Komniev trépignait derrière son bureau. Sans sa blessure à la jambe, il ferait sans doute les cent pas, fou de rage. Il était hors de lui et capable de prendre des décisions improbables dans ces cas-là. Mais la situation demandait du sang-froid.Face à lui, James Brandon se tenait debout, les mains jointes dans le dos. Il attendait que son supérieur lui explique les raisons de sa convocation, mais il devinait assez aisément qu’il y avait un lien avec l’attentat. Pourtant, le chef de la Chambre lui avait déjà passé un savon à ce sujet. Peut-être allaient-ils enfin évoquer la stratégie à adopter pour apaiser la cité.—Bon, James, on ne va pas y aller par quatre chemins. La ville est surexcitée et j’ai besoin de certitudes.—Je comprends, Monsieur.—Les Martyrs ont failli exploser le Grand Palais avec une bombe qui venait du bas. Deux types seuls ont tourné en ridicule tout notre système de sécurité. Ils ont tué des dizaines de personnes et m’
Durant les premiers jours qui suivirent l’attentat, F s’employa à profiter de l’élan suscité pour remotiver ses troupes. Il avait sous son commandement des centaines et des centaines d’âmes errantes prêtes à tout pour retrouver des conditions de vie acceptables. Son boulot à lui avait été de les convaincre que les Grandes Familles étaient responsables de leur misère. Mais avec cette explosion, il leur offrait plus qu’un bouc émissaire: désormais, ils avaient un espoir.Le lendemain de l’attentat, il réunit tous les Martyrs pour s’adresser à eux dans une posture solennelle rare chez lui.—Allumez vos Hi-Nan, leur dit-il alors, écoutez vos radios, lisez les journaux. Imprégnez-vous des nouvelles du jour, car les Martyrs sont de retour.Un formidable cri unanime accueillit ces mots, chacun étant déjà au courant du succès de l’opération menée par Gaël et David.—Nous avons perdu deux frères dans cet attentat, mais les Martyrs sortent grandis. I
En quelques jours à peine, La Vigie avait changé de dimension. Il était passé de petit journal contestataire, fouineur et rêveur, à l’étendard de toute une frange de la population basse-menelarite. Partout se multipliaient les publicités incitant à découvrir la nouvelle formule du quotidien et notamment son produit d’appel phare: la chronique de Victor Dubuisson.Trois éditions avaient suffi à faire de Dans les coulisses du Grand Palais le blockbuster de la Basse-Ville. Chacun attendait désormais les lundis, mercredis et vendredis pour découvrir quels secrets de la Haute-Ville Dubuisson allait révéler. Le tirage de La Vigie avait presque quintuplé et les fonds injectés par le nouveau propriétaire pour la communication n’expliquaient pas tout. Victor avait plus fait pour le journal comme chroniqueur que comme mécène. Et cela constituait, en soi, une grosse surprise pour le principal intéressé.Assis dans son bureau, les pieds sur le rebord de la fenêtre, Victor s’all
Si l’on récapitulait les choses objectivement, Delta avait réussi. Tous les Putras se trouvaient désormais réunis dans le Grand Temple, ils l’avaient élu à la quasi-unanimité successeur de Suryena et tous s’étaient laissés convaincre que les Familles étaient des ennemis. Il pouvait seulement regretter de ne pas avoir vu venir cet attentat…Mais en deux semaines, Delta était passé du paradis à l’enfer. Grisé par son élection triomphale, il avait enfin pu réaliser cette protestation publique devant le Grand Palais. La suite pouvait se lire dans n’importe quel journal. Il avait demandé à Ys d’effectuer un recensement des victimes de l’explosion, mais c’était impossible et la cohue qui avait suivi l’attentat s’était à peine calmée.Aujourd’hui, Delta ne trouvait plus les mots. Il s’adressait régulièrement à ses troupes, mais celles-ci préféraient se réfugier dans la méditation, voire la prière. Suryena était mort et personne ne le remplacerait dans leurs cœurs. Delta ne reste
