Chapitre 2

« Pour qui te prends-tu ? »

La voix d'Étienne a résonné dans mes oreilles, mais je n'y ai plus senti de chaleur, que du dédain, que de la froideur.

J'ai fermé les yeux, des douleurs aiguës ont jailli de ma marque de compagnon. Le lien de vingt ans s'affaiblissait naturellement, comme une vieille corde sur le point de se rompre.

Il y a vingt ans, cette marque avait été forgée avec de l'amour et des vœux.

À l'époque, Étienne n'était pas l'Alpha le plus fort de France, juste un étudiant pauvre d'une petite meute marginale.

Il était coincé dans une usine désaffectée par trois loups rivaux, et couvert de blessures causées par des armes en argent.

« Laissez-moi partir. » a rugi Étienne, dix-neuf ans, le sang coulant au coin de sa bouche. « La famille Pierre ne s'incline jamais devant ses ennemis ! »

Les loups rivaux se sont moqués de lui. « La famille Pierre ? Cette meute de troisième ordre en voie d'extinction ? Petit, tu n'as même pas le droit d'assister aux réunions de l'Alliance. »

Je suis sortie de l'ombre.

« Laissez-le partir. » ai-je dit calmement.

Les loups rivaux se sont retournés, stupéfaits de me voir, moi, une étudiante à l'air inoffensif.

« Encore une personne qui a envie de mourir ? » Le chef des rivaux s'est léché les lèvres. « Deux jeunes loups devraient rapporter un bon prix. »

Je n'ai ni transformé, ni rugi. J'ai juste libéré un tout petit peu de la puissance de ma lignée.

Les trois loups rivaux expérimentés se sont instantanément mis à genoux, leurs corps tremblant de façon incontrôlée. Le chef s'est même mis à bafouiller : « Non... impossible... ce genre de pouvoir... »

« Sortez ! » ai-je dit doucement.

Ils se sont éloignés en courant, trébuchant pratiquement sur eux-mêmes.

Étienne a regardé fixement, les yeux écarquillés, se levant difficilement. « Tu... comment as-tu fait ça ? »

Je me suis approchée de lui et j'ai examiné ses blessures. « Ces blessures d'argent sont profondes. Il faut les soigner tout de suite. »

« Attends ! » Étienne m'a attrapé le poignet. « Qui es-tu ? Aucun loup-garou ordinaire ne pourrait... »

« Je m'appelle Régine Leroy. » J'ai déchiré une bande de mes vêtements et j'ai pansé sa blessure la plus profonde. « Et toi ? »

« Étienne Pierre. » Sa voix était faible, mais son regard était toujours aussi obstiné. « Leroy... Jamais entendu parler de cette famille. De quelle meute es-tu ? »

J'ai souri mais je n'ai pas répondu.

Depuis ce jour, ce garçon têtu a commencé à me poursuivre. Il pensait que je n'étais que la fille d'une meute moyenne, avec quelques talents particuliers.

Je ne l'ai pas corrigé.

« Régine, je te protégerai. » a-t-il dit lors de sa première confession, les yeux brillants de sincérité. « Je sais que je suis faible maintenant, et que ma famille n'est pas forte, mais je travaillerai dur. Je deviendrai un Alpha digne de toi. »

Il était si innocent à l'époque, si motivé. Chaque jour, il était en classe ou à l'entraînement, essayant désespérément de devenir plus fort.

Nous avons eu notre cérémonie d'accouplement l'année où nous avons obtenu notre diplôme.

Une cérémonie simple, juste nous deux dans une petite chapelle par une nuit de pleine lune.

La meute d'Étienne était trop pauvre pour offrir une grande fête.

« Je jure », a-t-il murmuré, la voix tremblante alors qu'il me mordait doucement le cou, « je t'aimerai, je te protégerai et je ne te trahirai jamais de toute ma vie. »

Au moment où la marque s'est déposée, j'ai ressenti un sentiment de complétude que je n'avais jamais connu.

Ce garçon têtu et obstiné est devenu mon compagnon, l'autre moitié de ma vie.

Les premières années de notre mariage étaient heureuses.

Étienne travaillait dur pour étendre le territoire de la Meute de Pierre, et je l'aidais en secret. Lorsqu'il affrontait un ennemi puissant, je faisais subtilement pression pour qu'il recule.

Quand il avait besoin d'alliés, j'utilisais l'influence de ma lignée pour lui ouvrir la voie.

Il pensait que tout cela était dû à son talent et à son travail acharné.

J'étais heureuse de le laisser penser cela.

Après la naissance de Sébastien, Étienne est devenu encore plus ambitieux.

« Notre fils sera le plus fort Alpha de France. » a-t-il dit en tenant notre nouveau-né, les yeux remplis de la fierté d'un père. « Il a hérité de nos deux lignées, il ne peut que me surpasser. »

À l'époque, il m'embrassait encore sur le front le soir et me disait que j'étais tout pour lui.

Mais au fur et à mesure que le pouvoir de la Meute grandissait, que les faveurs et les flatteries arrivaient de toutes parts, Étienne a commencé à changer.

« Régine, fais attention à ce que tu dis. » m'a-t-il grondée en public pour la première fois il y a cinq ans. « La réunion de l'Alliance n'est pas un lieu où tu peux exprimer tes opinions. »

« Régine, il y a un problème avec l'éducation de Sébastien. » a-t-il commencé à remettre en question mon rôle de parent il y a trois ans. « Tu le rends trop doux. Un futur Alpha doit être plus dur. »

« Régine, ta lignée est devenue un obstacle au développement de notre famille. » a-t-il dit il y a un an, évoquant pour la première fois directement la lignée. L'amour a disparu de ses yeux. « Peut-être que je devrais envisager... d'autres options. »

Puis Stella est apparue.

Jeune, belle, et censée posséder une rare lignée de loups au sang pur.

« Elle comprend mes ambitions. » a déclaré Étienne, s'excusant pour sa liaison. « Elle ne sera pas une pierre d'achoppement à mon progrès. »

Maintenant, mon fils était mort.

Mort à cause de la négligence fatale de son père, parce qu'il avait retiré sa sécurité pour s'occuper de sa maîtresse.

J'ai cligné des yeux, me sortant de mes souvenirs.

Étienne était en train d'entrer dans notre maison, tout excité à l'idée d'organiser la fête au téléphone.

« Oui, je dois présenter officiellement Stella à tous les alliés. Elle sera la véritable future Luna de la Meute de Pierre. » Sa voix était pleine d'anticipation. « Cet enfant changera complètement le statut de la lignée de notre famille. »

J'ai touché la marque sur mon cou, la sentant s'estomper. Vingt ans d'amour et de vœux ont été réduits en cendres.

« Étienne. » ai-je appelé doucement.

Il a levé les yeux avec impatience. « Qu'est-ce qu'il y a ? Je suis occupé par des choses importantes. »

« Te souviens-tu de nos vœux ? »

Étienne a froncé les sourcils, semblant s'efforcer de se souvenir, puis il a fait un signe de la main dédaigneux. « Ces enfantillages ? Régine, je n'ai pas le temps d'être nostalgique. Le passé n'a plus d'importance. »

Après le départ d'Étienne, je me suis retournée et j'ai sorti mes vêtements de deuil.