POINT DE VUE DE TIMOTHÉEJ'ai pris mes distances avec Lucie.J'ai cessé de répondre à ses appels en un éclair, arrêté de lui envoyer des messages dès que j'en avais l'occasion, je me suis plongé dans le travail pour ne même pas avoir une seconde à consacrer à penser à elle, et j'ai menti en disant que je partais à l'étranger pour un voyage d'affaires. Je ne nierai pas à quel point ça a été difficile, mais j'ai plutôt bien réussi. J'ai réussi à me convaincre que je pouvais l'oublier. J'ai construit de solides murs autour de moi et ils ont tenu longtemps.Mais tout s'est effondré aujourd'hui.Tout ce qu'il a fallu, c'est un appel du père de Lucie pour que ces murs s'effondrent autour de moi et pour que j'oublie comment j'avais juré de rester loin d'elle.« Lucie est revenue à la maison, Timothée. C’est mauvais. Elle pleure vraiment beaucoup et je ne sais pas quoi faire. Peux-tu venir ? »C’étaient ces mots qui m'ont fait quitter mon bureau en courant, ignorant le rappel de ma secrét
Putain, je n'étais pas là pour Lucie.J'étais tellement occupé à panser mes blessures en la voyant se précipiter vers Kaïs pour obtenir de l'aide que je l'ai complètement négligée. J'aurais dû être là pour elle. J'aurais dû mieux faire. Je n'aurais pas dû laisser ma jalousie prendre le dessus. J'aurais dû lui dire au téléphone ce jour-là que j'avais réussi à obtenir ces matériaux pour elle. Elle n'aurait pas accepté l'aide de Kaïs si je lui avais simplement dit, je le sais.À la pensée de ce bâtard, ma rage revient, presque aveuglante cette fois.« Kaïs. » Je dis en grognant.« Quoi ? » Demande le président Humbert.« Kaïs. C'est lui. C'est lui qui lui a fait du mal. »« On ne sait pas ça– »« Elle est restée avec lui pendant deux semaines et est rentrée chez elle en larmes ! Qui d'autre penses-tu qui pourrait être responsable ? »Il semble réfléchir pendant quelques secondes.« Tu as raison, mais– »« Ce bâtard », je dis, en me dirigeant vers la porte. Le président Humbert m
POINT DE VUE DE LUCIEJe ne sais pas combien de temps s'est écoulé depuis que je me suis allongée dans mon lit. Je n'ai aucune notion du temps ni des jours, et je m'en fiche complètement, je me fiche de tout. Je reste allongée sur le côté, tandis que le jour se fond dans la nuit et que la nuit se fond à nouveau dans le jour. Je reste là, à fixer le mur – parfois le plafond quand je me sens trop coincée pour rester dans la même position.Je fixe sans vraiment voir quoi que ce soit. Sans vraiment ressentir quoi que ce soit, à part une brève vague de tristesse qui me traverse de temps en temps. Ma tête est vide, un espace blanc qui semble devenir de plus en plus grand à chaque instant qui passe.Ça doit être ce que ressent la dépression.Ça doit être ce que ça fait de tout ressentir en même temps et de ne rien ressentir en même temps. C'est comme s'il y avait un vide dans mon cœur qui aspire mes émotions avant même que je puisse les ressentir. Il n'y a pas d'excitation, pas de douleur,
« Après ton retour à la maison ce jour-là, je me suis retrouvé à me demander combien d'autres fois dans le passé tu avais dû t'effondrer comme ça. Combien de fois tu avais dû avoir un besoin désespéré d'être réconfortée. Des moments où tu devais avoir envie que quelqu'un te prenne dans ses bras et te dise que tout irait bien. »« Je ne sais même pas si je mérite la douleur que j'ai ressentie en sachant que tu as dû pleurer seule plusieurs fois. Et... je n'étais pas là. Je n'ai jamais été là pour toi. Je... je me suis posé la question plusieurs fois :« Les choses auraient-elles été différentes si j'avais été là ? Est-ce que tu aurais grandi en aimant un homme qui prenait ton amour pour acquis ? »Mon père parle à une pièce qui n'est pas différente d'une pièce vide. Il déverse son cœur pour la première fois depuis tout ça et cela... cela éveille quelque chose en moi. Je ressens quelque chose, juste une petite étincelle que je ne peux même pas décrire.Je me retrouve aussi à me pose
POINT DE VUE DE KaïsLes choses sont revenues à la normale.Mais je ne sais plus vraiment ce que « normal » signifie. Maintenant que mon grand-père est parti, tout est revenu comme avant, après le départ de Lucie — morne et sans vie. En son absence, rien ne m’intéresse, même pas le travail qui a été mon refuge pendant plusieurs années. Paul me rappelle constamment la nécessité d’embaucher une nouvelle secrétaire, mais ça me semble étrange de voir une autre femme assise en face de mon bureau, là où Lucie était avant.Alors, le siège reste vide, un rappel constant du vide dans mon cœur et dans ma maison. Un rappel constant des belles choses que j'avais, mais que j’ai perdues. Cela fait une semaine que je n’ai pas vu Lucie et pourtant l’image d’elle ne quitte jamais ma tête.Elle est gravée à tout jamais, me torturant sans cesse.Cela prend toute mon attention et me rend inutile, même lors des réunions importantes. Pour ma santé mentale, j'ai mis un terme aux réunions pour l'instant.
