LE ROI
Lorsque je quitte la cellule, l’air des couloirs semble plus froid qu’à l’aller.
Ce n’est pas seulement le contraste de température c’est autre chose, une morsure sourde qui s’infiltre sous ma peau. Comme si l’obscurité des lieux avait gardé un peu de ce qui vient de s’y passer.
Les torches crépitent toujours, mais leur lumière paraît terne après la chaleur trouble qui régnait là-bas. Mes pas claquent contre la pierre, plus nets, plus secs, et chaque écho sonne comme un battement de tambour, régulier, obstiné.
Les gardes se redressent à mon passage, raides comme des statues.
Ont-ils entendu ? Ont-ils deviné ?
Je les sonde du regard, un à un. Pas un mot, pas même un souffle plus fort que l’autre. Mais ce silence-là est presque une confession. Dans un palais, les murs ont toujours des oreilles… et les geôles, plus encore.
Je remonte l’escalier en colimaçon. La pierre est glaciale sous ma main, l’humidité suinte jusque dans la paume. La rumeur du palais remonte vers moi : éclats de voix, bruits de bottes, tintement des armures, parfum de cire chaude mêlée à l’encens. Mais au milieu de ces sons ordinaires, j’entends encore… elle.
Sa voix, posée comme une main invisible sur ma nuque. Ses gestes, imprimés quelque part entre mes paupières et ma mémoire.
Je franchis la lourde porte de pierre qui sépare les geôles du reste du palais. Ici, l’air semble plus léger, mais je sens mes épaules se tendre d’instinct. Deux silhouettes se tiennent là, comme si elles attendaient depuis longtemps.
Calandra et Lyria.
Elles sont proches, trop proches l’une de l’autre pour que ce soit naturel. La distance mesurée de leurs corps trahit un duel silencieux. Calandra incline légèrement la tête, son sourire parfaitement étudié le genre de sourire qui promet la douceur et livre le poison.
— Majesté… vous avez passé beaucoup de temps en bas, glisse-t-elle avec cette voix soyeuse qui laisse derrière elle un parfum de miel. J’espère que cette… étrangère ne vous a pas trop importuné.
Lyria, à sa gauche, esquisse un mouvement de tête à peine perceptible. Ses yeux, d’un vert trouble, me fixent avec une intensité presque physique, comme si elle me déshabillait, non de mes vêtements, mais de mes certitudes.
— On dit qu’elle vient d’ailleurs, souffle-t-elle. D’un ailleurs… qui pourrait troubler bien plus que votre emploi du temps, Majesté.
Je m’arrête devant elles, les mains croisées dans le dos.
— Ce qu’on dit ne m’intéresse pas. Ce que je sais, en revanche…
Je laisse ma phrase suspendue, volontairement.
Calandra fronce légèrement les sourcils, piquée au vif. Lyria garde ce demi-sourire énigmatique qui me donne l’impression qu’elle sait exactement à quoi je pense ce qui, évidemment, m’agace.
— Une femme comme elle, reprend Lyria, ne survit pas longtemps sans apprendre à… influencer les hommes. Et certains… sont plus réceptifs que d’autres.
Son regard s’attarde sur moi une fraction de seconde de trop.
Je devine ce qu’elle veut : planter la graine du doute, m’amener à agir dans la précipitation. Calandra veut la même chose, mais avec une autre méthode. Deux prédatrices différentes, même proie. Moi.
Calandra pose alors une main sur mon bras. Sa paume est chaude, le parfum de sa peau se mêle à l’odeur de cire et d’encens.
— Laissez-moi m’occuper d’elle, Majesté. Une femme sait comment parler à une autre…
Je la fixe.
— Non , personne ne la touche.
Ma voix claque plus durement que je ne le voulais, et je vois, dans le bref regard que Calandra et Lyria échangent, qu’elles viennent de se trouver un ennemi commun : la prisonnière. Ce qui, paradoxalement, les rend dangereusement alliées.
Je poursuis ma route. Les couloirs semblent interminables, les tapis étouffent mes pas mais pas le tumulte de mes pensées.
Pourquoi ne l’ai-je pas arrêtée plus tôt ?
Pourquoi ai-je attendu qu’elle franchisse cette limite ?
Et surtout… pourquoi ai-je l’impression que c’est moi qui suis entré dans son piège, et non l’inverse ?
Arrivé devant mes appartements, je me retourne vers elles.
— Faites surveiller la prisonnière. Jour et nuit. Qu’elle ne parle à personne.
Elles s’inclinent, mais leurs sourires me disent qu’aucun ordre ne les arrêtera vraiment. Dans ce palais, les promesses ne sont que des pièces de théâtre, et les serments se rompent dans les coulisses.
Je sais déjà que cette nuit, la guerre ne se jouera pas sur un champ de bataille, mais dans les ombres, entre trois femmes et moi.
Et dans ce jeu-là, chaque geste, cha
que regard, peut être une déclaration… ou une trahison.
