LE ROI
Les marches humides s’enfoncent dans l’ombre comme si elles menaient hors du monde. Chaque pas résonne, avalé par la pierre, mais dans ce silence, le bruit devient presque un tambour, comme pour annoncer ma venue. Ici, l’air est plus lourd, saturé d’humidité et de cette odeur métallique qui colle à la gorge. Les torches crépitent paresseusement, jetant sur les murs des ombres qui ondulent comme des spectres.
Les gardes se redressent à ma vue, surpris. Aucun d’eux n’ose poser la question, mais je sens leur curiosité me frôler comme un courant d’air froid.
— Ouvrez la cellule… et déplacez-la.
Ma voix est sans appel, tranchante comme une lame sortie du fourreau.
Le geôlier baisse les yeux, hoche la tête et appelle deux hommes. Les chaînes grincent, les verrous protestent, et enfin… elle apparaît.
Elle..l’étrangère.
La lumière de la torche accroche son visage, sculpte l’ovale parfait de ses pommettes, fait briller ses yeux d’une lueur presque animale. Ses mains sont libres erreur ou calcul ? et son menton haut. Sa démarche est lente, volontaire. Une lenteur indécente, comme si chaque pas n’était pas une contrainte, mais un choix. Elle avance vers moi, et j’ai l’impression que ce sont mes pas à moi qui reculent, même si je reste immobile.
Je la conduis dans une cellule isolée. Plus vaste. Les murs sont proches, mais la lumière unique qui filtre de la torche les rend moins étouffants. La flamme danse sur ses traits, allume dans ses cheveux des reflets ambrés qui semblent vivants.
— Laissez-nous.
Le bruit des bottes s’éloigne, le verrou claque. Nous sommes seuls.
Elle s’adosse au mur, croise les bras, et me dévisage. Ce n’est pas un regard de prisonnière. C’est un regard de chasseuse qui attend que sa proie fasse le premier faux mouvement.
— Vous vouliez me parler ? demande-t-elle, sa voix basse caressant l’air, chaque syllabe comme un fil qu’elle tend vers moi.
— Qui êtes-vous ? Et d’où venez-vous ?
Ses lèvres s’étirent dans un sourire paresseux.
— Vous ne croiriez pas la vérité si je vous l'a donne .
Elle me jauge, lentement, comme si elle cherchait l’endroit exact où frapper.
— Mais je peux vous la raconter… si vous promettez de m’écouter jusqu’au bout.
Elle parle. Son récit s’installe comme une musique dans ma tête. Elle décrit un autre monde : lumière éclatante, musique qui envoûte, foule hypnotisée par ses gestes. Des corps suspendus à ses mouvements, prisonniers d’un rythme qu’elle seule commande. Sa voix coule, chaude, et ses mots effleurent ma peau comme un contact réel.
Puis elle s’interrompt. Et avance.
— Vous voulez savoir ce que je faisais là-bas ? Je peux vous le montrer.
Je devrais dire non.
Je devrais.
Mais je reste figé.
Elle commence à bouger. Ce n’est pas une danse, pas exactement. C’est un piège. Ses hanches ondulent, ses épaules roulent avec une lenteur calculée. Ses mains se lèvent, dessinent dans l’air des lignes invisibles, avant de glisser sur sa propre peau, comme pour rappeler que ce corps est sien, mais qu’elle décide à qui en offrir la vue. Ses cheveux glissent sur son épaule, découvrant la ligne de sa clavicule, l’ombre délicate de son cou , ils sont beaux... j'ai envie de les toucher .
Chaque geste est une provocation. Chaque ondulation, une invitation à franchir une limite.
Je sens mon corps réagir. Et je sais qu’elle le voit.
Ses yeux s’allument d’un éclat triomphant. Elle franchit la distance qui nous sépare, pas à pas, jusqu’à ce que je puisse sentir son souffle. Sa main effleure mon pourpoint. Pas un vrai contact, juste assez pour que je le ressente dans tout mon corps. Puis ses doigts descendent, avec cette lenteur cruelle, vers ma ceinture.
— Vous voyez… je peux faire bien plus que parler, murmure-t-elle.
Sa voix s’insinue dans mes veines comme un poison. La chaleur de ses doigts, même à travers le tissu, est une brûlure. Mon souffle se suspend. Pendant un instant… un seul… je la laisse faire.
Puis je la repousse , plus brutalement que je ne l’avais prévu prise de honte .
— Assez !
Elle recule, son corps ondule à peine sous le choc, et son sourire s’élargit.
Elle a vu.
Elle a senti.
— Oh… je crois que j’ai ma réponse, dit-elle d’un ton doux, presque moqueur.
Mon poing se serre.
— Vous ne me manipulerez pas.
Elle penche la tête, feint l’innocence.
— Bien sûr que non, Majesté. Je ne ferais jamais une chose pareille…
Mensonge éhonté. Et le pire, c’est que nous le savons tous les deux.
