Deux semaines plus tard, tout avait changé. Comme si le vent avait tourné. La misère semblait s’être éloignée, remplacée par une étrange sensation de calme et de fierté.
Fabrice venait de signer le bail d’une petite maison neuve, légèrement en retrait du tumulte du centre-ville. Elle n’était pas grande, mais elle était propre, fraîchement peinte, et surtout… saine. Plus de murs qui s’effritent, plus de toit qui goutte. Trois chambres, un petit jardin où pousseraient bientôt quelques fleurs, et une cuisine avec des carreaux blancs impeccables.
Le jour de l’emménagement, sa mère resta longtemps sur le pas de la porte, les mains sur la bouche.
— Mon Dieu… c’est vraiment pour nous, ça ? C’est pas un rêve ? souffla-t-elle.
Fabrice rit doucement.
— Touche les murs, maman. C’est bien réel.
Elle posa sa main sur le chambranle de la porte, comme pour en vérifier la solidité.
— Tu es sûr qu’on peut payer ça chaque mois ? Fabrice… je ne veux pas de dettes. Je ne veux pas de mauvaises surprises.
— Maman, j’te le promets. Le vieux Libanais me paie bien. Et j’ai mis de côté. On est à l’abri pour un moment.
Il mentait sans trembler, sans honte. Ce mensonge-là, il l’avalait comme un médicament amer mais nécessaire.
Diane, elle, courait dans tous les sens.
— J’ai ma propre chambre ! Avec une vraie fenêtre ! Et… regarde ! On a même un petit couloir ! On peut courir dedans !
Sa joie pure réchauffa le cœur de Fabrice. Il s’accouda au chambranle de la porte, les bras croisés, le regard posé sur sa famille. Ce moment valait toutes les nuits blanches, tous les risques, toutes les sueurs froides. Pour la première fois, il avait l’impression d’avoir fait quelque chose de bien.
Sous les lattes du plancher de sa chambre, bien dissimulés, dormaient des liasses de billets. Ce trésor volé représentait l’espoir d’un nouveau départ. Mais Fabrice savait : le vrai défi, ce n’était pas de monter… c’était de rester au sommet.
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Le restaurant ouvrit quelques jours plus tard.
Un petit local au coin d’une rue animée, tout près d’un marché populaire où les odeurs de poissons fumés, d’épices et de fruits mûrs emplissaient l’air dès l’aube. Fabrice avait négocié le bail lui-même, fait repeindre la façade, installé une enseigne en bois sculpté à la main. Dessus, il avait fait graver en lettres dorées :
Chez Maman Rose
Quand sa mère vit le nom pour la première fois, elle posa une main tremblante sur sa poitrine.
— Fabrice… c’est… c’est moi ? C’est mon prénom ? Tu as appelé le restaurant comme ça ?
— Bien sûr. T’es la chef ici. La reine de cette cuisine. Le monde doit le savoir.
Elle éclata en sanglots, et le serra fort contre elle.
— Je ne mérite pas tout ça… j’ai juste fait ce que n’importe quelle mère ferait.
— Non, maman. Tu t’es battue pour nous. Tu t’es privée pour nous. Tu mérites plus que ça, mais c’est un bon début.
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Le premier jour d’ouverture fut un petit miracle. Les clients affluaient. Les anciens voisins, les mamans du quartier, des curieux attirés par les bonnes odeurs… même un policier passa commander un plat de poisson braisé, avec du riz au coco et des bananes plantains frites.
En cuisine, Rose s’activait comme une chef étoilée. Elle portait un pagne coloré, un grand sourire, et une serviette nouée autour du front. Sa passion pour la cuisine, longtemps confinée à leur petite maison humide, explosait enfin au grand jour.
Diane, en robe verte à pois blancs, tenait la caisse avec un sérieux adorable. Chaque fois qu’elle encaissait un client, elle lançait un sourire immense :
— Merci d’être venu chez Maman Rose ! Revenez vite, hein !
Fabrice, lui, restait un peu en retrait, assis près du comptoir. Il observait. Il souriait. Parfois, il se levait pour aider à servir une assiette, porter un plat à la terrasse, ou charrier un client.
— T’es le patron ? lui demanda un homme d’un certain âge.
— Moi ? Non, non. La patronne, c’est ma mère. Moi, je suis juste le fils.
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Le soir venu, après avoir fermé la grille métallique, ils comptèrent la recette. Le tiroir-caisse était bien rempli. Rose n’en revenait pas. Elle s’assit sur une chaise, le visage couvert de sueur, mais les yeux brillants.
— On a vraiment fait ça ? Tout ça… c’est à nous ?
Fabrice vint derrière elle, posa les mains sur ses épaules.
— Et c’est que le début. T’as vu comment les gens sont revenus deux fois ? Trois fois ? T’as un don, maman.
Elle tourna la tête vers lui. Une lueur étrange dans ses yeux. De la gratitude, de la fierté, mais aussi une sorte de pressentiment.
