Mag-log inArnoldLa nuit est un serpent de glace lové autour de ma colonne vertébrale.Je suis assis dans mon bureau de l’hôtel, un verre de whisky négligé sur le bois poli. Je fixe la ville nocturne sans la voir. Les lumières de Berlin ne sont que des taches floues, des braises dans le brouillard de ma colère. Mais sous cette colère, plus froide, plus insidieuse, rampe un doute.Elle s’est souvenue.Ce n’est pas une totale réminiscence, bien sûr. Les protocoles ont tenu, les murs dans son esprit sont solides. Mais ils ont bougé. Un visage a traversé la brume. Un seul visage. Celui de Liam Sallow.Et son corps à elle a réagi. Ce choc, cette pâleur soudaine… c’était plus qu’une simple peur face à un inconnu. C’était une reconnaissance viscérale, charnelle. Une mémoire qui réside dans les muscles, dans les nerfs, dans ce pouls affolé que j’ai senti sous mes doigts.Élise est-elle toujours amoureuse de lui ?La question, venimeuse, tourne en boucle dans mon crâne. Pas l’amour tel que les romans le
ÉliseIl me guide vers la terrasse privée, un cube de verre suspendu au-dessus des eaux noires. La porte se referme sur le bruit du monde. Ici, il n’y a plus que le froid, le clapotis, et lui.Il se tient face à moi, son regard perçant.— Élise, dit-il, en pesant chaque mot. L’homme à la fenêtre. Tu te souviens de lui ?La question est un piège. Sincérité ou mensonge, les deux sont dangereux. Avouer que je me souviens, c’est révéler que son contrôle sur ma mémoire est imparfait. Prétendre le contraire, alors que mon corps a trahi un choc si violent, c’est risible.— Il… son visage… il m’a semblé familier, lâché-je, optant pour une semi-vérité vacillante. Mais je ne sais pas…— Son nom est Liam Sallow, coupe Arnold, ses yeux ne me quittant pas. Il a été ton mari. Avant.Il dit « avant » comme on dit « avant le déluge », « avant la chute ». Une époque révolue, sans importance.— Il ne l’est plus, poursuit-il, sa voix devenant plus douce, plus dangereuse. Il t’a abandonnée. Rejetée. Tu t
Arnold Et Élise… Ma douce, fragile Élise. Ce voyage à Berlin devait être une démonstration de pouvoir. Il se transforme en quelque chose de plus profond. Une épreuve. Pour elle. Pour moi. Une occasion de la voir, vraiment la voir, face à l’écho de son passé. Et de la rattacher à moi, une fois pour toutes, dans la conscience aiguë qu’il n’existe pas d’autre refuge que mes bras. Pas d’autre réalité que celle que je lui offre.Je me penche vers son oreille, mes lèvres frôlant le diamant froid.—Tu es la plus belle femme de cette pièce. De cette ville. Tu brilles à toi seule plus que toutes ces œuvres d’art.Elle frissonne.Je ne sais pas si c’est de plaisir ou de terreur.—C’est grâce à toi, murmure-t-elle, son regard fuyant le mien pour se poser sur une sculpture de glace qui pleure en fondant.Grâce à moi. Oui. Qu’elle s’en souvienne. Qu’elle s’en souvienne toujours.Mon téléphone vibre à nouveau. Klaus. « Il est là. Dans la rue. Il regarde. »Un sourire glacé étire mes lèvres. Le fant
ArnoldLa limousine glisse dans les rues nocturnes de Berlin, un silencieux poisson d’acier dans un courant de lumières froides. À mes côtés, Élise regarde défiler le paysage urbain. Son profil est une ligne de pureté contre la vitre teintée, éclairée par les néons intermittents. Les diamants aux oreilles captent chaque éclat, la parant d’une constellation personnelle, éphémère et factice. Ma constellation.Elle est belle. D’une beauté qui arrête le souffle et qui, depuis quelques semaines, me brûle les entrailles.Les rumeurs. Des chuchotements venimeux qui ont commencé à filtrer dans les cercles que je fréquente. Insidieux. « Elle s’ennuie, l’épouse parfaite. » « Un oiseau en cage a toujours envie de voler. » « On l’a vue parler longuement avec ce jeune conservateur à la Biennale de Venise… » Rien de concret. Rien qui puisse être saisi. Juste du vent empoisonné. Mais le vent peut éroder la montagne la plus solide.Marcus Thorne. Son nom me vient aux lèvres, un goût de bile. Lui et s
ÉliseLe jet privé est un cocon de silence et de luxe sourd. À quarante mille pieds au-dessus de l’Atlantique, le monde se réduit à ce bourdonnement feutré, à la lueur tamisée des lampes murales, et à la présence massive, immobile, d’Arnold assis en face de moi dans son fauteuil en cuir.Berlin. Le mot résonne dans ma tête comme une cloche fêlée. C’est pour Berlin que j’ai préparé ma fuite. Et voilà que c’est vers Berlin qu’il m’emmène. L’ironie est un serpent glacé qui se love autour de ma colonne vertébrale.— Tu es très silencieuse, mon trésor.Sa voix,grave et lisse, coupe l’air conditionné. Il ne lève pas les yeux de la tablette qu’il consulte, mais je sens son attention tout entière braquée sur moi, comme un projecteur.— Je suis un peu fatiguée, c’est tout. Le décollage me donne toujours le vertige.Le mensonge sort avec une fluidité d’actrice.Je détourne le regard vers le hublot, vers les ténèbres constellées d’étoiles et le vide infini. Un vide qui m’attire, un instant. Combi
LiamLe silence qui s’installe est lourd, chargé de sous-entendus qu’il me lance comme des appâts. Et je suis un poisson assez désespéré pour mordre.— Qu’est-ce que vous voulez dire ?— Rien. Juste une observation. C’est curieux, un effacement si complet. Pratique, presque. Pour lui. Un tableau vierge sur lequel il peut peindre le mariage de ses rêves.Ma main se serre autour du verre. La colère, vieille, rance, se mêle à une jalousie si violente qu’elle m’en coupe le souffle.— Elle n’est pas heureuse. Je la connais. Ce n’est pas elle.— Comment le saurais-tu ? rétorque-t-il doucement. Tu ne la connais plus. L’amnésie, Liam… ce n’est pas un sommeil. C’est une mort. L’Élise que tu as connue n’existe plus. Et celle qui existe maintenant appartient à Keswick. Corps et âme. Enfin… surtout corps. L’âme, c’est toujours un peu plus compliqué à posséder entièrement, tu ne crois pas ?Il pose son verre. Le son du cristal sur le formica est un coup de feu dans le brouhaha du bar.— Je représe







