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Chapitre 5 — Les murmures du trône

Auteur: Déesse
last update Dernière mise à jour: 2025-08-13 00:59:24

LE ROI

Lorsque je quitte la cellule, l’air des couloirs semble plus froid qu’à l’aller.

Ce n’est pas seulement le contraste de température c’est autre chose, une morsure sourde qui s’infiltre sous ma peau. Comme si l’obscurité des lieux avait gardé un peu de ce qui vient de s’y passer.

Les torches crépitent toujours, mais leur lumière paraît terne après la chaleur trouble qui régnait là-bas. Mes pas claquent contre la pierre, plus nets, plus secs, et chaque écho sonne comme un battement de tambour, régulier, obstiné.

Les gardes se redressent à mon passage, raides comme des statues.

Ont-ils entendu ? Ont-ils deviné ?

Je les sonde du regard, un à un. Pas un mot, pas même un souffle plus fort que l’autre. Mais ce silence-là est presque une confession. Dans un palais, les murs ont toujours des oreilles… et les geôles, plus encore.

Je remonte l’escalier en colimaçon. La pierre est glaciale sous ma main, l’humidité suinte jusque dans la paume. La rumeur du palais remonte vers moi : éclats de voix, bruits de bottes, tintement des armures, parfum de cire chaude mêlée à l’encens. Mais au milieu de ces sons ordinaires, j’entends encore… elle.

Sa voix, posée comme une main invisible sur ma nuque. Ses gestes, imprimés quelque part entre mes paupières et ma mémoire.

Je franchis la lourde porte de pierre qui sépare les geôles du reste du palais. Ici, l’air semble plus léger, mais je sens mes épaules se tendre d’instinct. Deux silhouettes se tiennent là, comme si elles attendaient depuis longtemps.

Calandra et Lyria.

Elles sont proches, trop proches l’une de l’autre pour que ce soit naturel. La distance mesurée de leurs corps trahit un duel silencieux. Calandra incline légèrement la tête, son sourire parfaitement étudié le genre de sourire qui promet la douceur et livre le poison.

— Majesté… vous avez passé beaucoup de temps en bas, glisse-t-elle avec cette voix soyeuse qui laisse derrière elle un parfum de miel. J’espère que cette… étrangère ne vous a pas trop importuné.

Lyria, à sa gauche, esquisse un mouvement de tête à peine perceptible. Ses yeux, d’un vert trouble, me fixent avec une intensité presque physique, comme si elle me déshabillait, non de mes vêtements, mais de mes certitudes.

— On dit qu’elle vient d’ailleurs, souffle-t-elle. D’un ailleurs… qui pourrait troubler bien plus que votre emploi du temps, Majesté.

Je m’arrête devant elles, les mains croisées dans le dos.

— Ce qu’on dit ne m’intéresse pas. Ce que je sais, en revanche…

Je laisse ma phrase suspendue, volontairement.

Calandra fronce légèrement les sourcils, piquée au vif. Lyria garde ce demi-sourire énigmatique qui me donne l’impression qu’elle sait exactement à quoi je pense ce qui, évidemment, m’agace.

— Une femme comme elle, reprend Lyria, ne survit pas longtemps sans apprendre à… influencer les hommes. Et certains… sont plus réceptifs que d’autres.

Son regard s’attarde sur moi une fraction de seconde de trop.

Je devine ce qu’elle veut : planter la graine du doute, m’amener à agir dans la précipitation. Calandra veut la même chose, mais avec une autre méthode. Deux prédatrices différentes, même proie. Moi.

Calandra pose alors une main sur mon bras. Sa paume est chaude, le parfum de sa peau se mêle à l’odeur de cire et d’encens.

— Laissez-moi m’occuper d’elle, Majesté. Une femme sait comment parler à une autre…

Je la fixe.

— Non , personne ne la touche.

Ma voix claque plus durement que je ne le voulais, et je vois, dans le bref regard que Calandra et Lyria échangent, qu’elles viennent de se trouver un ennemi commun : la prisonnière. Ce qui, paradoxalement, les rend dangereusement alliées.

Je poursuis ma route. Les couloirs semblent interminables, les tapis étouffent mes pas mais pas le tumulte de mes pensées.

Pourquoi ne l’ai-je pas arrêtée plus tôt ?

Pourquoi ai-je attendu qu’elle franchisse cette limite ?

Et surtout… pourquoi ai-je l’impression que c’est moi qui suis entré dans son piège, et non l’inverse ?

Arrivé devant mes appartements, je me retourne vers elles.

— Faites surveiller la prisonnière. Jour et nuit. Qu’elle ne parle à personne.

Elles s’inclinent, mais leurs sourires me disent qu’aucun ordre ne les arrêtera vraiment. Dans ce palais, les promesses ne sont que des pièces de théâtre, et les serments se rompent dans les coulisses.

Je sais déjà que cette nuit, la guerre ne se jouera pas sur un champ de bataille, mais dans les ombres, entre trois femmes et moi.

Et dans ce jeu-là, chaque geste, cha

que regard, peut être une déclaration… ou une trahison.

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