EryxJe marche sans but, comme un loup privé de son instinct. Chaque pas me ramène à une image, une odeur, un souvenir. Les feuilles craquent sous mes pieds, mais elles ne font plus écho à rien. Mon monde est devenu silencieux. Un silence pesant, viscéral, qui m’écrase de l’intérieur.Je revois Thalia, cette nuit-là, quand elle m’a défié, tremblante mais fière. Elle m’a offert ses serres, son feu, sa fidélité. Et moi, je l’ai laissée se consumer sans jamais vraiment la regarder brûler. Je revois Selène, ses yeux brillants d’intelligence, son mystère insondable. Elle m’a tendu ses énigmes comme des offrandes, et j’ai préféré le confort du connu. Je revois Amara, le feu de sa rébellion, cette lumière qu’elle portait même quand tout brûlait autour d’elle. Elle m’a donné son âme à nu, et je n’ai fait que l’effleurer, de peur de me brûler.J’ai aimé mal. J’ai aimé fort. J’ai voulu tout garder, tout protéger. Mais en tirant trop fort sur les fils, je les ai tous brisés. J’ai cru que l’amour
EryxLe vent souffle plus fort aujourd’hui. Comme un présage. La forêt s’agite, haletante, oppressante, chaque feuille semble porter le poids d’un reproche muet. Les branches craquent comme des os sous la pression du silence. J’ai l’impression que même les racines veulent me repousser.Et moi, je marche. Le souffle court. Les poings serrés. Incapable de rester immobile plus longtemps. L’odeur d’Amara flotte encore dans l’air, entêtante, sauvage. Celle de Thalia est mêlée à la sève, rageuse et vibrante. Selène… Selène a emporté avec elle tout ce que je n’ai jamais su dire. Tout ce que j’ai refusé de nommer.Je suis un roi sans trône. Un mâle sans repère. Un cœur vide aux mains pleines de regrets.Et je sens… je sens que si je ne fais rien, je les perdrai. Pour de bon. Peut-être que je les ai déjà perdues. Mais je dois leur parler. Les regarder une dernière fois dans les yeux. Leur dire ce que j’aurais dû dire avant que tout n’explose.Alors je pars à leur recherche. Une à une. Même si
EryxElles me regardent. Et dans leurs yeux, il n’y a plus de lumière. Plus de douceur. Rien que l’attente d’une sentence. Un silence brut, comme un cri étranglé. Je voudrais parler. Trouver les mots justes. Mais il n’existe pas de phrase assez puissante pour guérir ce que je viens de briser.Le sol me paraît plus stable que moi. Mes jambes sont deux colonnes creuses, prêtes à céder. Mon cœur cogne comme s’il cherchait à fuir ma poitrine.Thalia saigne de la lèvre. Amara a l’épaule en feu. Selène, elle, ne saigne pas. Elle brûle de l’intérieur.Et moi, je reste figé. L’alpha incapable. Le cœur fendu. L’homme divisé.AmaraJe me détourne. Mes jambes tremblent, mais je les force à me porter. Si je tombe, je tomberai loin d’eux. Loin de leurs regards. Je refuse de supplier. Même s’il me choisit. Même s’il murmure mon nom dans la nuit. Je ne veux pas être celle qu’on pointe du doigt. Celle qu’on accuse de vol.J’entends Thalia souffler derrière moi. Selène ne bouge pas. Mais leur silence
AmaraJe le sens dès le réveil.Le silence du camp n’est plus paisible. Il est chargé.Comme l’air avant l’orage, comme un cri suspendu.Eryx dort encore, une main sur ma taille, son souffle profond contre ma nuque.Mais son sommeil n’apaise rien. Il ne m’atteint plus.Je me lève sans bruit.Chaque geste est lent, précis. J’enfile mon manteau, je sors.Dehors, l’aube n’a pas encore percé l’horizon.Une brume fine rampe sur le sol.Le froid me mord les chevilles, mais je n’y prête pas attention.Elles sont déjà là.Thalia, les poings éclatés contre un tronc, frappe avec une régularité cruelle.Ses phalanges saignent, mais elle continue, comme si la douleur l’ancrerait à ce monde.Selène, elle, est assise sur un rocher, sa lame entre les doigts.Elle aiguise, encore et encore, jusqu’à faire crisser l’acier.Moi, je m’arrête à quelques pas.Et je sens le lien.Le lien qui me brûle la peau, qui m’enlace à eux, à lui.Le pouvoir approche. La lune réclame son dû.Et dans le silence de cette
AmaraIls s’entraînent encore quand j’arrive. Le soleil filtre à peine entre les branches, baignant le camp d’une lueur mordorée. Le sol est jonché de feuilles mortes et de sueur. Et au centre du cercle, Eryx.Nu jusqu’à la taille, il guide les mouvements d’un jeune traqueur, corrige une posture, esquive une attaque, rit presque quand l’élève chute dans la poussière.Et je les sens.Thalia. Selène.Elles le regardent, elles aussi.Pas comme des sœurs.Pas comme des alliées.Comme des femmes.Thalia se tient droite, les bras croisés, mais son regard suit chaque mouvement du corps d’Eryx avec une intensité qu’elle ne tente même plus de masquer.Selène, elle, est plus discrète. Elle garde ses distances, mais je vois son poing se refermer chaque fois qu’Eryx rit avec quelqu’un d’autre que nous. Que moi.Je détourne les yeux, le cœur serré.Je n’ai jamais voulu ça.Mais je ne reculerai pas.ThaliaJe l’ai vu avant elle.Avant Amara, avant même que cette histoire d’alpha ne les relie. Il m’
