34Je pousse la barre si haut que le tapis risque de m’éjecter. Je repositionne mes écouteurs pour la sixième fois: la transpiration et mon agitation ont tendance à les faire tomber, ce qui ne cesse de me déconcentrer. Il me reste cinq minutes avant la récupération. L’ancienne Allyn n’aurait jamais tenu quarante minutes sur autant de dénivelé. La nouvelle Allyn choisit pourtant de pousser le vice en augmentant la vitesse de deux créneaux et en élevant le dénivelé d’un palier supplémentaire. Tu peux le faire, me répété-je en luttant contre mon souffle erratique, mon cœur qui cogne contre ma cage thoracique et les taches blanches qui brouillent ma vue.Quand le minuteur annonce la fin de mon entraînement, j’ai l’impression qu’on pourrait cuire des œufs sur mes joues. Mes jambes en guimauve tanguent dangereusement tandis que je me rapproche des produits destinés à nettoyer les appareils.—Un peu plus et tu t’envolais, me taquine Alice en choisissa
35Quand je me réveille le lendemain, je n’ai presque pas dormi de la nuit. Ça devient une habitude, seulement je ne peux pas uniquement blâmer les apparitions sournoises de Lucius. Je me plie en deux malgré ma difficulté évidente pour respirer. Ma gorge se serre, mes doigts sont parcourus de fourmillements indésirables. En deux mots, j’angoisse. À quoi pensais-je en me croyant digne de devenir le guide de l’équipe? Et à quoi jouait donc Lucas en m’offrant ce satané bouquin en cadeau de Noël? Si mon équipier se sentait un minimum concerné, cela me rassurerait; mais j’ai la fine intuition que je vais attendre longtemps avant d’obtenir son soutien dans cette affaire.J’hésite à déclarer forfait en me faisant porter pâle. Je suis très bien dans mon lit, à contempler le plafond, et je n’ai pas besoin de cette stupide alarme de téléphone qui m’ordonne de me lever pour affronter cette journée. Com
Six mois plus tôtL’ombre noire aux volutes de fumée me dissimule une grande partie des dégâts. Ce n’est plus un accident, c’est un véritable massacre.Le monospace de Rémy gît sur le toit dans un sale état et des débris de verre jonchent la route. De là où je me trouve, il m’est impossible de repérer un survivant. Alors je replie mes ailes et me laisse tomber sur le sol, consumé par les regrets.J’aurais dû partir avec eux et les suivre de loin au risque de griller ma couverture. Pourquoi n’ai-je pas été assez rapide?Un gémissement plaintif me tire de mes lamentations. Il ne provient pas du véhicule de mes protégés, mais de la deuxième voiture accidentée. De combien de morts suis-je donc responsable?Des larmes de rage et de frustration coulent sans répit le long de mes joues. Ce n’était pas censé se dérouler comme ça. Cette initiation était courue d’avance:personne n’a jamais plus d’un
—Anna!Axel s’égosilla pour la quatrième fois, sans succès. Son sens de l’orientation lui faisait défautet cela n’arrangeait en rien sa morosité: toutes ces allées de marbre blanc étincelant allaient finir par le rendre fou. Quant à ce soleil! Jamais il n’aurait cru qu’un jour il en viendrait à regretter ses promenades dans les Affres.—Anna!Axel tourna sur lui-même, parvenu à un embranchement dépourvu d’indications. Ses doigts tirèrent sur les racines de ses cheveux blonds afin de ménager son impatience. C’est qu’il s’agissait à présent de la jouer stratégique s’il ne voulait pas perdre les dernières gouttes de sang froid qu’il conservait avec difficulté.—Вы что-то ищете, молодой человек!?1 Axel n’avait rien compris à ce que cet homme vêtu d’une tunique d’un autre siècle lui avait beuglé depuis sa pelouse, et il ne chercha pas à s’étendre sur le sujet. Au loin, discernable entre deux saule
