Le père de LyraLa nuit a avancé, mais je n’ai pas trouvé le sommeil. La maison est plongée dans un silence lourd, seulement brisé par le balancier de l’horloge du hall. Chaque tic-tac me rappelle l’absence de ma fille, comme une lame qui s’enfonce un peu plus profondément à chaque seconde.Je reste assis dans le bureau, une lampe verte éclairant les piles de dossiers que je ne lis pas. Devant moi, une photo de Lyra, enfant, riant à pleines dents sur un manège. Je passe mes doigts sur le cadre, lentement. Elle a toujours été ma lumière. Et ce soir, on me l’a volée.Je serre le poing. J’entends encore les mots vagues de la police : « Nous faisons tout pour la retrouver. » Mais je connais trop bien ce refrain. Les autorités avancent, oui… mais avec leurs lenteurs, leurs protocoles, leurs doutes. Moi, je ne peux pas attendre. Pas une minute de plus.Je saisis mon téléphone et compose un numéro que je connais par cœur. Trois sonneries, puis une voix rauque décroche.— Monsieur ?— C’est m
AlexandreLe personnel fait sa ronde. Une infirmière entre, vérifie les perfusions, me demande si j’ai besoin de quelque chose. Je secoue la tête. Elle part, murmurant un « bonsoir » qui flotte comme une bénédiction inutile. Quand la porte se referme de nouveau, je sens la solitude se densifier. C’est dans cette solitude que je forge mes premières décisions : ce ne sera pas la police seule qui mènera cette quête. Trop de zones d’ombre, trop d’attentes. Mais je ne dis pas « je me vengerai » comme un cri impulsif , je me dis « je comprendrai » et « je protégerai ». Entre ces deux verbes, il y a toute la distance que je suis prêt à franchir.Je pense à Tania. À la force contenue dans ses mains qui m’ont serré tout à l’heure. À la façon dont elle a dit, sans hésiter, qu’elle irait jusqu’au bout. Elle n’est pas seulement une présence apaisante : elle devient un relais, une conscience qui me ramène quand la rage voudrait me précipiter. Je l’imagine déjà, la nuit prochaine, debout devant un
AlexandreLe silence est lourd, seulement troublé par les machines qui me tiennent en vie. Chaque bip est une gifle : rappel que je respire, que je survis, mais que je ne vis pas. Pas sans elle.Mon père s’avance. Sa stature me paraît plus fragile que jamais, lui qui d’ordinaire impose la solidité, la maîtrise. Ses cheveux sont épars, ses épaules tombantes. Pourtant, sa voix reste ferme :— Alexandre, tu dois te concentrer sur toi. Sur ta guérison. Chaque seconde compte. Laisse la police faire son travail.Je détourne le visage. Un rire amer m’échappe, plus proche d’une toux que d’un vrai son.— Leur travail ? répété-je, la gorge serrée. Leur travail, c’était d’empêcher que ça arrive. Et regarde-moi. Regarde où je suis. Regarde où ELLE est.Mon père fronce les sourcils, tente de garder son calme.— Tu n’es pas en état de raisonner. Cette colère, elle te détruit. Tu dois tenir, attendre. C’est la seule voie.Ses mots me blessent plus qu’ils ne m’apaisent. Mon père parle d’attendre, mai
AlexandreUn bruit sourd. Puis un autre. Un battement lourd dans mes oreilles. Comme si mon propre cœur cognait contre mes tempes pour me rappeler que je suis encore là. Puis une odeur : l’âcre du désinfectant, le fer du sang séché, la douceur artificielle d’un oxygène qui ne parvient pas à remplir mes poumons.Je flotte entre deux eaux. Mes yeux veulent s’ouvrir, mais mes paupières sont scellées, lourdes comme si on les avait cousues. Mon corps est engourdi, prisonnier d’un sommeil forcé. Je sens les aiguilles, les bandages, les tuyaux qui m’empêchent de bouger.Quand enfin une fente de lumière perce, le monde m’agresse d’un blanc trop violent. Des bips réguliers scandent ma survie. Chaque respiration ressemble à une morsure dans ma poitrine. Mon flanc me brûle : la plaie, la balle. L’opération. Mon corps se souvient avant ma mémoire.Alors tout me revient. La fête. Les cris. Les hommes cagoulés. Lyra arrachée à nous. Lucas blessé . Tania hurlant. Mon propre sang sur mes doigts.Un m
Tania La salle d’accueil de l’hôpital sent le désinfectant et la fatigue. On m’y installe une chaise, une tasse de café tiède me chauffe les mains. Des agents en civil et en uniforme tournent autour, carnets ouverts. Ils parlent peu, posent des questions, notent. Leurs regards oscillent entre le professionnel et l’humain, comme s’ils essayaient de séparer les faits de la douleur. Je serre le morceau de tissu noir dans ma poche et je réponds.« Tania ? » lance un homme au visage fermé, qui se présente comme lieutenant Moreau. Sa voix est ferme mais sans dureté.— Oui, dis-je.— Racontez‑nous depuis le début, demande‑t‑il. Qui était présent chez les Devereux ce soir ? Décrivez la scène, sans vous perdre dans les émotions.Je respire. Dans ma tête, tout revient en vrac, mais j’essaie d’ordonner.— Il y avait une vingtaine de personnes, des amis. Lyra, Alexandre et Lucas étaient là. On a entendu du bruit dehors, puis des hommes sont entrés masqués. Ils ont frappé, crié. Ils ont pris Lyra
Tania Je rassemble quelques voisins volontaires. Ensemble, nous organisons des groupes de recherche improvisés, surtout des gens qui connaissent le quartier, des coureurs, des promeneurs de chiens. Nous passons en revue les caméras de surveillance privées aux alentours ; certaines ont bien filmé quelque chose mais, curieusement, plusieurs semblent avoir été brouillées ou coupées aux alentours du moment de l’enlèvement. C’est plus qu’un hasard. Ma colère monte d’un cran : ce n’est pas le travail d’amateurs.Je retourne à l’hôpital après avoir laissé des messages, la nuit est longue mais j’ai besoin d’être utile plutôt que simplement d’attendre. Là‑bas, on m’explique qu’on garde Lucas en observation, qu’il a subi un choc et une blessure importante mais que son pronostic semble stable. Je laisse mes coordonnées, je promets de rester joignable. Chaque seconde loin de Lyra me pèse comme une pierre.Entre deux allées de couloir, je pense à la dernière fois où j’ai vu Lyra. Elle riait, un v