— Fabrice… je ne sais pas ce que t’as fait pour avoir cet argent. Et je vais pas poser de questions. Mais… je sens que Dieu t’a regardé aujourd’hui. Peut-être qu’il t’a pardonné. Peut-être qu’il veut te donner une seconde chance.
Il baissa les yeux. Il n’avait pas la force de répondre.
Il garda ce moment en lui comme un trésor, comme une photo intérieure qu’on ne veut jamais effacer.
Mais au fond, là où ses pensées devenaient sombres, il le savait :
Le bonheur, il l’avait goûté. Maintenant, il fallait prier pour qu’il dure.
6h00 – Chez NathanLa lumière du petit matin passait à travers les rideaux tirés. Nathan, assis au bord du lit, fronçait les sourcils. Sa montre affichait 6h00. Il regarda autour de lui, puis se leva et entra dans le couloir.Il frappa légèrement à la porte de la chambre de sa fille, mais aucun son ne vint. Il tourna la poignée doucement. Lit vide. Draps défaits.Il revint vers la chambre conjugale, les sourcils froncés, légèrement tendu.Nathan : — Chérie… tu sais où est Nina ? Je l’ai pas vue hier soir. Et là, elle est pas là non plus…Sa femme, encore à moitié endormie, ouvrit les yeux lentement.Femme de Nathan (voix pâteuse) : — Elle est rentrée très tard hier… vers deux heures du matin, je crois. Elle m’a dit qu’elle sortait d’un “rendez-vous urgent” au cabinet. Elle doit encore dormir.Nathan secoua la tête, peu convaincu.Nathan : — Son lit est vide. Elle est pas là.Elle se redressa un peu, maintenant bien réveillée.Femme de Nathan : — T’es sûr ? Peut-être qu’elle est partie
16h45. Le Café Azure baignait dans une lumière dorée. En terrasse, quelques clients sirotaient leurs boissons, insouciants. Le bruit régulier des voitures au rond-point rythmait l’après-midi.Fabrice était déjà là. Assis à une table isolée, dos au mur, il observait les alentours avec calme. Il portait une veste sombre, une casquette abaissée sur ses yeux. Son téléphone était posé face cachée, une tasse de café à moitié vide devant lui.Il jeta un œil à sa montre. 16h58.Soudain, une silhouette féminine apparut au coin de la rue. Nina.Elle portait une robe fluide, des lunettes de soleil et une petite sacoche en bandoulière. Elle s’arrêta quelques secondes, scrutant les visages, avant de s’approcher lentement de la table.— C’est vous qui avez appelé hier ?Fabrice leva les yeux, retira sa casquette.— Oui. Assieds-toi, s’il te plaît.Elle s’installa prudemment, le regard méfiant.— J’espère que vous avez une bonne raison. J’ai hésité à venir.— Tu as bien fait. Je vais être honnête. J
La journée s’était déroulée dans une apparente normalité. Comme toujours, Fabrice était revenu au restaurant à l’heure, le visage éclairé d’un sourire tranquille. Il s’était remis derrière le comptoir, plaisantant avec les habitués, lançant des regards complices à sa mère qui surveillait la salle d’un œil vigilant.Mais au fond de lui, le tumulte grondait. La photo de Nina, pliée dans sa poche intérieure, brûlait contre sa poitrine comme une alerte silencieuse.À 21h00 tapantes, comme chaque soir, ils fermèrent les portes du restaurant. La routine était bien rodée : empiler les chaises, essuyer les dernières tables, passer un dernier coup de balai. Une fois la caisse comptée et verrouillée, ils sortirent ensemble, bras chargés de restes à emporter.Sur le chemin du retour, sa mère bavardait, racontant une anecdote avec un client grincheux, riant doucement. Fabrice répondait par des hochements de tête, un mot ici ou là. Mais son esprit était ailleurs, figé sur ce qu’il s’apprêtait à fa
Le soleil de fin de matinée baignait le petit restaurant familial d’une lumière chaude et dorée. Les nappes à motifs rouges vibraient légèrement sous les ventilateurs de plafond. Le parfum du poisson braisé se mêlait à celui du riz parfumé, éveillant les sens et l’appétit des clients assis aux tables.Derrière le comptoir en bois ciré, Fabrice tapait rapidement sur sa tablette, envoyant les dernières commandes en cuisine. Il portait un t-shirt noir simple, un tablier noué à la taille, et gardait toujours un œil attentif sur la salle. Ce petit coin de paix, il l’avait construit avec sa mère, brique après brique.À la caisse, sa mère, une femme d’un certain âge au regard doux mais perçant, refermait le tiroir de la machine, un sourire satisfait sur les lèvres.— Tu vois, Fabrice ? souffla-t-elle. Ce petit rêve est devenu grand. Grâce à toi.Fabrice leva les yeux, visiblement touché. Il s’essuya les mains sur son tablier.— Grâce à nous, maman. Il marqua une pause. Sans toi, je n’aurais
