À vrai dire, à cette heure-là, plus personne n'allait au bureau à pied.
Quand le feu est passé au vert, un scooter – qui ne s'attendait sûrement pas à croiser quelqu'un sur le passage piéton – a tourné et m'a percutée de plein fouet.
Résultat : des éraflures un peu partout, aux mains, aux jambes, et sur le front.
L'infirmière a désinfecté, mis de la pommade, collé un pansement sur mon front et m'a conseillé : « Essayez d'éviter l'eau les prochains jours. Pas de bain, et appliquez bien le traitement. »
En sortant de l'hôpital, j'ai pris un taxi pour aller à l'entreprise.
Le chauffeur avait deux téléphones fixés sur des supports : l'un servait de GPS, l'autre diffusait un live de Yukki.
Le chat défilait, rempli de messages de soutien.
« Merci tout le monde pour votre inquiétude ! Yuyu Cat va très bien !! Heureusement que Loulou est arrivé à temps, pas besoin d'aller à l'hôpital. »
« Mais non ! Je lui ai pas encore avoué mes sentiments. Non non non, Loulou est juste à côté… Oui, il est super gentil hein… »
J'ai baissé les yeux sur mon propre téléphone.
Deux messages m'y attendaient, pleins de colère et d'agacement :
« L'assistante m'a dit que t'étais pas à la réunion sur le projet. T'es où ? Va au bureau immédiatement ! »
« C'était juste dix minutes à pied. Tu vas encore faire un drame ? »
Il était vraiment le champion du double standard.
Le soir est venu.
Après avois appliqué la pommade, j'étais dans le canapé, regardant la télé.
Derrière moi, j'ai entendu le bip du digicode, suivi par la voix moqueuse de Louis :
« Je croyais que t'avais enfin compris la leçon. Aucun caprice ces derniers jours… T'attendais juste le bon moment pour me faire une scène, hein ? »
La télé devait être trop bruyante. Il est allé droit au but et a débranché la prise.
« Yvonne, t'as un cerveau ou pas ? Ce projet, ça fait deux semaines qu'on le prépare. Tu sais ce que ça coûte à la boîte si on le repousse ? »
Je l'ai regardé en face. Son visage plein de dégoût. Puis il s'est figé.
Ses yeux fixés mon front, la pommade, puis mes bras et jambes abîmés. Il a froncé les sourcils : « Qu'est-ce qui t'est arrivé ? »
J'ai détourné son regard, haussé les épaules : « Rien de spécial. J'ai été heurtée par un scooter. »
Il a cligné des yeux, visiblement mal à l'aise, et s'est approché pour voir mes blessures.
« Pourquoi tu m'as pas appelé ? »
J'ai repoussé sa main et ai haussé les lèvres, sans émotion : « C'est rien. La salariée est plus importante, non ? »
Appeler, pour quoi faire ?
Chaque fois, il me répondait sans écouter, commençait par m'accuser, me reprochait tout. Il s'est jamais demandé ce que je voulais lui dire.
Avant, il ne venait pas. Maintenant, il viendrait ?
Mes mots l'ont piqué. Il s'est redressé, a ricané :
« Yvonne, faut vraiment que tu sois aussi agressive ? Ok, j'aurais pas dû te laisser sur le trottoir. Mais sérieusement ? T'es une gosse ? Tu te fais renverser en marchant dans la rue ? »
Je l'ai regardé sans rien dire.
Voilà. Même une simple remarque deviendrait, dans sa bouche, une preuve de mon immaturité.
Je ne voulais plus discuter avec lui. Je me suis levée pour aller dans la chambre.
Il a vu que je marchais difficilement. Son visage s'est adouci, il a soupiré et s'est approché pour me soutenir :
« Ce soir, je dors avec toi. Comme ça, je pourrai veiller sur toi. »
Cela faisait longtemps que Louis ne s'était pas couché avant minuit.
Parce que Yukki disait que les commentaires sur ses lives étaient méchants, qu'elle avait peur de sombrer dans la dépression si personne ne la soutenait, elle exigeait qu'il reste avec elle pendant les diffusions.
Alors tous les soirs, Louis allait dans le bureau, soi-disant pour travailler, mais en réalité il regardait ses lives, interagissait avec elle à l'écran, lui envoyait des mots doux en direct.
On s'était disputés à ce sujet. J'avais crié, pleuré. Ça n'avait rien changé.
Il était convaincu qu'il faisait juste son boulot. Et pour me faire taire, il avait fini par me menacer de divorce. J'avais cédé.
Cette fois, je n'ai pas refusé sa proposition.
Mais quand il a voulu me prendre dans ses bras, j'ai simplement murmuré : « Louis, divorçons. »