CASSANDRAJe ne sais pas pourquoi mes pas me mènent là.Je ne sais même plus marcher droit. Mes jambes tremblent, mes mains sont froides, mon ventre, noué.Je crois que j’ai quitté l’appartement d’Ezra sans réfléchir.Ou peut-être que si.Peut-être que je fuis depuis des jours. Des mois.Et que ce soir, j’ai juste arrêté de mentir.Je n’ai pas mon téléphone. Pas de sac. Juste mes clés.Et cette sensation dans la gorge.Comme si j’allais vomir. Ou crier. Ou jouir.Les rues s’étirent sous mes pieds.Je marche longtemps. Trop. Pas assez.Le bitume est chaud, la ville moite, irrespirable.Mais je respire.Mal.Comme une femme sur le point de se noyer.Ou de tomber amoureuse du monstre qu’elle aurait dû fuir.Il ne m’a pas écrit.Pas appelé.Mais je sais.Je sais qu’il est là.Qu’il m’attend.Qu’il a deviné chacun de mes gestes, chaque hésitation, chaque pas.L’hôtel m’avale dans ses entrailles feutrées.Le réceptionniste détourne le regard.Il sait.Ou il croit savoir.Je donne son nom. C
CASSANDRAJe n’ai pas les clés dans la main quand j’entre.Je les ai gardées au fond de ma poche, comme si les tenir m’obligeait à reconnaître que je franchis ce seuil encore par habitude, pas par désir.La porte se referme dans mon dos sans bruit. Pas un claquement. Juste ce petit déclic sec, tranchant, comme un verdict.Il est là.Assis dans l’ombre du salon, le dos droit, figé comme une statue de marbre. Aucune lumière directe ne l’éclaire, et pourtant je devine la tension dans ses épaules, la rigidité dans la mâchoire, la morsure dans son silence.Je sens mon cœur ralentir, puis cogner plus fort, plus sourd.J’avance d’un pas. Mes talons ne résonnent pas. Tout est feutré. Comme dans une pièce où le monde a été mis en veille.Je pose mon sac.— Tu ne dormais pas ? demandé-je dans un souffle qui se veut léger, mais il s’écrase aussitôt dans l’air saturé.Il ne répond pas tout de suite. Il se penche vers la table basse, pousse doucement un objet du bout des doigts.Mon téléphone.— T
EZRAJe n’ai pas revu Cassandra depuis deux jours.Pas vraiment.Elle était là, physiquement, mais absente. Évasive. Coupante comme le silence entre deux cris.Et moi, comme un idiot, je fais semblant de ne pas voir. Je prétends que le poids qui s’installe entre nous n’est qu’une fatigue passagère. Une surcharge de travail. Un de ces cycles sombres qu’on traverse, avant de s’aimer plus fort.Mais je mens.Parce qu’au fond, je sais.Je sais qu’elle se referme. Qu’elle lutte contre quelque chose qu’elle ne nomme pas. Et que ce quelque chose a des dents. Des griffes. Et le parfum du danger.Elle ne me touche plus.Ou alors avec une distance maîtrisée, clinique. Plus de baisers distraits sur la nuque. Plus de main serrée sous la table. Elle ne me fuit pas, non. C’est pire. Elle me tolère.Je traverse le couloir principal de la fondation quand je l’aperçois.Caleb !Accoudé nonchalamment contre une colonne en marbre, il parle à un membre du comité avec ce sourire insolent qu’il porte comme
CASSANDRALe soir s’est abattu sur la ville comme un rideau de velours, étouffant les bruits du jour, avalant la clameur de la circulation sous un voile d’ombres épaisses. Dans mon bureau, je ne laisse aucune lumière allumée. Seuls les reflets mouvants des néons de la rue dansent sur les vitres, comme des spectres silencieux. Ezra ne m’a pas reparlé depuis notre échange brutal du matin.Il me fuit.Ou peut-être qu’il observe, comme tous les autres, prêt à juger le moindre de mes faux pas.Je devrais être au-dessus de ça. Je devrais ignorer ce malaise qui me serre la gorge comme une main invisible. Mais ce soir, tout est trop silencieux. Trop immobile. Je sens mes certitudes s’effriter, comme si une partie de mon empire m’échappait.Un bruit sec résonne derrière la porte.Un claquement, volontaire.Mon cœur fait un bond.— On peut entrer sans frapper maintenant ? dis-je, la voix plus glaciale que je ne le voulais.La porte s’ouvre.Et il est là , Caleb.Son nom claque dans ma tête comm
CASSANDRALa nuit me fuit.Je n’arrive plus à dormir.Chaque fois que je ferme les yeux, j’ai l’impression que le sol se dérobe sous mes pieds, que l’air manque dans mes poumons. Je me réveille en sursaut, les draps en sueur, le cœur tambourinant comme un marteau contre mes côtes. Et, toujours, ce même nom dans ma tête : Isadora.Elle est là, même quand elle n’est pas là. Une ombre collée à mes talons, une respiration juste derrière moi, silencieuse mais présente.Je me redresse dans mon lit king-size, attrape la télécommande et allume les lumières. Le blanc froid des lampes LED éclaire ma chambre aux murs immaculés. Tout semble en ordre, parfait, lisse. Mais je sais que c’est un mensonge. Le monde ne reste jamais immobile très longtemps.Je suis encore PDG.Encore.Mais pour combien de temps ?Je me lève, enfile un peignoir de soie noire et traverse le salon immense qui donne sur la ville. La vue panoramique, habituellement une fierté, me donne ce soir une sensation d’enfermement. Le
ISADORALa nuit est mon alliée.Toujours.Le jour est un théâtre trop cru, trop saturé de sourires forcés, de politesses hypocrites et de phrases aux parfums de poison. Mais la nuit… ah, la nuit ne ment pas. Elle montre les failles. Les peurs. Les désirs qu’on cache sous des masques. On ne triche pas dans l’obscurité, pas quand on sait l’écouter.Je traverse le couloir désert du siège, celui qui mène aux bureaux fermés du Conseil exécutif. Mes talons résonnent doucement sur le sol en marbre poli. Le bâtiment dort ou feint de dormir. Les caméras me suivent, mais je sais quels angles éviter, quelles zones d’ombre avalent les mouvements. Ici, tout est surveillé. Mais personne ne me confrontera. Pas encore.Cassandra croit que c’est elle qu’ils regardent. Elle qu’ils jugent. Elle ne comprend pas que le décor est déjà en train de changer et qu’elle ne tient plus le premier rôle.Je n’ai même pas besoin de la renverser. Elle s’effondre seule, rongée par sa propre paranoïa. Chaque silence q