LUCIAJe sais que ça va arriver.Je ne sais pas quand, ni comment. Mais je le sens dans mes os. Comme une note suspendue, prête à éclater. Comme le calme juste avant qu’un orage ne s’abatte. Ce n’est pas une intuition. C’est une évidence.Lucie est là.Elle se rapproche.Et elle a décidé que ce soir serait le dernier que je passerais avec eux.Nous avons dressé le nouveau camp près d’un ruisseau. Nath a disposé des protections. Des herbes, des symboles. Une poudre grise qu’il trace autour de nous à l’aide d’un vieux couteau en os. Élie ne parle pas. Yona guette les ombres.Et Lior…Lior ne me quitte pas d’un pas.Je sais qu’il sent ce que je sens. Mais il essaie de me rassurer. Il pose des gestes tendres, il veille à ce que je mange, à ce que je boive. Comme si prendre soin de moi pouvait suffire à éloigner Lucie.Mais ça ne suffira pas.Pas contre elle.Car Lucie ne se bat pas en face. Elle tisse. Elle enveloppe. Elle entre.Et moi, je suis déjà sur le seuil.Je m’allonge près de Lio
LUCIAJe me réveille en suffoquant.La gorge sèche, la peau en sueur, le cœur battant comme s’il cherchait une issue hors de ma poitrine. La tente est silencieuse, paisible en apparence. Mais l’air… L’air est saturé. D’un parfum que je n’ai pas senti depuis des années.Lavande. Sang. Et cendres.Je me redresse. Lentement. Lior dort à mes côtés, le visage tendu, même dans le sommeil. Son bras repose contre ma hanche, possessif. Protecteur. Mais ce n’est pas lui qui me réveille.C’est elle.Lucie.Je quitte la tente sans bruit, enroulant une couverture autour de moi. Le vent me frappe dès que je franchis l’ouverture, glacial, chargé d’une présence invisible. Je fais quelques pas. Le sol est gelé, mais je ne frissonne pas.Un éclat de tissu attire mon regard.Suspendu à une branche, tout près.Une robe.La mienne.Parfaitement propre. Sans une tache. Comme si elle avait été lavée, repassée, adorée. Elle ne pend pas là par hasard. C’est un message. Une offrande.Un appel.Je recule d’un p
LUCIELe miroir ne me renvoie plus mon reflet.Pas vraiment.Je me penche. Je fixe. Longtemps. Jusqu’à ce que la surface cesse d’être lisse. Jusqu’à ce que mon visage s’efface dans la brume de ma respiration. Alors seulement je cligne des yeux. Mon image revient, mais elle est trouble, fendue. Comme un masque qu’on aurait trop porté.Ce que je vois, ce n’est pas moi — c’est ce que j’ai façonné.Une peau bien taillée. Une bouche trop calme. Un regard qui a cessé d’avoir peur. Il n’y a plus de tremblement, plus de vertige. Juste l’acier. L’obsession polie jusqu’à devenir arme.J’ai passé des années à apprendre l’art de la patience.Des années à m’appliquer, comme une sculptrice amoureuse, à graver dans ma mémoire chaque détail de sa voix, de ses cris, de ses silences.Et de son regard quand il me suppliait. Pas d’arrêter. Non.De ne jamais partir.L’amour, quand il est vrai, il pourrit tout ce qu’il touche.Et moi, je suis pourrie jusqu’à la moelle.Je sors la boîte.Pas celle qu’il a g
LIORLa nuit s’est resserrée autour de moi.Ce n’est pas le froid qui me réveille. Ce n’est pas non plus la faim, ou même le silence. C’est ce que je ressens sous ma peau. Comme si quelque chose rampait dans mes veines, chuchotait dans ma nuque.Lucia est assise près du feu, immobile. Elle ne dort pas. Elle ne dort presque plus depuis que nous avons quitté la ville.Elle tourne la tête quand je me redresse. Nos regards se croisent. Je sais qu’elle l’a senti aussi.— Elle est plus proche, je murmure.Lucia hoche la tête, les traits fermés.— Elle ne te lâchera pas, Lior. Pas tant qu’elle ne t’aura pas brisé. Ou repris.Je serre les dents.Lucie.Elle a toujours su où me trouver. Toujours su comment m’enfoncer ses griffes dans le cœur, sans que je crie. Une obsession. Une emprise. Elle disait que je lui appartenais. Que j’étais le seul qu’elle n’avait jamais voulu garder.Et qu’elle finirait par me garder, vivant ou non.Lucia se lève. Elle enfile sa veste, saisit son arme.— On ne peut
LUCIALe matin s’est levé sans bruit.Je me suis éveillée dans ses bras, pour la première fois depuis des semaines sans que la peur ne me lacère le ventre. Le silence n’avait rien d’inquiétant. Pas de grésillement suspect. Pas d’ombre en forme de souvenir. Juste le crépitement discret des braises, les soupirs d’un feu qui se consume doucement. Et Lior. Immobile. Éveillé. Veillant sur moi comme une sentinelle fatiguée.Je n’ai rien dit.Je l’ai regardé.Et dans ses yeux, j’ai vu une forme d’épuisement si profond que j’ai eu envie de m’effacer. De disparaître juste pour lui rendre la paix qu’il m’offre chaque nuit.Mais je n’ai pas fui.Je me suis blottie contre lui.Et il a refermé ses bras autour de moi sans un mot. Comme si c’était naturel. Comme si je n’étais pas une tempête à contenir.Le chalet est vieux. L’air y est frais malgré la cheminée. Des toiles d’araignée dans les coins, de la poussière sur les étagères, des meubles en bois qui grincent au moindre geste. Mais tout ici res
LIORJe ne dors pas.Lucia dort contre moi, enfin. Son souffle s’est apaisé, son corps détendu, son front posé contre ma clavicule. Et pourtant, malgré son sommeil, je la sens tendue dans le creux de ses os. Même inconsciente, elle lutte. Contre elle. Contre l’ombre. Contre elle.Lucie.Ce prénom me hante. Cette silhouette du passé qui refuse de mourir. Cette flamme qui consume tout ce qu’elle touche, sans jamais s’éteindre. Je la sens encore ici, malgré les murs, malgré les verrous. Elle rôde. Elle gratte, patiente, comme si elle attendait que Lucia faiblisse. Comme si elle savait qu’elle finirait par craquer.Je caresse les cheveux de Lucia. Doucement. Rythmiquement. Comme un battement. Comme une promesse. Je suis là. Je reste. Je tiendrai pour deux s’il le faut.Mais je suis fatigué, moi aussi.Pas physiquement. Pas vraiment. C’est plus profond. Une fatigue de veilleur. De celui qui surveille les lignes de faille, les fissures qui se creusent dans le ciment d’un amour qu’on tente d