1Un long soupir m’accompagne tandis que je me laisse couler sur le dossier de mon fauteuil. Récapitulons: le sol est en train de sécher, les DASRI2 sont prêts à être embarqués et la mise à jour de l’ordi est enfin terminée. Je crois qu’on est bon.—J’ai envie d’un sandwich, confessé-je.Maël hausse un sourcil, car il sait que cette figure comique m’arrache toujours un sourire. Assis comme à son habitude sur la commode où je range mon matériel en rab, il me scrute avec insistance.—Un repas de rêve pour celle qui ne mange pas de la journée, me taquine-t-il.—Attends, je ne te parle pas de la vieille tranche de jambon entre deux mies de pain là! Mais du bon gros sandwich avec overdose de garniture de chez Phil. Tu crois qu’il sera encore ouvert, le temps de rentrer? ajouté-je avec une pointe d’angoisse.—Autant partir tout de suite pour ne pas prendre de risque, approuve-t-il en haussant les épaules. Tu
2Contrairement aux conseils de Maël, je n’ai pas fermé l’œil de tout le trajet. Pourtant il est vingt-trois heures passées lorsque nous nous garons enfin. Nous n’avons pas quitté les montagnes, ou plutôt, je nous soupçonne de nous être terrés dans une de ces cuvettes naturelles perdues au milieu de nulle part. À ce stade des événements, je ne serais pas étonnée si un géant barbu venait nous chercher avec une lampe à pétrole pour nous conduire au milieu du lac des Bouillouses.—Pas fâché d’arriver! se réjouit Loïc en quittant la berline. Grégory, allez prévenir Josias que nous sommes arrivés. Et vous ma chère, venez donc par ici!Après un regard échangé avec Maël, nous rejoignons mon kidnappeur qui nous attend devant une maison. De cette dernière, je suis incapable d’en déterminer la taille, faute de lumière; les deux colonnes de pierre qui ornent l’entrée me donnent toutefois un léger indice sur le style de bâtisse dans laquelle je m’apprêt
3Le lendemain matin, je suis réveillée par des coups sourds contre ma porte. Au moins mes geôliers ont eu la prévenance de ne pas venir me tirer du lit aux aurores…—C’était trop beau pour être vrai, hein? commente Maël alors que je me redresse dans mon lit pour resserrer le peignoir autour de ma taille.Comme mes charmants hôtes ne m’ont pas fourni de pyjama adéquat, il a fallu que j’improvise.—Pitié! gémis-je. Est-ce que je dois leur ouvrir?—Si tu comptes partir de là un jour, je te conseille de faire semblant de les écouter jusqu’au bout. Ensuite, tu pourras affirmer que leurs histoires ne t’intéressent pas et revenir à ton train-train quotidien.Maël a affirmé ça avec le sourire, et pourtant quelque chose dans ses paroles augmente la pression qui s’exerce au niveau de ma cage thoracique. Se pourrait-il qu’un pourcentage infime de mon inconscient se réjouisse d’en apprendre davantage sur l’organisation
4—Tu ne me parles plus? m’enquiers-je en ouvrant la porte de mon réfrigérateur pour me préparer un sandwich de fortune. Ça devient lassant.Cela fait moins d’une heure que Léo m’a déposée à mon appartement, après un détour par le cabinet où j’ai enfin pu récupérer mon sac à main. Je craignais que Maël refuse de rentrer avec moi, mais il s’est tout de même installé sur la banquette arrière pour écouter le résumé que j’ai pondu à mon chauffeur attentif. Le sourire que Léo m’a adressé en guise de réponse m’a rassurée, même si le doute continue de pointer le bout de son nez dans ma tête embrumée: ai-je eu raison d’agir de la sorte? N’aurait-il pas été plus judicieux de demander un délai avant de prendre une telle décision? Bref, qu’importe à présent, puisque c’est fait.Je m’aventure à rassembler toutes les garnitures disponibles qui m’inspirent, puis cherche au fond de mon placard pour y récupérer mes dernières tranches de pain de mie complet