ÉliseLa maison devient un piège. Chaque pièce, chaque recoin garde l’empreinte de ce que nous avons fait.Julien et moi, nous évoluons à l’intérieur comme deux funambules, suspendus au-dessus d’un gouffre. La chute est certaine, mais nous continuons à avancer.En silence.Enfiévrés.Camille, elle, ne voit rien. Ou refuse de voir. Elle parle du bébé, de la fatigue, de l’avenir. Mais ses mots me parviennent déformés, lointains, comme s’ils n’étaient plus pour moi.Julien, lui, me regarde. Sans cesse. Dès qu’elle détourne les yeux. Ses prunelles me brûlent. Il ne cherche même plus à se cacher.La nuit suivante, je tente de m’enfermer dans ma chambre. J’ai besoin de distance. De répit.Mais à peine les lumières éteintes qu’il pousse la porte.Je suis là, debout, en chemise de nuit. Tremblante.Julien (bas, rauque)— Tu ne pensais tout de même pas que j’allais te laisser seule, cette nuit.Je veux protester. Mais il s’avance déjà. Sa main attrape ma nuque. Sa bouche fond sur la mienne, av
Élise La journée s’est écoulée dans un silence lourd. Camille ne remarque rien. Ou fait semblant. Peut-être devine-t-elle que quelque chose se fissure, mais elle ne veut pas voir. Moi, je suis incapable de croiser son regard.Julien, lui, reste d’un calme glaçant. Il agit normalement, s’occupe d’elle, rit même parfois. Mais je le sens. À chaque geste. Chaque regard volé. Il attend. Il sait que l’instant approche. Celui où plus rien ne sera réversible.La nuit tombe, pesante. Camille s’est endormie tôt, exténuée par les contractions qui s’annoncent de plus en plus fréquentes. La maison plonge dans le noir.Je suis sortie sur la terrasse. L’air frais me gifle le visage, mais ne parvient pas à calmer le feu qui me consume.Et il apparaît.Julien.Il s’approche sans un bruit. Je le sens avant même de le voir. Sa chaleur. Son odeur.Julien— Tu savais que je viendrais.Je ne réponds pas. Les mots seraient inutiles.Il se glisse derrière moi. Son torse contre mon dos. Ses mains sur mes han
Julien— Laisse-moi te rappeler ce que tu ressens quand je te touche.Élise— Julien… Non… Camille…Julien— Camille dort. Elle dort toujours, Élise. Elle nous laisse tout l’espace. Tu crois que c’est un hasard ?Sa main remonte lentement sur ma cuisse.Julien— Dis-moi de m’arrêter. Regarde-moi et dis-le.Je le regarde. Mais aucun son ne franchit mes lèvres.Julien— Voilà… Tu ne peux pas. Parce que tu me veux.Il se penche, ses lèvres frôlent ma cuisse.Julien— Tu veux que je m’impose davantage ?Je ferme les yeux.Élise— Arrête…Il rit, amer.Julien— Non. Pas cette fois.D’un geste brusque, il se redresse et m’attire à lui. Nos corps se heurtent, et je suffoque. Sa bouche effleure la mienne sans m’embrasser.Julien— Je vais te rendre folle. Jusqu’à ce que ce soit toi qui me supplies.Camille (au loin)— Maman ?Elise Je sursaute. Il me relâche aussitôt. Nos regards s’accrochent, brûlants.Camille descend, les yeux encore mi-clos.Camille— J’ai soif…Elle s’arrête en bas de l’
Élise Le jour s’étire lentement, lourd, pesant. J’erre dans la maison sans but, l’ombre de moi-même. Chaque objet me renvoie à Camille. Chaque recoin me rappelle ce que j’ai commis.Et lui… Lui est partout.Je le sens dans l’air. Dans cette odeur de bois et de linge propre. Dans cette tension qui m’agrippe la nuque à chaque fois que je sens son regard peser sur moi.Julien ne parle pas. Il ne fait que m’observer. Discret. Patient. Mais chaque silence qu’il m’impose est plus violent que s’il m’hurlait son désir.Camille dort. Alanguie sur le canapé, la main posée sur son ventre. Inconsciente de la guerre qui fait rage sous son toit.Je me réfugie dans la cuisine. J’essaie de respirer. Mais à peine ai-je posé les mains sur l’évier qu’il entre.Julien— Tu fuis encore.Sa voix me frappe dans le dos. Je ne me retourne pas.Élise— Laisse-moi, Julien.Julien— Non.Il avance. Lentement. Je le sens derrière moi. Son souffle frôle ma nuque.Julien— Tu crois que tu vas pouvoir jouer à la mè
Elise Le soleil s’est hissé haut dans le ciel, projetant sur la maison une lumière crue qui ne pardonne rien. Chaque recoin semble soudain trop net, trop visible, comme si le jour lui-même voulait m’arracher à mes ténèbres. Pourtant, je me force. Je m’extrais de cette chambre qui sent encore le péché et le regret, cette pièce où j’ai cessé d’être mère cette nuit.Je descends lentement les marches. Chaque craquement du bois sous mes pieds me donne la sensation d’avancer vers mon propre jugement. Et dans la cuisine, le cœur de cette maison que je devrais chérir, je la vois.Camille.Ma fille.Elle est là, radieuse dans la simplicité de ce matin ordinaire. Ses cheveux relevés à la hâte dévoilent la courbe délicate de sa nuque. Elle fredonne un air sans importance, légère, insouciante. Son ventre arrondi trahit la vie qui grandit en elle — cette vie qu’elle attend avec tant de confiance.Je la fixe. Et dans ma poitrine, quelque chose se déchire lentement.Camille— Maman… Te voilà. Je me
Élise La lumière blanche du matin s’infiltre par la fenêtre entrouverte, caressant les draps en bataille, dévoilant sans pitié le désordre de la nuit. Je ne bouge pas. Mon corps demeure étendu là, alourdi par la fatigue, marqué de son empreinte. Chaque parcelle de moi se souvient de lui, de ses mains, de sa bouche, de ses assauts répétés jusqu’à l’épuisement.Et pourtant, ce n’est pas l’épuisement qui m’étreint ce matin. C’est une brûlure sourde, un vide immense qui pulse entre mes cuisses, comme si mon corps réclamait déjà ce que ma conscience me supplie de fuir.Je tourne lentement la tête. Julien est là. Assis sur le rebord du lit, torse nu, une cigarette oubliée entre ses doigts. Son regard se perd dans le vide. Il est beau d’une beauté qui tue, d’une beauté qui broie les femmes et les laisse exsangues.Je l’observe longuement, incapable de prononcer le moindre mot. Le poids de notre faute plane au-dessus de nous, immense, écrasant. Mais il ne bouge pas, et je devine qu’il attend