Puis elle pose sa paume sur son ventre, le caressant doucement : « Vous nous aidez à créer une belle vie pour notre fils et j’en suis reconnaissante. S’il vous plaît, acceptez mes cadeaux, prenez-en autant que vous voulez. C’est pour moi. »Lorsqu’elle remarque que tout le monde ne la regarde plus, elle tourne la tête pour regarder derrière elle. Mes employés se recroquevillent en ma présence, chacun retournant à son travail comme si de rien n'était.« Hé, bébé », dit Bérénice dès qu’elle pose les yeux sur moi. Le sourire, ses mots et même sa présence ici m’irritent profondément.« Suis-moi », dis-je calmement, ne voulant pas exploser devant mes employés.« Je vous verrai tous une autre fois. Continuez à faire du bon travail », dit-elle en s’adressant à eux avant de me suivre jusqu’à mon bureau.Elle marque une pause en arrivant au bureau de Lucie, « Tu n’as toujours pas embauché quelqu’un ? »Je ne réponds pas, je m’approche de la porte de mon bureau et attends qu’elle entre. El
« Je t'ai déjà dit que je ne te laisserai pas me traiter comme tu l’entends, Kaïs. Je porte ton— »« Tu portes mon enfant ! Oui ! Je le sais ! Je le vois, Bérénice, tu n'as pas besoin de me le rappeler à chaque putain de fois. Et comme je l’ai déjà dit mille fois, je ne vous refuse pas, à toi et à notre enfant, les soins appropriés. Je prends mes responsabilités. »« Alors... alors pourquoi tu me traites comme... »« Parce que je ne t'aime plus ! » je rugis, mes mots sortant presque comme un cri, « Je veux l’enfant, mais ça ne veut pas dire que je dois te vouloir, toi aussi. »Je veux quelqu’un d’autre.Je veux Lucie. Elle me manque. Son sourire timide et sa douce voix me manquent. Son visage en colère et son visage tout excité me manquent. L’odeur d’elle partout dans ma maison me manque. Son toucher, sa chaleur me manquent. Sa voix douce me manque.Et je ne suis pas sûr de pouvoir supporter son absence dans ma vie plus longtemps.Je veux qu’elle revienne.La réalisation de ce
Point de vue de TimothéeJe ressens une montée d’exaltation et de satisfaction au moment où mon poing entre en contact avec son visage. Mon Dieu, cela faisait une semaine que je brûlais d’envie de faire ça, mais je me suis retenu à cause de Lucie.Parce qu’elle est une âme si douce qui ne tolère aucune forme de violence, même lorsqu’elle est dirigée contre un salaud comme lui.Je me suis bien contrôlé, mais dès qu’il a montré son visage, je n’ai plus pu me retenir. Kaïs gémit, vacillant en arrière tout en portant sa main à son visage. Tout mon bras me fait mal après ce coup, mais ça en valait la peine.Non seulement il l’a fait pleurer, mais il l’a brisée au point qu’elle s’est enfermée dans sa chambre pendant trois jours. C’était douloureux de la voir souffrir ainsi sans pouvoir rien faire. Je suis allé chez elle tous les jours juste pour prendre de ses nouvelles, et chaque fois que son père me disait qu’elle n’était toujours pas sortie de sa chambre, une partie de moi se brisait.Cep
Je ne suis pas en train de tomber vers une mort certaine comme je l’ai cru, mais ce n’est pas le cas de la boîte. Elle dégringole dans les escaliers. Je me dégage de l’emprise de la personne qui m’a empêchée de chuter et je me précipite à sa poursuite.C’est trop tard. Les documents flottent déjà dans les airs. Certains atterrissent près de la boîte, mais les autres tourbillonnent jusqu’au fond de cet escalier sans fin.« Merde… » Je ne peux m’empêcher de jurer en voyant le désastre qu’est devenu le travail que j’ai méticuleusement organisé.« Eh bien, de rien. »Jusqu’à ce qu’il parle, je n’ai prêté aucune attention à la personne qui m’a rattrapée. Il est toujours debout là où je l’ai laissé, un homme grand, avec un visage que je préférerais ne pas trouver objectivement séduisant. Le badge autour de son cou suggère qu’il travaille ici, mais sa carte d’identité est rangée dans sa poche.« Je n’ai pas dit merci. » Grâce à lui, mon travail a doublé.« Tu devrais. » Il s’approche lentemen
