant qu’elle ait pu finir sa phrase, l’appel a été coupé.

Léa a soufflé en éteignant l’écran : « Ce vieux têtu… Il t’en veut encore. »

Camille a serré les mains sur ses genoux.

Léa a gardé les yeux fixés sur la route. « Tu sais, Alexandre, c’est vraiment un enfoiré. Mon papi s’est mis en retraite anticipée à cause de ton mariage avec lui. Tu imagines ? À quel point il a été blessé quand t’as épousé ce type… Il n’a même jamais pu réentendre ton nom sans secouer la tête de désespoir. Et ce con d’Alexandre n’a même pas su te garder. »

Le nez de Camille a commencé à picoter. Elle a baissé les yeux, pleine de remords.

À l’époque, le professeur Lucien Vernay et le professeur Georges Renaud se disputaient un poste de professeur titulaire. Tous deux occupaient alors un rang de maître de conférences senior, le dernier échelon avant la titularisation. L’atout du professeur Vernay, c’était Camille. Celui du professeur Renaud, c’était Alexandre.

Le voyage à l’étranger, censé départager les candidats, s’était en réalité transformé en un duel indirect entre les deux maîtres.

Mais elle avait abandonné. Et cela avait brisé le professeur Vernay.

Ce n’était même pas ça, le plus douloureux. Ce qui l’avait détruit, c’était que la perle rare qu’il avait formée, au lieu de devenir juriste, avait fini bonne à tout faire dans la maison de l’élève de son rival : lessive, ménage, cuisine…

C’était comme si le professeur Vernay avait littéralement lavé les pieds du professeur Renaud.
Une humiliation totale.

Depuis, le professeur Vernay avait perdu tout élan.
Il avait pris sa retraite prématurément. Il n’avait plus jamais relevé la tête.

« Tu sais quoi ? Grâce à Alexandre, ce lèche-bottes, le professeur Renaud a été rappelé à l’université comme consultant émérite. »