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Chapitre 6 — Les chaînes dorées

Penulis: Déesse
last update Terakhir Diperbarui: 2025-08-13 01:06:53

SÉLIA

Deux jours , ou peut-être trois. 

Ici, le temps n’existe plus vraiment.

La pierre suinte une humidité tenace, l’air est lourd, chargé de l’odeur âcre de la moisissure. Parfois, une torche s’éteint dans un souffle, puis une autre se rallume au gré des passages des gardes, tous muets, tous distants. Depuis l’interrogatoire, aucun bruit familier. Aucun signe. Pas même un murmure.

Je devrais me réjouir de ce silence, mais il est pire que les cris.

Il déchaîne mes pensées, il fait resurgir tout ce que j’essaie de refouler.

Et mes pensées reviennent toujours à lui.

Je revois son regard, sombre et tendu, ce moment suspendu où il aurait pu céder… où il a préféré reculer. Pas avant que je ne sente sa respiration se suspendre, son corps presque trahir la maîtrise qu’il s’impose. Pas avant que mes doigts effleurent cette ceinture qui nous séparait la frontière entre son pouvoir et ma victoire.

Il a voulu me repousser, mais j’ai senti le doute , je creuserai cet élément , ce désir que j'ai vu dans son regard . 

Le bruit soudain d’un verrou qui tourne me tire de ma torpeur.

Trois hommes entrent, leurs pas mesurés. Des gardes, mais différents. Aucun n’empoigne ses armes. Aucun ne fait grincer les chaînes.

L’un d’eux, plus âgé, avance vers moi avec une lenteur posée, une voix basse qui ne manque pas de respect :

— Par ordre de Sa Majesté, vous quittez la cellule immédiatement.

Je reste assise, le souffle contenu.

— Et pour aller où ?

— Vous serez conduite dans les appartements réservés… à la favorite du roi.

Favorite ! Le mot roule dans mon esprit, lourd d’un éclat insidieux.

Bijou trop précieux pour être vrai, ou lame fine, si bien polie qu’on ne sent pas venir la coupure.

Je me redresse lentement, une question suspendue dans l’air.

— Quoi ? Mais ce n'est pas possible ? 

Un sourire froid fend la barbe poivre et sel de l’homme.

— Oh que si !

Je le fixe, puis tends les mains.

— Pas de chaînes ?

Il hoche la tête.

— Ordre du roi. À partir de maintenant, vous devez être traitée avec respect.

Respect !

Un mot qui sonne creux, qu’ils prononcent avec la bouche mais qui ne descend jamais jusqu’au cœur.

Ils m’escortent hors de la cellule.

Le couloir des geôles me paraît plus étroit, comme si la pierre elle-même voulait se refermer sur moi. Mais bientôt, l’air change.

Il devient tiède, parfumé d’encens et de cire chaude.

Les torches ont cédé la place aux chandeliers d’argent, dont les flammes vacillent doucement sous l’effet d’un souffle invisible.

Les murs de pierre nue se parent de tentures rouges et or, lourdes et chatoyantes, que le moindre froissement fait vibrer.

Nous montons un escalier en colimaçon aux marches usées, chaque pas résonnant dans le silence feutré.

Je sens le poids de cette ascension, aussi bien celui des étages que celui du destin qui m’attend là-haut.

Je suis consciente que je quitte la prison, mais pas la captivité.

À l’étage, deux servantes m’attendent.

Elles se tiennent droites, mains jointes, regard baissé, la posture parfaite des servantes de cour.

— Mademoiselle, annonce l’une d’une voix douce mais ferme. Par ordre de Sa Majesté, vous logerez désormais dans les appartements de l’aile Est. Vous y trouverez tout le confort… et les obligations… de votre nouvelle fonction.

Obligations !

Le mot glisse sur mes lèvres comme un avertissement glacé.

Elles m’entraînent dans un corridor richement tapissé, aux fenêtres grandes ouvertes sur des jardins que je n’avais jamais vus.

Les fleurs exotiques s’inclinent sous la brise du soir, et, plus loin, l’océan brille, coupant l’horizon d’une lame scintillante sous la lune.

Un instant, l’envie de fuir me traverse, furieuse, désespérée.

Mais un instant seulement.

Les portes de mes nouveaux quartiers s’ouvrent devant moi.

Un autre monde.

Des tentures de soie rouge sang, un lit à baldaquin recouvert d’une montagne de coussins brodés d’or, une table basse chargée de fruits mûrs et de flacons aux liquides ambrés.

Un parfum subtil flotte dans l’air, comme une caresse invisible, douce mais insistante.

Tout ici est pensé pour flatter les sens, pour adoucir les chaînes invisibles.

Tout est fait pour faire oublier la cage.

— Sa Majesté viendra peut-être ce soir, murmure une servante. Ou demain. Il décidera.

Elles me laissent seule.

Je m’avance vers un miroir ovale, son cadre sculpté d’or et d’ivoire.

La lumière des chandeliers accroche mes traits fatigués, les ombres encore marquées par la prison.

Mais mes yeux brillent plus fort qu’avant.

Pas de peur. Pas encore.

Plutôt une vigilance électrique, celle d’un joueur qui sait que la partie vient de commencer.

Un bruit léger, puis la porte s’ouvre sur une servante portant un plateau.

Sur celui-ci, un bol de soupe fumante, des morceaux de pain croustillant et un petit flacon de vin rouge.

Elle dépose le plateau avec précaution, comme si la moindre erreur pouvait me coûter cher.

— Voici de quoi reprendre des forces, mademoiselle.

Sa voix est douce, presque maternelle, mais ses yeux trahissent la consigne. Pas de faiblesses.

Je goûte la soupe, la chaleur du bouillon glissant dans ma gorge.

Le pain est frais, presque trop tendre pour un prisonnier.

Et le vin, léger, titille mes lèvres d’une promesse amère.

Les servantes s’éclipsent, me laissant à ce luxe étrange, à cette douceur presque insupportable.

Je suis lavée, vêtue d’une robe de lin propre, légère et fluide, dont le tissu effleure ma peau comme une caresse.

Chaque geste, chaque soin, semble pensé pour me rappeler que je suis désormais à la fois un trésor… et une captive.

Je ferme les yeux, laissant le silence m’envahir.

Les chaînes sont dorées, oui. Mais elles restent des chaînes.

Et je les briserai et je le façonnerais comme je peux .

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