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Chapitre 5

Author: PorteBonheur
Le professeur Renaud avait lui aussi atteint l’âge de la retraite. Grâce à la notoriété d’Alexandre, il avait, lui aussi, récolté une part de prestige.

« J’ai trahi le professeur Vernay… » a murmuré Camille en tournant la tête vers la fenêtre.

À l’époque, le professeur Vernay avait mis en elle tous ses espoirs. Il l’avait formée, soutenue.

Même Léa, sa propre petite-fille, n’avait pas reçu autant d’attention.

Et elle, comment l’avait-elle remercié ?

En l’humiliant, en ternissant la fin de sa carrière.

Tout ça, à cause de ses choix sentimentaux absurdes… À l’époque, elle avait le cerveau totalement embrouillé par l’amour. C’était elle qui avait fait perdre la face au professeur Vernay.

Des larmes ont jailli de ses yeux, incontrôlables.

« Allez, ne te flagelle pas comme ça. Mon grand-père et le professeur Renaud se sont battus toute leur vie. Ces deux-là étaient nés pour se chamailler. Et puis, tout ça, c’est du passé. Ne t’en rends pas malade, d’accord ? »

En voyant Camille pleurer, Léa s’est un peu affolée.

Elle a tenté de détendre l’atmosphère en changeant de sujet avec humour : « Tu crois que tu l’as déçu ? Attends… Moi, je l’ai fait enrager pour de bon ! Il rêvait que je devienne son héritière intellectuelle… Et qu’est-ce que j’ai fait ? Je me suis lancée dans la finance. Il en a été malade, il a boudé trois jours sans manger. »

Depuis toute petite, Léa avait été formée par son grand-père. Mais elle n’était pas faite pour le droit.
Même si elle avait été poussée à intégrer la faculté de droit, elle n’y avait jamais trouvé sa place.
Après l’obtention de son diplôme, elle avait discrètement bifurqué vers la finance. Parce qu’au fond, ni la passion ni le talent n’étaient là. Et on ne force pas un chemin qu’on n’aime pas.

Camille, la voix éraillée, a demandé doucement : « Et professeur Vernay… il va bien ? »

« Oui, très bien. Maintenant qu’il est à la retraite, il passe ses journées à jardiner, à nourrir ses oiseaux. C’est une vie paisible. Il y a même un groupe de danse pour les retraités au pied de l’immeuble, je lui ai proposé de les rejoindre… Il a roulé des yeux et m’a traitée de folle. Tu le connais : têtu comme une mule et vieux jeu avec ça. »

Un petit silence est tombé, puis Léa a proposé : « Je vais lui rendre visite demain. Tu veux venir avec moi ? »

Camille avait trop honte pour se présenter devant lui.

C’était elle qui l’avait empêché d’obtenir sa titularisation. Elle avait saboté tous ses espoirs.

« J’irai quand j’aurai retrouvé un travail. » Elle a regardé ses mains.

Elle voulait revenir avec quelque chose à montrer, pour pouvoir le regarder en face.

Ce n’était qu’à ce moment-là qu’elle se sentirait digne de lui.

Léa n’a pas insisté. Elle savait que Camille avait besoin de temps.

En jetant un œil à ses mains, Léa a grimacé légèrement. « Tes mains étaient si belles, avant… »

Elle les avait toujours enviées : des doigts fins, souples, une peau claire et douce.

Camille avait tout : un visage superbe, et des mains d’une élégance rare.

Mais elle a souri, amèrement. À cause des obsessions de propreté d’Alexandre, elle avait tenu la maison d’une main de fer, sans jamais déléguer. Tout devait être impeccable. Elle faisait tout elle-même.

Et comme il rentrait chaque jour exténué, elle avait même appris le massage professionnel pour le détendre.

Les années de tâches ménagères et de soins l’avaient changée. Ses mains étaient devenues plus rêches, ses doigts moins fins qu’autrefois.

« Ce connard n’a jamais su la chance qu’il avait. Sérieusement ! Une juriste bac + 8 qui lui servait de bonniche pendant qu’il allait tromper ailleurs ? Il aurait mérité de se faire écraser par un bus ! » a lâché Léa, furieuse.

Camille, elle, s’est contentée de sourire doucement.

« Oh ! Attends, j’ai failli oublier ! » s’est exclamée Léa. Au feu rouge, elle a fouillé dans son sac et a tendu une carte de visite à Camille.

« Qu’est-ce que c’est ? » a demandé Camille, intriguée.

« Tu ne cherchais pas du boulot ? » a souri Léa. « Je t’ai recommandé à un cabinet. »

Camille a pris la carte et l’a levée à la lumière. Sur le papier blanc immaculé, un nom s’affichait : « Sébastien Meunier ? »

« Mmmh. » Léa a esquissé un sourire fier.