Point de vue de SophieJusqu’à il y a quelques jours, le son de mon réveil me remplit uniquement d’excitation. Maintenant, il ne fait que me donner envie d’enfoncer ma tête dans l’oreiller avec une irritation pure, tout en remettant en question chacune de mes décisions de vie.« Éteins ça et file sous la douche, Sophie ! Il est temps d’aller bosser », crie Céleste derrière la porte de ma chambre tout en la martelant. Elle s’en va ensuite, mais pas avant de ricaner méchamment, bien décidée à me le faire entendre.Cette petite… ughhh.Elle ne cache même pas à quel point elle se délecte de ma misère. Celle-ci a commencé ce jour-là, dans le bureau de Timothée. Lorsqu’il a dit qu’il serait mon mentor selon ses propres conditions, je n’ai même pas pris le temps de réfléchir à ce que cela signifiait exactement. Ce n’est que le lendemain que j’ai réalisé dans quoi je m’étais embarquée.Il m’a fait appeler, et je m’y suis rendue avec une excitation immense, qui a été écrasée en quelques seconde
Point de vue de Timothée« Vous m’avez demandé, monsieur. »Sophie Summers.Je ne m’habitue jamais à sa présence, même quand c’est moi qui la convoque.« Asseyez-vous », je lui ordonne, sans vraiment la regarder. Sachant à quel point elle peut être provocante, je m’attends à une remarque, mais elle obéit silencieusement et s’installe sur l’un des sièges en face de mon bureau.J’attends ce moment tout le week-end. Le moment de corriger toutes les erreurs stupides que j’ai commises en une semaine et quelques jours à peine depuis que je la connais. Qu’elle ait réussi à briser des murs que j’ai mis un an à ériger en quelques jours seulement ne me surprend pas vraiment.J’ai toujours été comme ça – trop facile, trop compatissant et… trop simple d’esprit. Du genre à ne pas pouvoir détourner le regard quand quelqu’un a besoin d’aide, du genre à ressentir trop vite et trop fort, du genre à plonger tête baissée dans des problèmes qui ne sont même pas les miens.Et où cela m’a-t-il mené ? Toujou
Je pousse la porte en soupirant, le poids familier des événements de la journée pesant encore sur moi. Ma tête me lance toujours, douloureux rappel de l’imprudence de la nuit dernière.Quand j’entre dans l’appartement, le doux parfum de lavande et le ronronnement rassurant du réfrigérateur m’accueillent, mais cela ne suffit pas à apaiser le malaise qui grandit en moi.Céleste est assise sur le canapé, son ordinateur portable ouvert devant elle. Elle lève les yeux dès qu’elle entend la porte, et son expression passe de neutre à inquiète dès qu’elle me voit.« Sophie ! », s’exclame-t-elle en se levant d’un bond. « Où étais-tu passée ? Je me suis fait un sang d’encre ! »Je me fige un instant, ne sachant quoi dire. Mon esprit est encore embrumé, les événements de la nuit repassant en boucle comme un souvenir lointain. Je ne m’attendais pas à voir Céleste si tôt.« Je… Je suis désolée », murmuré-je, une vague de culpabilité m’envahissant. « J’avais juste besoin de… m’aérer l’esprit, je sup
« Qui c’est, Sophie ? » La voix de Sébastien glisse dans le couloir, son sourire s’élargit lorsqu’il pose les yeux sur Timothée. « Ton nouveau copain ? »Je tente encore de me reprendre après être tombée sur Timothée si soudainement. J’ai des questions sur sa présence ici, mais je les refoule, consciente que c’est une énorme erreur qu’il se retrouve mêlé à cette situation de ma vie.Mes joues s’enflamment alors que je me tourne vers mon demi-frère, que je déteste autant que tous les autres membres de cette famille maudite. « Sébastien, arrête. »Il m’ignore, fait un pas en avant, son regard perçant fixé sur Timothée. « Il ne ressemble pas à ton genre. Je ne savais pas que tu aimais les hommes plus âgés, ma chère sœur. Un peu trop… coincé, tu ne trouves pas ? »Timothée ne cille pas, son expression reste impassible, bien que sa main serre légèrement mon bras, comme pour m’ancrer. Ou comme s’il me protégeait d’un combat dont il ignore tout. Un combat qui m’appartient depuis toujours.« E
