Chapitre 2 – L’écho des âmes

Andréas

Elle ne comprend pas ce qu’elle a fait.

Elle ne comprend pas qu’en prononçant ces mots anciens, elle m’a arraché à l’oubli.

Je devrais la haïr pour cela.

Je devrais vouloir lui faire payer son imprudence.

Mais je ne ressens ni haine ni colère.

Seulement… une étrange fascination.

Je l’observe dans la lueur vacillante des bougies. Son visage est baigné d’ombres et de lumière, et pourtant, dans cet équilibre fragile, elle me semble plus réelle que tout ce que j’ai connu depuis des siècles.

Ses yeux – d’un vert profond, presque hypnotique – me fixent sans trembler.

Elle ne me craint pas.

Ou plutôt, si elle a peur, elle la cache admirablement bien.

— Pourquoi toi ? demandé-je, plus pour moi-même que pour elle.

Elle fronce légèrement les sourcils.

— Je l’ignore.

Je pourrais fouiller son esprit, peut-être. Je pourrais la forcer à révéler ce qu’elle sait. Mais une partie de moi hésite.

Depuis si longtemps, je ne suis qu’un murmure dans l’ombre. Une légende, un cauchemar oublié.

Et maintenant, elle me voit.

M’entend.

Me touche.

Elle est mon ancre, mon seul lien tangible avec ce monde.

Mais à quel prix ?

Une douleur sourde monte en moi. Je sens la magie qui m’entoure, qui me lie à elle d’une manière que je ne comprends pas encore.

Et surtout…

Je ressens quelque chose que je n’aurais jamais dû ressentir à nouveau.

Une chaleur.

Un battement.

Un désir qui n’appartient pas aux morts.

Elle me ramène à la vie.

Et ça, c’est peut-être le plus grand des dangers.

Éléonore

— Nous devons rompre ce lien.

Sa voix résonne, et je ressens une étrange douleur en l’entendant.

Rompre ce lien.

Le renvoyer là d’où il vient.

C’est ce que je devrais faire. Ce que toute sorcière sensée ferait.

Mais l’idée me serre le cœur.

Et dans ses yeux hantés, je devine que lui aussi doute.

Je ravale ma salive et lève le menton.

— Pas avant d’avoir compris pourquoi tu es revenu.

Il me fixe un instant, avant d’ébaucher un sourire fugace.

Un sourire triste.

— Alors prépare-toi, sorcière. Car une fois que tu sauras… il sera trop tard pour fuir.

Le vent souffle à travers les arbres, portant avec lui le murmure des ombres. Dans la cabane, le cercle de bougies s’éteint une à une, laissant une obscurité troublante s’étendre autour de nous. Seule la lueur de la cheminée projette des éclats dorés sur les murs de pierre, faisant danser nos silhouettes comme des esprits enchaînés.

Andréas ne bouge pas. Il m’observe avec une intensité troublante, comme s’il sondait mon âme, cherchant à comprendre pourquoi je l’ai ramené.

Mais la vérité, c’est que je l’ignore moi-même.

Tout ce que je sais, c’est que mes nuits étaient hantées par son regard, ses murmures dans l’ombre, un appel silencieux qui vibrait dans mes os.

Et maintenant qu’il est là, une étrange certitude s’impose à moi : il ne doit pas repartir.

— Tu ne devrais pas me garder ici.

Sa voix est calme, mais elle porte une gravité qui me fait frissonner.

Je croise les bras, essayant d’ignorer la sensation de froid qui m’enveloppe depuis qu’il est apparu.

— Pourquoi ?

— Parce que je ne suis pas censé exister dans ce monde.

Ses mots résonnent dans l’air, lourds de sens.

— Tu as ouvert une porte que personne n’aurait dû franchir. Moi le premier.

Je serre les dents.

— Alors dis-moi pourquoi tu es revenu.

Il détourne légèrement la tête, comme si la réponse le brûlait. Son regard glisse sur mes étagères remplies de grimoires, sur les herbes suspendues au plafond, sur la dague rituelle posée sur ma table.

Puis il s’approche.

Je devrais reculer, mais mes jambes refusent de bouger.

— Je sens ton odeur.

Sa voix s’est faite plus rauque, presque troublée.

— Je ressens ta chaleur.

Sa main effleure la mienne, et une onde glaciale me traverse. Pas un froid normal, non. Un frisson électrique, comme si quelque chose en lui essayait de me reconnaître.

Je déglutis.

— Tu ressens tout cela parce que tu n’es pas un simple esprit.

Son regard s’assombrit.

— Non.

Un silence.

Puis, lentement, il effleure la ligne de ma mâchoire du bout des doigts. Sa paume est froide, mais il y a quelque chose sous ce froid, une vibration, une trace d’existence que les morts ne devraient pas posséder.

Et soudain, une vision éclate dans mon esprit.

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1623 – Le passé oublié

La salle du château est baignée d’une lumière dorée, l’odeur du bois brûlé se mêle à celle des pages anciennes.

Je me tiens là, vêtue d’une robe d’un autre temps, mes doigts caressant un pendentif autour de mon cou.

Et devant moi…

Andréas.

Pas un spectre. Pas une ombre.

Un homme en chair et en os.

Son regard brûle d’un mélange de désir et de tristesse, comme s’il savait que ce moment était interdit.

— Nous ne devrions pas être ici, Éléonore.

Je frissonne.

Il connaît mon nom.

Mais je n’ai jamais vécu en ce temps-là.

Alors pourquoi…

Pourquoi cette scène semble-t-elle si réelle ?

Sa main se pose sur ma taille, son souffle effleure ma peau, et tout en moi crie que c’est là que je devrais être. Que je l’ai toujours été.

Puis, tout bascule.

Une porte s’ouvre violemment.

Un cri.

Un éclair d’acier.

Un hurlement étouffé.

Le sang éclabousse la pierre.

Et la vision se brise.