13—Toujours prête?—Toujours prête.Ma gorge se serre, mais mon regard est déterminé. Je saisis la main de mon binôme qui m’entraîne avec lui dans les profondeurs des Affres.—Ça va? me demande Lucas, tandis que je titube dangereusement vers le sol.—Tête qui tourne, marmonné-je, une main sur la bouche.Je crois que je vais gerber.—Tu t’y habitueras avec le temps.Profitant du fait qu’il sonde les horizons, je m’assieds lourdement sur l’herbe dans laquelle nous avons atterri.—Un peu de verdure, enfin, déclaré-je en glissant mes doigts sur la rosée humide.—Ne te réjouis pas trop vite: ici rien n’est agréable et reposant par hasard.Je grimace, puis essuie mes paumes sur ma combinaison, avant de porter attention aux mèches de cheveux blonds qui tombent sur mes clavicules.Ah oui, c’est vrai, j’avais oublié ce détail.Lucas a la courtoi
14Je reste sans voix, tandis qu’Harper attend patiemment que ma langue se délie. Traverser la route désertique s’est passé sans mal jusque-là et j’ai même réussi à enjamber les cadavres de volatiles dispersés à l’entrée du parc sans difficulté particulière, mais je ne m’attendais vraiment pas à la vision d’horreur qui patiente près de la Sphère.—Je ne pense pas qu’ils soient offensifs, tente vainement de me rassurer Lucas. Il faudrait qu’un Ange Noir soit là pour les contrôler, ce qui n’a pas l’air d’être le cas.Mais je n’écoute plus les mots qui sortent de la bouche de mon équipier. Mes mains sont si moites, ma gorge si sèche et mon cœur si emballé, que je suis à deux doigts de repartir dans l’autre direction ou de supplier Lucas de me porter pour ne pas avoir à regarder où marcher. À moins d’une dizaine de mètres, entre nous et notre précieux billet de retour, se tient en effet une vingtaine de ce que je peux appeler sans hésiter le pire de tous mes cauc
15«Tu n’as pas peur des plantes au moins?».La question de Lucas continue de tourner en boucle dans ma tête, tandis que nous avançons une fois de plus au ralenti dans un chemin obscur et parsemé de lianes vertes dégoulinantes de sève. Ce n’est pas la première fois que je regrette que notre protégé ne soit pas une fillette fan de licornes à paillettes et de princesses rose bonbon. Quoique je sois persuadée que les Anges Noirs seraient également parvenus à pervertir la plus mignonne des poupées Barbie.Quand Lucas m’a annoncé le matin même que notre prochaine destination serait une serre de taille moyenne localisée près de Saint-Tropez et où le petit avait autrefois réalisé une chasse aux œufs de Pâques extraordinaire, j’ai vraiment cru qu’il se fichait de moi. Mais de toute évidence il ne blaguait pas.—Tu m’expliques, soufflé-je péniblement à cause de mon point de côté naissant, comment un simple jardin de soixante mètres carrés au
16Non, non, c’est impossible, pas comme ça… Pas après avoir si longtemps combattu pour échapper à toutes ces horreurs…Je tente par-dessus tout de me dégager du nuage noir qui m’entoure, mais cela revient presque à lutter contre un champ magnétique. Le bourdonnement des insectes m’assourdit, toutefois ce n’est rien en comparaison au sentiment de claustrophobie que je commence à développer.Harper.Telle est la première pensée qui me vient à l’esprit quand je parviens à me concentrer suffisamment pour faire le point sur la situation.Oh mon Dieu, Harper…Si je n’avais pas remarqué chez lui les premiers symptômes d’une panique anormale lors de notre lutte dans le cylindre de verre, je serais tentée de penser que mon partenaire s’en sort à merveille à l’heure actuelle. Malheureusement les dernières images de Lucas s’imposent dans ma tête comme un écho persistant: blême, suffocant, à la limite de l’agonie.Ressaisis-toi, Allyn
