Lucas n’est pas à l’infirmerie quand je m’y présente à la fraîche le lendemain. Supposant à juste titre qu’il n’a pas désiré passer une seconde nuit dans ces locaux déprimants, je le retrouve à la cafétéria, à l’heure du déjeuner, assis entre Alice et Lily et faisant face à Juliette et Guillaume. J’ai beau savoir qu’il n’est pas à l’article de la mort, une fatigue intense se lit sur ses traits et chaque mouvement pour saisir un aliment semble solliciter toutes ses forces. Rien de bien extraordinaire, toutefois, quand on se souvient de la brutalité avec laquelle il s’est battu contre son jumeau. J’ai si peu l’habitude de l’admirer aussi diminué que cela ne fait qu’accroître ma compassion à son égard.Enzo et Roxanne nous rejoignent et la conversation dérive de la nouvelle coupe de cheveux de Zacchari, notre prof de yoga, à la mission de Juliette et Guillaume qui les a retenus jusqu’à une heure avancée de la nuit. Quand Enzo s’enquiert de l’état de santé de mon équipier – ce dont
Tout se passe excessivement vite. Harper referme si rapidement la porte que le premier chien à avoir bondi s’y écrase violemment. Nous apprécions le bruit causé par l’impact et le couinement qui en résulte; toutefois nous sommes déjà loin et ne nous retournons pas quand la porte cède dans un vacarme ahurissant. Les couloirs se révèlent très peu pratiques pour une course poursuite. La largeur ne permettant pas à Harper et moi de courir au même niveau sans nous rentrer dedans, mon équipier se contente de me tenir de sa main libre – et de m’arracher la peau par la même occasion – pour me faire garder le rythme.Les grognements de chiens furieux et le martèlement de leurs pattes sur le sol résonnent dans l’espace restreint, alimentant la panique qui nous anime. Pour la première fois depuis le début de cette mission, je suis contente d’apercevoir une de ces fameuses portes. Nous l’avons cependant à peine refermée derrière nous que des griffes trop puissantes pour être réalistes
J’ai tellement dormi que je pourrais arracher mon plâtre et sauter à pieds joints sur mon matelas. J’avalerais bien un bœuf entier également, mais je doute que le moment soit propice pour commander un bon petit plat.—Bien dormi? me lance une voix à laquelle j’étais loin de m’attendre.Ma tête s’incline afin de dévisager le charmant coach sportif assis sans le savoir à côté de mon colocataire.—Enzo? dis-je face à cette apparition aussi imprévisible que déconcertante. Qu’est-ce que tu fais ici?—Je sais que ce n’est pas dans mes habitudes de venir prendre directement des nouvelles à l’infirmerie, mais ça, c’est uniquement parce que tu passes ton temps à dormir.Enzo approche sa chaise de mon lit, puis détaille mon équipier endormi.—Il va bien? s’informe-t-il, soucieux.Qui ne le serait pas à la vue de tout l’attirail médical disposé autour de Lucas?—Apparemment il s’est
—Tu te souviens de ton passé? Pour de vrai? Tu te souviens de tout?—Je me souviens de qui je suis, de quand et de comment je suis mort, et surtout, de pourquoi je suis resté sur Terre malgré tout, confirme-t-il d’un air sombre.—Mais… comment?—Je te raconterai tout une fois que tu auras accepté de m’accompagner quelque part.Je frémis à cette idée, me doutant de la destination choisie par mon colocataire mystérieux.—Euh… Tu veux qu’on se rende sur ta tombe?—Quoi? Non! Je veux te montrer autre chose.—Pas l’endroit où tu es mort, tout de même?—Allyn, est-ce que tu peux juste te mettre un truc sur le dos et me suivre sans discuter? me supplie-t-il, à bout de patience.Il est drôle, considérant qu’il est à peine quatre heures et demie du matin. J’accepte tout de même de bonne grâce, puisque les circonstances l’exigent, et