Camille, elle, avait complètement perdu son calme. Même si elle était devenue femme au foyer après l’obtention de son diplôme, ce nom-là, dans le milieu juridique, était légendaire.

Sébastien Meunier. On disait de lui qu’il était un mystère. Personne ne connaissait réellement ses origines ni son parcours.

Mais une chose était certaine : il était le démon du barreau.

Dans les tribunaux, il était surnommé « l’avocat le plus redouté de la planète », et sa rhétorique tordue, ses fameuses "plaidoiries paradoxales", avaient fait fuir plus d’un juge. Certains refusaient même de présider les audiences où il plaidait.

Affaire après affaire, il avait marqué les esprits avec des retournements spectaculaires, intervenant toujours au moment où tout semblait joué. On racontait qu’il n’existait aucun procès qu’il ne pouvait gagner.

À vrai dire, il semblait improbable que Léa ait pu obtenir le contact d’un homme pareil.

Après tout, elle ne faisait même pas partie du milieu juridique.

Mais Léa, comme si elle avait deviné les doutes de Camille, a soufflé avec un petit rire sarcastique :
« Je ne suis peut-être pas brillante, mais n’oublie pas d’où je viens. Mon grand-père est professeur de droit à l’université, mon père est magistrat… C’est juste moi qui n’ai pas été à la hauteur. Mais même sans carrière, j’ai encore un peu de réseau, tu vois ? Alors évite de me prendre pour une incapable. »

Camille a bien compris.

Elle serrait la carte entre ses doigts.

Léa s’est finalement résignée à avouer la vérité, d’un seul souffle : « Bon… Je vais pas te mentir : j’ai parlé de ton divorce à mon grand-père. C’est lui qui a contacté Sébastien Meunier. Il veut que tu fasses tes preuves avant d’aller le voir. »

Elle n’était clairement pas douée pour mentir.

Camille l’avait deviné.

Sans l’intervention du professeur Vernay, jamais elle — simple femme au foyer sans expérience — n’aurait eu accès à une pointure comme Sébastien Meunier.

Elle a relevé les yeux. « Merci. »

Léa l’a regardée de côté, un sourcil levé : « Je suis la seule à qui tu dis merci ? »

Camille a esquissé un sourire. « Le jour où j’aurai rendu au professeur Vernay l’honneur qu’il mérite, je lui présenterai mes excuses en personne. »

Son regard s’était durci.

Déterminé.

« Je compte sur toi. » Léa a souri à son tour.

En parlant, elles étaient arrivées devant le poste de police.

« Tu veux que je t’accompagne ? » a proposé Léa.

« Pas la peine. J’ai juste une signature à faire pour récupérer la voiture. Va, je te retiens pas. » Camille est descendue de la voiture.

« OK. » a répondu Léa, en redémarrant.

Camille a salué de la main, puis est entrée au poste.
Elle a signé les documents, et est ressortie au volant de sa voiture.

Elle s’est rendue dans une entreprise de rénovation. Elle avait gardé le petit appartement, mais l’intérieur n’était que le reflet de la vie qu’elle avait partagée avec Alexandre. Chaque pièce, chaque meuble lui rappelait leur passé. Elle avait donc décidé de tout raser, tout refaire à zéro.

Vivre à l’hôtel n’était pas une solution durable.

Elle ne voulait plus voir la moindre trace d’Alexandre. Alors elle avait chargé l’entreprise de vendre les anciens meubles sur le marché de l’occasion. Tous les objets qu’il utilisait peu, elle les avait jetés. Même ses propres affaires, celles d’« avant », elle s’en était débarrassée.

Avec le designer, elle avait validé les plans, choisi les matériaux. Puis elle avait signé le contrat, versé l’acompte, et laissé les clés. Le reste, elle leur avait laissé. Qu’ils s’occupent de tout.

Puis, elle est passée à la banque. Elle avait obtenu quarante millions d’euros en liquide, et vingt millions placés en fonds d’investissement. Les fonds, elle les a laissés. Sur les quarante millions, elle en a mis vingt en dépôt à terme — à un bon taux.

Elle a gardé les vingt autres millions.

Léa travaillait dans la finance, et elle avait des objectifs à atteindre. Camille avait donc décidé d’investir les vingt millions restants via Léa. C’était un coup de pouce — et une manière de lui dire merci.

Quand elle a terminé toutes ses démarches, il était déjà tard. Elle est rentrée à l’hôtel pour passer la nuit.

Le lendemain matin, elle s’est levée de bonne heure. Assise sur le bord du lit, elle fixait la carte de visite, hésitante. Le numéro de téléphone brillait sous la lumière du jour. Elle a attendu quelques minutes. Puis, elle a fini par composer.

Après quelques tonalités, une voix grave et posée a répondu :

« Allô. »
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