17Les énormes sphères torrentielles continuaient leurs rotations à quelques mètres au-dessus du sol sans que rien ne vienne perturber leur manège. En dessous d’elles s’étendait à perte de vue un paysage désertique d’où germaient de gros rochers saillants que l’érosion avait rendus menaçants, non seulement par leur aspect pointu, mais aussi par la dangerosité de leur friabilité. À cela venaient s’ajouter de fines particules de sable glissant au gré des courants d’air provoqués par les marées anormales des globes marins en activité. L’écume crachée par ces derniers tombait en gouttes d’eau mousseuse sur les épaules et la tête de l’Ange Noir qui demeurait là, immobile et silencieux. Son visage encore souriant et enjoué la veille au matin n’avait plus rien de séduisant à présent. Ses longs cheveux noirs salis du sang de son ennemi n’avaient même pas été lavés et tombaient en queues de rat sur ses épaules avachies. De fines coupures encore fraîches ornaient également se
18J’ai beau me coltiner l’une des pires nausées de mon existence, j’avoue regretter le contact rassurant de mon équipier lorsque ce dernier m’installe sur une des chaises décoratives qui ornent les murs de la salle de la Sphère. Tout est encore flou autour de moi. À l’instar de chaque retour précipité, je demeure dans la confusion la plus totale, ressassant nos dernières mésaventures comme s’il ne s’agissait que de rêves particulièrement éprouvants dont les images partielles me reviennent par flashs.J’ai vaguement conscience que l’on parle autour de moi et je comprends que Lucas a ordonné à l’un des vigiles qui gardent la salle de faire venir en urgence le médecin. Je tente de me redresser sur mes jambes en arguant que je peux très bien me rendre toute seule à l’infirmerie, mais une poigne puissante me force à me rasseoir avant que je ne m’étale sur le sol.—Reste ici, exige Harper d’une voix ferme.Je compose une sorte de phrase incompréhensible&nbs
19—Incroyable, non?—Beaucoup trop phénoménal, corrige Maël en fronçant ses sourcils blonds. Après ça, tu peux être certaine que jamais ils ne te laisseront partir.—Mais je ne veux pas partir!—Tu devrais. N’importe qui de censé le ferait.—Merci d’insinuer que tu me prends pour une folle.—Pas encore, mais je ne suis pas loin de le croire, ajoute-t-il, un brin moqueur. Penses-y: qui aurait envie de se jeter tête baissée dans des aventures périlleuses, sans la moindre garantie d’en revenir en vie où en un seul morceau? C’est déjà assez compliqué d’intégrer le fait que cette organisation regorge d’individus suicidaires, te connaissant, c’est encore plus difficile à admettre. Tu as échappé à la mort, Allyn, et pas qu’un peu. Aide-moi à préserver ce cadeau du ciel en acceptant de faire tes valises.—Tu ne peux pas comprendre. Quand je voyage, c’est comme si les cellules de
20—Alors? répète Lucas en croisant ses bras contre son buste. Tu vas accepter de me raconter ce qui est arrivé à ton œil ou tu vas me laisser deviner tout seul?Je respire à nouveau.—Je te demande pardon?—Tu t’es pris un insecte dans l’œil? Il n’a pas bonne mine, tu devrais peut-être aller voir le Doc pour qu’il examine ça.Je le dévisage, hallucinée. Avec la marque violacée laissée par la liane qui orne son cou, sa grande cicatrice d’origine inconnue et les innombrables plaies qui recouvrent une bonne partie de sa peau découverte…—C’est l’hôpital qui se moque de la charité tu ne crois pas? m’exclamé-je en le jaugeant ostensiblement.Les yeux gris de Lucas demeurent inflexibles, à l’affût d’une réponse que je tarde à donner pour des raisons qui me paraissent tout à fait justifiées. Et puis mince alors, qu’est-ce que ça peut lui faire que mon œil larmoie comme si je m’étais pris un