C’est uniquement après ma cinquième séance de reprise en douceur que j’ai l’impression d’avoir retrouvé mon niveau en musculation. Qu’on se comprenne, je souffre toujours comme si les poids n’étaient pas adaptés et que mes muscles se transformaient petit à petit en billes de plombs, mais ma volonté, doublée par les encouragements de mon coach, parvient à me maintenir en vie sans que je ressente le besoin de quitter la salle de sport en rampant comme une loque.—C’est très bien Allyn, déclare Enzo en reposant la barre du développé couché sur son socle pour me permettre de me relever sans danger. Je pense que la prochaine fois, on pourra augmenter la difficulté.—Oui, parce que pour le moment c’est tellement du réchauffé pour moi, dis-je, essoufflée.Mon coach éclate de rire en retirant les poids de la barre tandis que je grimace devant ma bouteille d’eau presque vide.—Hey, ne te plains pas! C’est toi qui nous as accusés de te ménager,
Je déteste l'expression « la vie continue ». Après tout, la terre ne s'arrête-t-elle pas de tourner quand un malheur nous tombe dessus ou touche l'un de nos proches? N'ai-je pas cru voir la fin arriver quand Axel a quitté ce monde? Ou, plus simplement, quand Emma s'est vue obligée d'être opérée de la vésicule? Mais par-dessus tout, je déteste ceux qui ont la prétention de venir vous donner des ordres ou des conseils sans même que ça les concerne.C'est pour cela que cette mission me reste en travers de la gorge et que je suis Lucas d'un pas lourd et rebelle dans cette ruelle désaffectée. Le décor, avec ses allures dignes d'un Disneyland post-apocalyptique, n'est pas sans me rappeler ma première excursion dans les Affres. Les immeubles modernes sont grisâtres, faute à la poussière et au sable qui ont pris leurs droits sur ce territoire. Ils ne sont pas délabrés et pourtant il s'en dégage un sentiment d'abandon, amplifié par le silence qui règne en maître autour
Lucas a pris une avance considérable, mais je le suis facilement à la trace grâce au boucan phénoménal qu’il provoque sur son chemin. « L’ouragan Harper » terrasse tout sur son passage. Qu’il s’agisse des portes qu’il claque ou des employés qu’il bouscule sans aucune considération, rien ne lui résiste. Pour ma part, je ne ralentis pas quand je découvre une pauvre secrétaire à quatre pattes en train de ramasser une multitude de feuilles blanches éparpillées et poursuis ma course vers l’infirmerie. Tous ceux que je croise me foudroient du regard sans que je sache s’ils m’assimilent à mon équipier tout aussi agité ou s’il s’agit de l’odeur pestilentielle que je dégage. Quand je parviens enfin aux portes de l’infirmerie, je suis essoufflée.Mon avancée à travers les diverses salles remplies de Singuliers alités se fait comme dans un rêve et j’oublie vite que j’importune tout le monde avec ma crasse. Je remarque par ailleurs quelques traces vertes sur le lino d’ordinaire impeccable e
Les cinq étapes du deuil. Il semblerait que nous en fassions tous les frais ce soir à différents paliers. Cette observation n’est pas des plus charmantes, mais elle me permet de m’occuper l’esprit assez longtemps pour empêcher mes larmes de ruiner le peu de maquillage que j’ai appliqué sur mes yeux dans le but de me rendre un peu plus présentable pour l’hommage d’Hugo. Isolée dans le fond de la salle, je ne me suis pas encombrée de verre ou de petit-four que je trouve encore plus déplacés que la dernière fois. Ma position stratégique me permet surtout de repérer mes amis de loin et c’est de cette manière que j’en suis arrivée à la conclusion suivante: si la plupart de mes camarades semblent s’être terrés tout comme moi entre le déni et l’incompréhension, certains, comme Alice et Lucas, se démarquent du lot d'une manière assez remarquable.—Tu ne te joins pas à nous?Mes yeux fixent Enzo sans le voir. Je ne l’ai même pas senti approcher.—Te