CalandraLe silence m’enveloppe après le départ précipité de la servante.Je reste immobile devant le miroir, mon sourire figé comme une lame. Le geste de ma suivante, suspendu dans mes cheveux, m’offre ce que je désirais : un instant d’arrêt, de pure sidération. Je contemple mon reflet. Les perles scintillent encore dans ma coiffure inachevée, mais mes yeux, eux, sont devenus deux braises.Il a osé.Il a brisé l’ordre invisible qu'il s'était imposé, qu’il avait toujours respecté. Le Roi a donné un matin à une autre.Un matin.Lui qui n’offrait que la nuit, lui qui congédiait toutes ses amantes au lever du jour comme des ombres indignes… il a laissé elle respirer l’aube dans ses bras.Je passe lentement mes doigts sur ma gorge, le long du collier de rubis. La pierre est glacée, mais dans mon ventre bout une lave sombre. Je ne pleure pas. Je ne crie pas. J’ai appris depuis longtemps à ne rien gaspiller : ni une larme, ni un mot. La douleur n’est qu’un métal brut. Je la fondrai, je la c
SeliaJe m’éveille dans une chaleur que je ne reconnais pas.Le lit n’est plus ce champ de bataille où l’on se consume avant de s’effondrer, mais une mer tiède, un cocon. Les draps pèsent comme une étreinte prolongée. J’entends encore, au loin, la plainte du vent contre les vitraux, mais ici tout est calme, étouffé, presque irréel.Je reste immobile, les yeux clos, car je crains que tout cela ne disparaisse si je bouge trop tôt. Dans le silence, je compte ses respirations contre ma nuque, profondes, lentes, régulières. Chaque souffle qui me frôle me rappelle que je suis encore ici, contre lui.Son bras est posé sur ma taille, lourd, possessif. Ses doigts, légèrement recourbés, semblent s’ancrer dans ma peau, comme s’il refusait de me laisser m’échapper. Le Roi dort. Il dort contre moi.Une vague d’irréalité me parcourt : jamais je n’avais entendu parler d’un tel matin. Les récits disaient le contraire : les portes s’ouvraient toujours sur le vide, les draps froids, les corps congédiés
SeliaJe croyais que tout s’éteindrait, qu’après la tempête viendrait le froid. Comme on ferme une porte, je m’apprêtais à me retirer dans l’ombre, à redevenir invisible. On m’avait appris à disparaître dès que l’ardeur s’évanouissait, comme les autres. J’avais entendu les murmures : le Roi n’aimait pas partager ses nuits. Même les plus belles n’avaient droit qu’à l’étreinte, jamais au sommeil.Je glisse hors de ses bras avec précaution. Mon souffle est encore court, mes jambes tremblantes, ma peau moite d’un feu qui tarde à mourir. Dans ma tête, la formule est déjà prête : Merci, mon Roi. Je la répéterai sans même y penser, comme un mot de passe pour sortir de la chambre et redevenir ombre.Mais sa main se referme sur mon poignet. Une pression ferme, presque tendre, qui me cloue sur place. Sa chaleur remonte par mon bras, m’empêche de bouger.— Reste.Le mot tombe, grave et sans détour, comme un ordre qui n’en est pas un.Je me retourne, interdite. Son visage n’est plus celui du feu,
Le RoiJe croyais trouver le repos, mais son souffle contre ma gorge me déchire comme une étincelle dans une poudrière. Ses doigts hésitent, effleurent à peine, puis se posent, s’accrochent, et alors tout s’embrase. La cendre n’a jamais dormi : elle n’attendait qu’un souffle pour éclater en flammes.Mon corps se tend, arc bandé, prêt à rompre. Je la saisis, incapable de retenue, incapable de raison. Elle est là, offerte et indomptable, et je l’arrache à l’illusion du repos. Le lit devient champ de bataille, autel et arène à la fois. Je la retourne, je l’attire contre moi, je la retiens comme si la perdre serait mourir.Chaque frisson qu’elle m’arrache est une arme qu’elle retourne contre moi. Chaque soupir est une gifle, chaque cri une chaîne. Je me croyais maître, mais c’est elle qui règne dans l’incendie.Son nom m’échappe, rauque, déchiré, comme une prière arrachée à mes entrailles. Ce n’est pas un mot : c’est ma confession, ma damnation.SeliaJe l’avais senti, depuis le premier i
Le RoiLe silence s’abat, épais, vibrant, mais il ne calme rien. C’est un silence qui gronde comme les braises sous la cendre, prêt à éclater au moindre souffle. Son corps est contre moi, chaud, palpitant, et je sens chaque battement de son cœur comme une pulsation qui se mêle à la mienne.Ma main reste sur elle, accrochée à sa peau comme si j’avais peur de la voir s’évanouir. Chaque effleurement est une brûlure douce, une morsure qui persiste longtemps après. Le lit, immense, royal, s’est changé en autel : chaque drap froissé garde le souvenir de nos gestes, chaque pli exhale la fièvre de ce qui vient de nous traverser.Je me penche. Mes lèvres touchent son front. Geste simple, presque chaste, mais je tremble. Parce que dans ce baiser discret se cache un abîme : la peur de la perdre, l’envie de la retenir, l’ivresse d’un homme qui, pour la première fois, sent qu’il n’est plus maître de lui-même.SeliaJe reste immobile, mais tout vibre en moi. La chaleur de sa main trace des cercles
Le RoiJe la tiens encore contre moi, la sentant vibrer sous ma main. Son parfum, doux et chaud, envahit mes narines, et je sens chaque muscle de mon corps se tendre. Lentement, je la soulève, et elle ne résiste pas. Au contraire, elle se laisse porter, confiante, consciente du pouvoir qu’elle exerce sur moi. Chaque frisson qui traverse son corps est un feu qui consume ma patience, qui m’électrise sans que je puisse me retenir.Le lit apparaît enfin devant nous, immense, vierge de toute trace. Ce soir, il devient notre sanctuaire, un espace où la seule loi est la lenteur et l’adoration. Je la dépose doucement, avec le soin d’un roi qui touche un trésor rare. Mes mains glissent sur sa peau, explorant ses bras, ses épaules, son dos, chaque caresse un hommage, une déclaration silencieuse de désir et de fascination.Je sens mon souffle se mêler au sien, court et chaud. Je veux graver chaque détail de son corps dans ma mémoire. Sa peau brille encore d’huile et d’eau, chaque mouvement qu’el