AmaraLes jours passent. Et dans ce territoire que nous avons conquis, quelque chose prend racine. Ce n’est plus seulement un camp. C’est le cœur battant d’un nouvel ordre. Les murs de bois ont été renforcés, les cabanes réorganisées, les cercles de feu nettoyés. Chaque pierre déplacée, chaque outil utilisé porte l’empreinte de notre volonté. L’ancienne meute avait survécu dans la peur. La nôtre apprendra à vivre dans la force, la cohésion, et la certitude d’un avenir.Je m’éveille avant l’aube, chaque matin. Le silence des bois, juste avant que la vie s’y glisse, est devenu mon moment. Là, je ressens la tension des arbres, le souffle de la terre. Ce lieu s’adapte à nous. Il résiste parfois. Mais il cède. Comme la meute.Les sentinelles se relaient sans faute. Eryx leur a enseigné l’art de veiller sans bruit, d’observer sans juger. Chaque matin, je fais le tour du camp. Je vérifie les réserves, écoute les chuchotements, interroge les regards. Les anciens m’évitent encore. Mais certain
AmaraLe vent a changé. Il est plus froid ce matin-là, comme si la nature elle-même ressentait la tension qui flotte dans l'air. Autour de nous, la meute est en train de se rassembler. Le camp, qui jusqu’ici semblait un peu chaotique, commence à se structurer sous nos yeux. Et tout autour, je sens la force brute de ce territoire, prête à exploser.C'est à nous maintenant. Nous avons conquis ce terrain, mais plus encore, nous avons conquis leur loyauté, ou du moins, une partie de celle-ci. Mais la vraie bataille commence ici, dans ce que nous allons faire de ce pouvoir.Je me lève, l’odeur de la terre humide envahissant mes narines. Les bruits de la meute se sont atténués, les voix s’apaisent quand ils sentent notre présence. Eryx est déjà là, son regard impassible scrutant le camp. À ses côtés, Thalia et Selène, prêtes à ce que le monde les suive.Mais la question qui reste suspendue dans l’air, c’est : allons-nous réussir à gouverner cette meute ? Ou allons-nous sombrer dans le même
AmaraLe soleil ne s'est pas encore levé, mais une lumière incertaine commence à pénétrer lentement la vallée. Le vent est frais, une brise piquante qui chasse la chaleur de la nuit. Tout autour de nous, le camp est calme, bien trop calme. Les bruits de la guerre se sont dissipés, mais l'air porte encore la lourdeur de la violence de la veille. Le sol est marqué de traces de sang, la terre arrachée par les pas de ceux qui ont combattu. Et nous, nous sommes là, figés dans cet entre-deux, entre la victoire et la réconciliation.Nous n’avons pas encore trouvé la paix. Pas encore.Je marche à côté d'Eryx, ses pas aussi lourds que les miens. Il ne parle pas, et je n’insiste pas. Ses pensées, je les connais déjà. Il est comme moi, fatigué par ce combat incessant. Mais ici, pour l’instant, nous devons faire une pause. Pour organiser, pour réfléchir. Pas de course effrénée vers la prochaine bataille, pas encore.EryxLa tension reste palpable dans l’air, et je sens chaque muscle de mon corps
AmaraLa nuit a presque englouti la vallée, mais le silence qui suit la bataille est presque aussi oppressant que le bruit du combat. Les corps, un à un, ont été emportés, enterrés dans l’oubli ou laissés en friche pour que la terre s’en nourrisse. Je devrais me sentir en paix. Nous avons remporté cette victoire. Mais au lieu de cela, je ressens un poids lourd, écrasant, comme une chape de plomb sur ma poitrine.Je regarde Eryx. Il est là, silencieux à mes côtés, son regard toujours aussi impénétrable, ses poings encore serrés. Nous avons pris le contrôle de la meute, mais à quel prix ? Nous n’avons pas seulement pris leur territoire. Nous avons pris leur cœur. Et quelque chose en nous a changé. Peut-être pour toujours.EryxJe reste là, observant le camp, mais je sais que je ne peux pas détourner le regard. La guerre n’est jamais aussi simple que de simplement écraser un ennemi. Ce sont les conséquences qui viennent ensuite. La culpabilité. Le doute. La peur de ce que l’on devient. E