Minuit passé. Bureau du gouverneur, Palais régionalLa pièce respirait le pouvoir : murs recouverts de boiseries nobles, tapis épais, tableaux d’art contemporain mêlés à des portraits d’hommes d’État. Sur le mur de droite, plusieurs écrans de surveillance diffusaient en boucle des images de la ville endormie.Le gouverneur, un homme d’apparence calme mais calculatrice, se tenait debout devant l’un des écrans, les bras croisés. À ses côtés, Vital, le bras droit officiel… mais officieusement, beaucoup plus que cela. Assis à un bureau secondaire, un technicien faisait défiler des lignes de code sur un grand moniteur.— Tous les fichiers sensibles ont été effacés, déclara le technicien. Rien ne subsiste sur les serveurs. Aucun miroir distant, pas de sauvegarde automatique. Même les journaux d’accès ont été nettoyés.— Et les caméras internes ? demanda le gouverneur.— Désactivées quinze minutes avant l’intrusion. Aucun enregistrement vidéo. C’est comme si personne n’était jamais entré.Le
22h40 – Entrepôt désaffecté, zone industrielle EstL’air était humide, chargé d’électricité statique. L’intérieur de l’entrepôt sentait la rouille, l’huile sèche et le vieux bois. Des lampes portatives projetaient des faisceaux jaune pâle sur une grande table couverte de plans, de cartes thermiques, et d’outils électroniques. Le silence régnait, presque religieux, troublé seulement par le bruit régulier d’une goutte tombant d’une canalisation rouillée.Autour de la table, les cinq hommes se tenaient debout, tendus comme des arcs. Fabrice, mâchoire serrée, regardait fixement les plans.— Chef… On a vu les détails de la mission, dit-il enfin, la voix basse mais ferme. On parle d’un lieu surveillé, des gardes armés, des caméras thermiques… Et vous nous offrez deux cent mille ? C’est peu, franchement. Cette mission… c’est pas du jeu.Un murmure d’approbation parcourut le groupe. Winner, adossé à une poutre métallique, hocha la tête.— Fabrice a raison. Le risque est trop élevé pour une pa
06h34. Quartier des Ambassades. Villa Nathan.Le ciel s’illuminait lentement d’un bleu pastel, annonçant une journée calme et prometteuse. Le jardin de la villa baignait dans une brume légère, et les premiers chants des oiseaux résonnaient entre les palmiers. La villa, spacieuse mais sobre, respirait le bon goût d’une famille discrète mais influente.À l’intérieur, dans une cuisine ouverte et baignée de lumière tamisée, l’odeur du pain grillé, du beurre chaud et du café arabica emplissait l’air. Une table ronde en bois massif, usée par les années mais pleine de souvenirs, trônait au centre. Trois tasses de porcelaine blanche fumante y étaient posées.Nathan, en chemise décontractée, sans cravate pour une fois, feuilletait distraitement un journal. Ses lunettes glissées sur le nez, il fronçait légèrement les sourcils en lisant un article sur les réformes.Nina, sa fille aînée de 22 ans, débarqua pieds nus, un pyjama ample sur les épaules, les cheveux attachés à la va-vite. Elle s’écrou
00h17. Entrepôt désaffecté, zone industrielle, sortie nord.La nuit avait englouti les rues, les phares d’un dernier camion avaient disparu depuis longtemps. Un vent froid s’engouffrait à travers les planches disjointes, faisant siffler des gémissements presque humains. Le sol craquait sous les pas, les poutres grondaient par moments, comme si le bâtiment lui-même retenait son souffle.Au centre de cet espace poussiéreux, cinq silhouettes noires formaient un cercle. Leurs visages à moitié dissimulés par des bonnets, des capuches, des foulards. Des regards tendus, des mâchoires serrées. Ils attendaient. Sans un mot.Une porte métallique grinça lentement.Vital entra.Vêtu d’un manteau militaire noir, col remonté, casquette basse, silhouette droite, froide. Il portait à la main une tablette sécurisée d’où émanait une lumière bleutée.Il s’arrêta face au groupe, ne disant rien pendant plusieurs secondes. Le silence devint pesant. Puis, calmement, il parla.— Messieurs, ce qu’on va faire
Palais Émeraude. 10h47 du matin.La salle de réunion était silencieuse, baignée par une lumière douce filtrée à travers d'épais rideaux couleur ivoire. L’air sentait le cuir neuf, le bois poli et le parfum discret des puissants.Autour d’une grande table ovale en marbre noir, siègent huit hommes, costumes impeccables, regards aiguisés. Nathan, toujours droit, costume bleu nuit taillé sur mesure, était celui qui tenait la parole.— La sécurité économique du pays passe avant nos ambitions personnelles, dit-il, articulant chaque mot avec gravité. Nous avons les ressources, les compétences… mais si la confiance du peuple s'effondre, nous aurons bâti un château sur du sable.Face à lui, certains hochèrent la tête. D’autres restaient impassibles.À sa droite, le Gouverneur affichait un calme parfait. Mains croisées sur le dossier, il jouait la carte du soutien loyal.— Votre vision est noble, Nathan, dit-il d’un ton posé. Et je vous soutiendrai jusqu’au bout. Le pays a besoin d’un homme dro