CalandraLe silence m’enveloppe après le départ précipité de la servante.Je reste immobile devant le miroir, mon sourire figé comme une lame. Le geste de ma suivante, suspendu dans mes cheveux, m’offre ce que je désirais : un instant d’arrêt, de pure sidération. Je contemple mon reflet. Les perles scintillent encore dans ma coiffure inachevée, mais mes yeux, eux, sont devenus deux braises.Il a osé.Il a brisé l’ordre invisible qu'il s'était imposé, qu’il avait toujours respecté. Le Roi a donné un matin à une autre.Un matin.Lui qui n’offrait que la nuit, lui qui congédiait toutes ses amantes au lever du jour comme des ombres indignes… il a laissé elle respirer l’aube dans ses bras.Je passe lentement mes doigts sur ma gorge, le long du collier de rubis. La pierre est glacée, mais dans mon ventre bout une lave sombre. Je ne pleure pas. Je ne crie pas. J’ai appris depuis longtemps à ne rien gaspiller : ni une larme, ni un mot. La douleur n’est qu’un métal brut. Je la fondrai, je la c
SeliaJe m’éveille dans une chaleur que je ne reconnais pas.Le lit n’est plus ce champ de bataille où l’on se consume avant de s’effondrer, mais une mer tiède, un cocon. Les draps pèsent comme une étreinte prolongée. J’entends encore, au loin, la plainte du vent contre les vitraux, mais ici tout est calme, étouffé, presque irréel.Je reste immobile, les yeux clos, car je crains que tout cela ne disparaisse si je bouge trop tôt. Dans le silence, je compte ses respirations contre ma nuque, profondes, lentes, régulières. Chaque souffle qui me frôle me rappelle que je suis encore ici, contre lui.Son bras est posé sur ma taille, lourd, possessif. Ses doigts, légèrement recourbés, semblent s’ancrer dans ma peau, comme s’il refusait de me laisser m’échapper. Le Roi dort. Il dort contre moi.Une vague d’irréalité me parcourt : jamais je n’avais entendu parler d’un tel matin. Les récits disaient le contraire : les portes s’ouvraient toujours sur le vide, les draps froids, les corps congédiés
SeliaJe croyais que tout s’éteindrait, qu’après la tempête viendrait le froid. Comme on ferme une porte, je m’apprêtais à me retirer dans l’ombre, à redevenir invisible. On m’avait appris à disparaître dès que l’ardeur s’évanouissait, comme les autres. J’avais entendu les murmures : le Roi n’aimait pas partager ses nuits. Même les plus belles n’avaient droit qu’à l’étreinte, jamais au sommeil.Je glisse hors de ses bras avec précaution. Mon souffle est encore court, mes jambes tremblantes, ma peau moite d’un feu qui tarde à mourir. Dans ma tête, la formule est déjà prête : Merci, mon Roi. Je la répéterai sans même y penser, comme un mot de passe pour sortir de la chambre et redevenir ombre.Mais sa main se referme sur mon poignet. Une pression ferme, presque tendre, qui me cloue sur place. Sa chaleur remonte par mon bras, m’empêche de bouger.— Reste.Le mot tombe, grave et sans détour, comme un ordre qui n’en est pas un.Je me retourne, interdite. Son visage n’est plus celui du feu,
Le RoiJe croyais trouver le repos, mais son souffle contre ma gorge me déchire comme une étincelle dans une poudrière. Ses doigts hésitent, effleurent à peine, puis se posent, s’accrochent, et alors tout s’embrase. La cendre n’a jamais dormi : elle n’attendait qu’un souffle pour éclater en flammes.Mon corps se tend, arc bandé, prêt à rompre. Je la saisis, incapable de retenue, incapable de raison. Elle est là, offerte et indomptable, et je l’arrache à l’illusion du repos. Le lit devient champ de bataille, autel et arène à la fois. Je la retourne, je l’attire contre moi, je la retiens comme si la perdre serait mourir.Chaque frisson qu’elle m’arrache est une arme qu’elle retourne contre moi. Chaque soupir est une gifle, chaque cri une chaîne. Je me croyais maître, mais c’est elle qui règne dans l’incendie.Son nom m’échappe, rauque, déchiré, comme une prière arrachée à mes entrailles. Ce n’est pas un mot : c’est ma confession, ma damnation.SeliaJe l’avais senti, depuis le premier i
Le RoiLe silence s’abat, épais, vibrant, mais il ne calme rien. C’est un silence qui gronde comme les braises sous la cendre, prêt à éclater au moindre souffle. Son corps est contre moi, chaud, palpitant, et je sens chaque battement de son cœur comme une pulsation qui se mêle à la mienne.Ma main reste sur elle, accrochée à sa peau comme si j’avais peur de la voir s’évanouir. Chaque effleurement est une brûlure douce, une morsure qui persiste longtemps après. Le lit, immense, royal, s’est changé en autel : chaque drap froissé garde le souvenir de nos gestes, chaque pli exhale la fièvre de ce qui vient de nous traverser.Je me penche. Mes lèvres touchent son front. Geste simple, presque chaste, mais je tremble. Parce que dans ce baiser discret se cache un abîme : la peur de la perdre, l’envie de la retenir, l’ivresse d’un homme qui, pour la première fois, sent qu’il n’est plus maître de lui-même.SeliaJe reste immobile, mais tout vibre en moi. La chaleur de sa main trace des cercles
Le RoiJe la tiens encore contre moi, la sentant vibrer sous ma main. Son parfum, doux et chaud, envahit mes narines, et je sens chaque muscle de mon corps se tendre. Lentement, je la soulève, et elle ne résiste pas. Au contraire, elle se laisse porter, confiante, consciente du pouvoir qu’elle exerce sur moi. Chaque frisson qui traverse son corps est un feu qui consume ma patience, qui m’électrise sans que je puisse me retenir.Le lit apparaît enfin devant nous, immense, vierge de toute trace. Ce soir, il devient notre sanctuaire, un espace où la seule loi est la lenteur et l’adoration. Je la dépose doucement, avec le soin d’un roi qui touche un trésor rare. Mes mains glissent sur sa peau, explorant ses bras, ses épaules, son dos, chaque caresse un hommage, une déclaration silencieuse de désir et de fascination.Je sens mon souffle se mêler au sien, court et chaud. Je veux graver chaque détail de son corps dans ma mémoire. Sa peau brille encore d’huile et d’eau, chaque mouvement qu’el