Point de vue de SophieLa nausée ne passe pas.Je suis assise au bord du lit, dans la chambre de mon enfance, fixant le papier peint qui s’écaille et les bibelots poussiéreux et oubliés qui faisaient autrefois de cet endroit mon sanctuaire. Cela fait des heures que je me suis réveillée avec la gueule de bois martelant mes tempes et le goût amer du regret collé à ma langue.Je me dis que je vais bientôt partir. Que je vais faire mon sac, retrouver le chemin de la ville et prétendre que ce retour bref et misérable dans mon passé n’a jamais eu lieu.Mais au lieu de ça, je reste.Quelque chose ici me cloue sur place, comme si les murs de cette maison me retenaient prisonnière, comme ils l’ont toujours fait.J’avale difficilement ma salive, forçant mon regard à se tourner vers la porte. Mon père est encore ici. Cette pensée me ronge. Même si je déteste cette maison et tout ce qu’elle représente, une part de moi a encore besoin de le voir.Cet homme qui n’a jamais vraiment été le mien.J’ouv
Point de vue de TimothéeL’absence est la première chose que je remarque.Ce n’est pas le café manquant sur mon bureau, même si je m’habitue bien trop à le trouver là, fumant et préparé exactement comme je l’aime. Ce n’est pas non plus l’absence d’un post-it, habituellement collé au bord de mon écran avec une phrase ridicule ou un gribouillage censé me faire lever les yeux au ciel.C’est le silence.Mon bureau paraît plus vide, comme si l’énergie qui y circule d’ordinaire s’était évaporée. Je secoue cette sensation, agacé de la remarquer.Sophie est probablement juste en retard.Mais à mesure que les minutes passent, mon irritation grandit. Je feuillette les rapports du matin quand mon esprit dérive, sans prévenir, vers la nuit dernière.Je n’aurais pas dû aller la chercher. Je savais que c’était une erreur dès l’instant où je l’ai trouvée, affalée devant les toilettes, ivre morte.Elle marmonnait de manière incohérente, ses paroles étaient un mélange confus de supplications absurdes e
Point de vue de SophieLa douleur sourde dans ma tête me réveille avant tout le reste. Elle pulse derrière mes yeux comme un tambour implacable, m’empêchant de les ouvrir complètement.Je gémis, me tournant sur le côté et enfouissant mon visage dans l’oreiller, espérant fuir la nausée qui me tord l’estomac.L’oreiller ne sent pas pareil.Je fronce les sourcils, relevant la tête malgré les protestations de mon corps endolori. Mon regard balaye la pièce à travers une vision brouillée. Les murs sont peints en jaune pâle, délavés, écaillés dans les coins. De lourds rideaux de velours pendent de travers devant la fenêtre, laissant filtrer des filets de lumière qui dansent sur le plancher poussiéreux.Pendant un instant, je ne reconnais pas l’endroit.Puis la vérité me frappe comme une brique.C’est ma chambre. Ou plutôt, la chambre dans laquelle j’ai grandi, celle qui fut à la fois mon refuge et ma prison.Cette prise de conscience me glace le dos. Je ne suis pas venue ici depuis des années
Point de vue de TimothéeJe ne sais pas ce qui m’agace le plus : l’audace de Sophie Summers ou le fait que j’aie effectivement fait demi-tour pour revenir. Assis sur la banquette arrière de ma voiture, je fixe par la vitre teintée le pub situé juste en face de mon entreprise. Je n’y ai jamais mis les pieds, mais j’imagine que cela change aujourd’hui.Le chauffeur s’éclaircit la gorge, attendant mes instructions.« Monsieur ? »« Arrêtez-vous ici », dis-je en ouvrant la portière avant même que la voiture ne soit complètement arrêtée. Rien que l’idée d’entrer me fait grincer des dents.Ce n’est pas ma conception d’une soirée productive, ni même tolérable.Pourtant, me voilà devant le pub, les mains enfoncées dans les poches de mon pantalon, en train de marcher vers l’entrée.« Juste voir ce qu’elle manigance », me dis-je.Dès que je franchis le seuil, le bruit me frappe de plein fouet. Rires, bavardages et éclats d’applaudissements remplissent la pièce. L’endroit est bruyant, exactement