—Tout de même, quelle ascension fulgurante!—Pourtant, c’est bien d’en haut que je reviens!La tablée éclata d’un de ces rires hypocrites propres à la courtisanerie. Seul Victor s’amusait sincèrement, mais du comportement de ses compagnons de repas.Il dînait chez François, un restaurant très huppé des quartiers chics de la Basse-Ville, en compagnie de tout ce que le rez-de-chaussée comptait de riches et influentes personnalités. Il y avait là Vitorino Lapenzzi, directeur du musée d’Histoire moderne de Menel Ara, Abdelkader Svensson, administrateur général de l’hôpital, Eleonor Mastress, responsable de la prison ouest, et Geneviève de Kalata, adjointe de James Brandon et deuxième personnalité politique la plus importante de la Basse-Ville.Tous étaient venus accompagnés, sauf Victor, et il paraissait évident qu’il s’agissait d’introduire le nouveau patron de La Vigie dans ce cercle des gens qui comptent à Menel Ara. Pour autant, Victo
Une fois de plus, Moussa se leva bien après la sonnerie de son réveil. Sans doute manquait-il d’une véritable raison de se lever.Comme à son habitude, Moussa alla acheter La Vigie. Pas de chronique de Victor aujourd’hui. Il était indéniable que le frère de Gaël avait beaucoup fait pour la diffusion du journal depuis qu’il en avait pris possession. Mais il cherchait uniquement à se venger trois fois par semaine sur deux colonnes, et c’était non seulement mesquin, mais aussi inutile. Si la Haute-Ville lisait La Vigie, ce n’était sans doute que pour en rire.Cela dit, le retour de Victor dans la Basse-Ville avait confirmé quelque chose dans l’esprit de Moussa: Gaël avait bien quitté Menel Ara. Il n’aurait jamais laissé son frère se couvrir de succès sans essayer de le tuer. À moins qu’il n’ait réussi à se calmer, mais c’était assez illusoire.Les journées de Moussa se composaient essentiellement de réflexions stériles de ce genre. Il ne pouvait s’empêcher de pe
—Non, effectivement, tout a l’air calme par ici aussi. On dirait qu’on va avoir droit à une nuit paisible de plus. Après tout, peut-être nous dirigeons-nous vraiment vers une accalmie…Han Jin se laissa aller à un petit sourire plein d’espoir. Confortablement assis dans son fauteuil, il portait son Hi-Nan avec grandiloquence. Doucement, mais sûrement, le traumatisme de l’attentat s’estompait.—Tu as peut-être raison, mais restons sur nos gardes malgré tout, répondit le visage de Fabio Luzzi apparaissant sur le petit écran. Les Martyrs voudront frapper à nouveau un grand coup et les Putras ne sont pas si loin.—Les Putras ne sont plus dangereux, répliqua Jin. Je suis allé voir en personne les barrages et je peux t’assurer que ces fanatiques sont complètement cloîtrés dans leur temple.—Oui, je sais bien, mais quelque chose me trouble quand même. Peut-être les stigmates de cette fichue explosion…Luzzi émit un petit rire angoissé
Sur un écran aux contours cuivrés, légèrement arrondi et surélevé par un complexe système mécanique, un homme au collier de barbe parfaitement taillé et coiffé d’un haut de forme racontait une histoire. Un conte fantastique parlant d’un robot devenu sentient et d’arachnides empathiques, d’un monde inconnu envahi par une civilisation agressive et d’une planète oubliée peuplée de scientifiques gouvernant par probabilités.Bakari Zouma était un homme qui détonnait, dans la Haute-Ville. Son caractère joyeux, son idéologie progressiste et son jeune âge indiquaient qu’il avait tout pour incarner une forme de renouveau dans la Chambre. Naturellement, ces mêmes éléments lui valaient à la fois crainte et mépris de la part de ses semblables.L’homme entreprit une digression dans son récit pour évoquer un tribunal peuplé d’enfants, présumés incorruptibles de par leur innocence.Le chef de la famille Zouma se resservit une tasse d’un breuvage dont lui seul avait le secret, con