(Eliza)La lumière froide de la salle de réunion découpe les visages comme des lames. Je suis encore en sueur, la tempe battante, le cœur qui cogne dans ma poitrine. Assise face à Damian, je sens l’électricité contenue dans la pièce.Kael est debout, adossé au mur, les bras croisés, l’œil noir. Trois autres membres du cercle intérieur sont là : Ivan, la voix sèche ; Djalil, toujours calculateur ; et une femme que je ne connais pas encore, les cheveux roux tirés en arrière, le regard aussi tranchant que le silence.Damian ne parle pas tout de suite. Il me fixe. Droit dans les yeux. Il attend. Je comprends qu’il veut m’obliger à parler la première.— Ils étaient trois. Entrés par les fenêtres du rez-de-chaussée. Ils savaient que Kael n’était pas là, je dis, la gorge encore sèche. Ils savaient exactement où j’étais.Ivan hoche la tête. Djalil prend des notes sur une tablette. La femme, elle, me dévisage comme un spécimen qu’on étudie.— Tu as utilisé ton pouvoir ? demande Damian.— Oui.
(Eliza)Je suis seule. Enfin.Le silence est dense dans la pièce, presque étouffant. J’ai tiré les rideaux pour que la lumière du jour ne vienne pas troubler le chaos que je sens en moi. Les battements de mon cœur ne sont pas encore revenus à la normale.Je fixe ma main. Cette paume marquée, cette couleur rouge sombre, presque noire, qui semble pulser doucement, comme si un cœur y battait. Le même symbole que celui tatoué dans le dos de Kael.Ce n’est pas une coïncidence. Ce n’est pas anodin.J’essaie de me rappeler la sensation, cette déflagration silencieuse quand le pouvoir a jailli pour la première fois. C’était brut, incontrôlé, mais il y avait quelque chose de familier, comme si je réveillais une mémoire que mon corps portait depuis toujours.Et puis, cette voix…Pas une voix extérieure. Une sorte d’écho intérieur. Une intuition amplifiée. Une présence en moi, ou peut-être juste moi-même, débarrassée de mes filtres.Je ferme les yeux. Je revois le visage de mon père.Son rire re
(Eliza).Chaque pas que je fais résonne dans le couloir silencieux. Mes mains tremblent, mais pas de peur. De fureur. Une colère ancienne, primitive, monte en moi. Celle que mon père a essayé de nier. Celle que ma mère a payé de sa vie. Celle que moi, je dois porter.Je frappe la porte du salon interdit. Une fois. Deux fois. Je n’attends pas qu’on m’ouvre. J’entre.Aïcha est là, debout au milieu des bougies noires. Elle sourit avant même de me voir. Comme si elle m’attendait. Comme si elle *savait*.— Tu portes enfin ton nom avec fierté, dit-elle d’une voix douce.— Tu as tué mon père, je crache. Tu l’as puni parce qu’il t’a défiée.— Non. Il s’est puni lui-même. Il a juré sur ton sang. Il a trahi ce sang.Je m’avance, les yeux plantés dans les siens. Mon cœur bat à tout rompre. La magie dans l’air est plus dense ici. Elle me colle à la peau. Mais je ne recule pas.— Tu crois que je vais plier ? Que parce qu’il a fait une promesse, je dois m’y soumettre ?Ses yeux noirs se plissent, p
(Eliza)Je ne frappe pas. Je pousse la porte de son bureau, décidée à ne pas lui laisser l’avantage. Damian est là, debout face à la fenêtre, les mains croisées dans le dos, silhouette taillée à la lame. Il sait que je suis entrée. Il ne se retourne pas.— Tu savais, je lance sans détour. Tu savais ce qu’elle était.Il ne répond pas tout de suite. Le silence est épais, presque vivant.— Tu devrais apprendre à ne pas te jeter dans la gueule du loup, Eliza, dit-il enfin.Je serre les poings.— Je suis née dedans. C’est toi qui me l’as rappelé.Il pivote lentement, et je vois ses yeux. Fatigués. Fermés. Mais lucides.— Qu’est-ce qu’elle t’a dit ? demande-t-il.— Assez pour comprendre qu’elle n’est pas ici pour m’aider. Qu’elle manipule. Qu’elle te manipule peut-être toi aussi.Un sourire sec déforme sa bouche. Ce n’est pas de l’amusement. C’est du dédain.— Personne ne manipule Aïcha. Pas même moi. Mais elle ne ment pas.— Elle veut que je me méfie de Kael. Qu’elle appelle un "soldat bri
(Kael)Je la trouve seule, dans la serre abandonnée à l’arrière du domaine. Les vitres sales diffusent une lumière trouble, verte et humide. L’endroit sent la terre, la mémoire, et quelque chose de plus ancien encore.Aïsha est accroupie, les mains plongées dans un pot fendu. Des racines s’enroulent autour de ses doigts comme si elles la reconnaissaient.— Tu me surveilles ou tu veux m’interroger ? murmure-t-elle sans même lever les yeux.— J’ai jamais eu le luxe de surveiller. Je suis pas Damian. Moi je regarde, et je tire si ça pue.Elle lève la tête. Son regard noir accroche le mien comme une lame recourbée.— Tu n’aimes pas ce que je suis.— Non. Je n’aime pas ce que tu fais à Eliza.Un silence, puis un sourire en coin.— Ce que je fais ? Je ne fais rien. Je révèle. Ce que tu veux cacher, ce que Damian veut canaliser. Moi, je l’appelle. Je lui tends un miroir.Je m’avance, mon pas lourd, calculé. La serre gémit sous mon poids. Le verre craque légèrement sous une plante desséchée.
(Eliza)Je sens sa présence avant de la voir. Une onde glacée me parcourt l’échine alors que je franchis le seuil du hall. Damian m’a simplement dit : « Tu dois la rencontrer. C’est elle qui détient les clés que je ne peux pas te donner. »Je n’ai pas aimé le ton de sa voix. Ni ce que je lisais dans ses yeux. De la crainte. De la… déférence ?La femme est debout près des grandes baies vitrées. Drapée de noir, droite comme une lame. Elle ne se retourne pas tout de suite. Et pourtant je sais qu’elle sait que je suis là.— Tu ressembles à ta mère.Sa voix est rauque, douce et tranchante à la fois. Comme un fil d’acier sous de la soie.— Vous l’avez connue ? je demande, méfiante.Elle se tourne alors. Ses yeux noirs me transpercent. Ce n’est pas une métaphore. J’ai réellement l’impression qu’ils traversent ma peau, mes os, et lisent ce qui se cache en moi. Ce que même moi je ne comprends pas encore.— Ta mère avait cette même tension dans le regard. Ce mélange de feu et de refus. Elle cro