VICTORJe regarde les gouttes de pluie se heurter au pare-brise comme des insectes pressés de mourir.Chaque impact est un compte à rebours.Chaque lumière de la ville qui vacille est une fenêtre qui se ferme sur ce que j’étais.Elle ne comprendra pas. Pas tout de suite. Peut-être jamais.Mais ce n’est pas pour qu’elle comprenne que je fais ça.C’est pour qu’elle n’ait plus le choix.Le cuir du volant grince sous mes doigts. J’ai trop de contrôle, ou pas assez.Mon chauffeur ne parle pas. Il sait. Je n’aime pas les voix inutiles.Un autre téléphone celui que personne ne peut tracer vibre dans ma poche.Code vert.Je ferme les yeux. Une seconde. Une seule.C’est le début.Je glisse la main dans la boîte métallique posée à ma droite. J’ouvre l’enveloppe. Une photo d’Élio, prise ce matin. Un ticket de vestiaire du restaurant. Et une note, écrite de ma main :« À minuit, il ne respirera plus. Et elle le saura. »Il faut être clair. Net. Sans bavure.Elle doit croire à sa mort.Mais il ne
ISADORAJe ne dors toujours pas.La nuit semble sans fin, étirée comme un fil tendu au bord de la rupture.Il fait noir, ou peut-être déjà jour. Je n’en suis plus sûre.Le monde a perdu ses contours. Le temps, sa logique.Tout est suspendu.Moi, surtout.Je suis assise sur le sol du salon, les genoux repliés contre ma poitrine, la tête posée sur mes bras.Le dossier est là, sur la table basse, toujours fermé.Depuis des heures, je le regarde.Je le défie.Je le supplie, parfois, en silence, de disparaître.Mais il est toujours là.Comme un rappel.Comme une sentence.Je pourrais ne pas y aller.Je pourrais éteindre mon téléphone, m’allonger, fermer les yeux, attendre que tout s’efface.Je pourrais appeler Elio.Lui dire la vérité.Lui dire à quel point j’ai peur. À quel point je suis perdue.Mais je ne le fais pas.Parce que je ne sais même plus si j’ai encore le droit de lui parler.Si ma voix lui appartient encore.Ou si elle est déjà morte en moi.Je me relève, péniblement.Je fais
ISADORATrois jours.Soixante-douze heures.Quatre mille trois cent vingt minutes.Deux cent cinquante-neuf mille deux cents secondes.Et je suis toujours là.Assise sur le canapé du salon, les rideaux tirés, le téléphone éteint, le cœur en friche.Je ne parle plus. Je n’écris plus.Même ma respiration semble une trahison à ce que je ressens.Tout est silencieux. Trop silencieux.Même la ville au-dehors semble marcher à pas feutrés, comme si elle savait que je suis en train de me noyer. Lentement.Pas d’ambulance. Pas de klaxon. Pas de rire.Juste le bruit de ma propre inertie.Je n’ai pas revu Elio depuis son départ pour Genève.Il m’a laissé un mot doux, une caresse sur la joue, et ce parfum rassurant de normalité.Et depuis… rien.Pas d’appels. Pas de messages.Je n’ai même pas cherché à en avoir.Juste ce vide.Cette attente.Ce sablier invisible qui se vide grain par grain, chaque seconde me rapprochant d’un gouffre que je n’arrive plus à nommer.Le dossier est toujours là.Sur l
ISADORAJe reste allongée là, incapable de bouger.Le plafond au-dessus de moi vibre d’un blanc tranchant.Chaque respiration me coûte.Chaque seconde passée dans ce lit m’arrache un peu plus à moi-même.Je ne pleure pas.Je ne pense pas.Je flotte.Comme si mon corps ne m’appartenait plus.Comme si j’étais déconnectée de moi, suspendue dans une réalité parallèle où rien n’a de sens, où même la douleur semble anesthésiée.Et lui… il est encore là.Allongé à côté de moi , nu , satisfait.Les mains croisées sous la tête, comme après une victoire tranquille.Ses yeux fixent le plafond, avec ce calme glaçant de ceux qui savent exactement ce qu’ils ont fait et pourquoi.Je suis figée. Mon corps ne m’obéit plus.J’essaie de redevenir invisible. Transparente.Comme lorsque j’étais enfant et que je me cachais dans le placard pour que le monde m’oublie.Mais je ne suis plus une enfant. Et il le sait.Il tourne lentement la tête vers moi. Un frisson me traverse la colonne.Je sens son regard qu
ISADORAIl grimpa sur le lit.Je reculais à chaque mouvement, jusqu’à sentir le mur derrière moi.Il était au-dessus de moi, maintenant.Son souffle se mêlait au mien.Et son regard me clouait.— Ce n’est pas ce que tu crois. Ce n’est pas ce que je veux…— Tu dis ça avec la bouche. Mais ton corps se souvient de moi. Regarde-toi.Sa main glissa le long de ma cuisse, lentement.Je tremblais.Pas de désir.De colère. De confusion.De cette putain de mémoire corporelle qui n’obéit à rien.Il écarta le drap. Me découvrit.Sa paume s’écrasa contre mon ventre. Il me regardait comme on observe une possession retrouvée.— Tu m’as pris de l’argent. Tu t’es barrée. Tu m’as piétiné. Maintenant, on règle les comptes.Je me débattais faiblement, mais il m’écrasa de tout son poids.Et mon souffle se coupa.— T’as toujours aimé quand je te dominais. Quand je te tenais. Quand je t’obligeais à ressentir.— Ce n’est pas…— Tais-toi, Isadora.Et il me prit.Sans avertir.Sans douceur.Sans tendresse.Il
ISADORALe matin est arrivé sans prévenir.Pas brutalement, non.Mais comme une marée douce et lente, qui s’infiltre dans les draps, dans les plis de ma peau, dans les silences encore humides de la nuit.La lumière est tendre , or pâle. Légèrement dorée.Elle vient effleurer la courbe de ma hanche nue, les draps froissés, les cils posés sur mes joues.Tout est tranquille.Et pourtant, rien ne l’est.Je suis éveillée depuis longtemps.Mais je ne bouge pas.Je garde les yeux mi-clos, les membres engourdis de fatigue, de sexe, de doutes.Son bras m’enlace toujours, possessif, protecteur, chaud contre ma poitrine.Et son souffle est là, au creux de mon cou, lent, chaud, rassurant.Il est réveillé, lui aussi.Je le sens à sa main qui glisse lentement sur ma hanche, à ses doigts qui tracent des cercles absents contre ma peau.Il ne parle pas.Il respire, m’enlace, et me touche comme on touche quelque chose de fragile, de précieux, de vivant.Et puis doucement, très doucement, il bouge.Il s