Le père de LyraIl sèche, cherche ses mots, puis cède devant le ton que je n’ai pas l’habitude d’employer.— Très bien. Je lance ça de suite. Mais gardez en tête que la justice suit des règles.— La justice suit des règles, répété-je, mais la vie de ma fille vaut plus que vos règles. Compris ? Je raccroche si vous n’êtes pas capable d’agir vite.Je raccroche avant qu’il n’ait eu le temps de répondre. La montre sur le bureau fait tic tac. J’appuie ma tête contre la chaise et ferme les yeux un instant, juste assez pour accumuler de la colère froide. Puis je compose un autre numéro, le même depuis des années, celui du détective qui fait le sale boulot que la loi tolère rarement.— Allô ? répondit une voix rauque.— Écoute-moi bien, dis-je sans préambule. Cassandre est dehors. Elle a été libérée. Tu vas tout de suite orienter tes recherches. Vérifie ses dernières adresses connues, ses contacts , anciens et récents , ses amis de cellule, toute personne qui a pu recevoir une lettre, un coli
La mère de LyraLe temps s’était arrêté depuis l’enlèvement de ma fille. Chaque heure sonnait comme une condamnation suspendue, chaque silence résonnait comme une trahison. Je vivais dans cette maison devenue mausolée, où chaque pièce rappelait son absence : une écharpe oubliée sur un fauteuil, une tasse posée dans la cuisine, son parfum encore accroché aux draps.Quand le lieutenant Moreau a demandé à nous voir, j’ai su que ce n’était pas pour nous apporter une délivrance. Son visage en disait déjà trop quand il a franchi le seuil : pâleur tendue, mâchoire serrée, regard fixé droit devant, comme un médecin annonçant un verdict.Il s’assit dans le salon. Mon mari, d’un calme de façade, croisa les bras pour contenir ses tremblements. Moi, je restai debout, incapable de m’asseoir, comme si m’asseoir revenait à céder.— Dites, lieutenant, dis-je. Mais dites-nous tout.Sa voix, d’abord, fut mesurée. Trop mesurée.— J’ai rouvert le dossier Cassandre. Vous saviez qu’elle avait été incarcéré
Lieutenant MoreauLe dossier Cassandre repose sur mon bureau comme une plaie mal refermée. Chaque page sent l’obsession : lettres d’amour à Alexandre, menaces à peine voilées contre Lyra, altercations publiques. Tout y est. Tout, sauf la logique de son enfermement.Je quitte le commissariat avec ce poids dans la mallette. Direction la prison. Le ciel bas, gris, écrase la ville d’une chape de béton. L’air est saturé, comme avant un orage.Dans le couloir, l’odeur de désinfectant et de métal usé colle à la peau. Le directeur me reçoit dans son bureau, mais son visage trahit déjà ce qu’il tente de cacher. Quand je prononce le nom de Cassandre, il soupire.— Elle n’est plus ici, lieutenant.Je reste figé.— Comment ça, plus ici ?Il se racle la gorge, évite mon regard.— Son état… disons… psychologique… s’était dégradé. Elle a été transférée en hôpital psychiatrique il y a quelques mois sous ordonnance médicale. Tout est en règle.Je serre les poings.— Montrez-moi les documents. Tous. Ma
AlexandreL’odeur âcre des désinfectants colle à ma gorge. Chaque respiration me rappelle la brûlure de mes côtes bandées, les éclats de douleur dans ma jambe. La lumière blafarde de la chambre d’hôpital ne connaît ni jour ni nuit. Tout se confond dans une veille fiévreuse, un cauchemar éveillé où Lyra disparaît à chaque battement de cœur.Quand la porte s’ouvre, je crois d’abord à une infirmière. Mais la silhouette qui franchit le seuil n’a rien de rassurant : costume sombre, manteau plié sur le bras, regard tranchant. Le lieutenant Moreau.Il ne s’avance pas comme un visiteur, mais comme un juge. Son regard scanne la pièce, puis se plante sur moi.— Monsieur Delcourt, dit-il d’une voix basse mais ferme. Nous devons parler.Il tire une chaise et s’assoit près de mon lit. Son carnet noir apparaît aussitôt, comme une arme silencieuse. Chaque geste est précis, méthodique.— Vous étiez présent lors de l’enlèvement. Vous avez été blessé. Votre chronologie est claire. Mais je ne suis pas i
Le père de LyraLa nuit a avancé, mais je n’ai pas trouvé le sommeil. La maison est plongée dans un silence lourd, seulement brisé par le balancier de l’horloge du hall. Chaque tic-tac me rappelle l’absence de ma fille, comme une lame qui s’enfonce un peu plus profondément à chaque seconde.Je reste assis dans le bureau, une lampe verte éclairant les piles de dossiers que je ne lis pas. Devant moi, une photo de Lyra, enfant, riant à pleines dents sur un manège. Je passe mes doigts sur le cadre, lentement. Elle a toujours été ma lumière. Et ce soir, on me l’a volée.Je serre le poing. J’entends encore les mots vagues de la police : « Nous faisons tout pour la retrouver. » Mais je connais trop bien ce refrain. Les autorités avancent, oui… mais avec leurs lenteurs, leurs protocoles, leurs doutes. Moi, je ne peux pas attendre. Pas une minute de plus.Je saisis mon téléphone et compose un numéro que je connais par cœur. Trois sonneries, puis une voix rauque décroche.— Monsieur ?— C’est m
AlexandreLe personnel fait sa ronde. Une infirmière entre, vérifie les perfusions, me demande si j’ai besoin de quelque chose. Je secoue la tête. Elle part, murmurant un « bonsoir » qui flotte comme une bénédiction inutile. Quand la porte se referme de nouveau, je sens la solitude se densifier. C’est dans cette solitude que je forge mes premières décisions : ce ne sera pas la police seule qui mènera cette quête. Trop de zones d’ombre, trop d’attentes. Mais je ne dis pas « je me vengerai » comme un cri impulsif , je me dis « je comprendrai » et « je protégerai ». Entre ces deux verbes, il y a toute la distance que je suis prêt à franchir.Je pense à Tania. À la force contenue dans ses mains qui m’ont serré tout à l’heure. À la façon dont elle a dit, sans hésiter, qu’elle irait jusqu’au bout. Elle n’est pas seulement une présence apaisante : elle devient un relais, une conscience qui me ramène quand la rage voudrait me précipiter. Je l’imagine déjà, la nuit prochaine, debout devant un