Mila
La rue est déserte, avalée par la nuit. Le vent glisse contre ma peau, mord mes joues, mais je ne ressens rien d’autre que cette brûlure intérieure qui refuse de s’éteindre. Mes pas résonnent sur le trottoir comme un écho de ma propre obstination. Chaque respiration me rapproche de lui, comme si l’air que j’aspire n’existait que pour me pousser à le retrouver.
Je m’arrête un instant, levant les yeux vers les réverbères qui grésillent au-dessus de moi. La lumière tremble comme mes mains, mais je me refuse à faiblir. Abandonner ? Ce mot n’a jamais eu de place dans ma tête. Pas maintenant. Pas après ce qu’il a osé me dire.
– Tu es folle…
Ces mots claquent encore dans mon esprit, mais je n’entends pas le mépris. Je n’entends que sa peur. Une peur qui prouve qu’il ressent quelque chose, qu’il n’est pas indifférent. Et s’il croit pouvoir m’effacer d’un bloc, il se trompe.
Je continue de marcher, m’arrêtant devant un vieux café désert. L’enseigne clignote faiblement, une ombre sur le mur projette ma silhouette comme celle d’un fantôme. J’hésite. Devrais-je entrer, m’asseoir, faire semblant de réfléchir ? Non. Rester immobile, ce serait comme mourir un peu. Chaque minute loin de lui est une lame plantée dans ma poitrine. Alors je reprends ma route, le souffle court, les pensées enragées.
Je dois le retrouver. Il n’y a rien d’autre qui compte.
Eliah Reed
Je tourne en rond dans l’appartement comme un animal enfermé dans une cage trop étroite. Le silence pèse, écrasant, et mes pensées cognent contre mes tempes. Je ne veux plus voir son visage. Mais je ne vois que ça. Ses yeux, son sourire… cette certitude insensée qu’elle porte comme une armure.
Je me laisse tomber lourdement sur le canapé, les coudes sur les genoux, la tête dans les mains.
– Qu’est-ce que tu fais, Eliah ? murmuré-je pour moi-même.
Elle est partout. Dans chaque geste, chaque pensée, dans ce vide qui s’étend dès qu’elle n’est plus là. Je l’ai repoussée, j’ai cru que c’était nécessaire. Mais est-ce que c’était vraiment ce que je voulais ?
Une part de moi sait que je mens. Je ne la déteste pas. Je n’y arrive pas. Je la crains. Je crains cette force qui me désarme, cette façon qu’elle a de lire en moi comme personne ne l’a jamais fait.
Je saisis mon téléphone. Son numéro est encore là, à portée de main. Mes doigts tremblent au-dessus de l’écran. J’ai envie de l’appeler. De hurler. De comprendre. Mais je fais le seul geste qui me semble logique sur le moment : je la bloque.
– Reste loin de moi… souffle-je, comme une prière que je sais déjà inutile.
Je sais qu’elle reviendra.
Mila
Le taxi file dans la nuit, les lumières de la ville se reflétant sur les vitres comme des étoiles brisées. Je ne ressens plus rien, juste cette impulsion glacée au fond de mon ventre.
– Plus vite, ordonné-je au chauffeur, les doigts crispés sur mon sac.
Chaque seconde qui passe me donne l’impression qu’il m’échappe un peu plus. Je refuse ça. Je refuse qu’il me ferme la porte au nez. Il doit m’écouter. Comprendre.
Je ne cherche pas à calmer ma respiration. Je veux qu’il voit ce feu dans mes yeux. Je veux qu’il comprenne que ce n’est pas un caprice. C’est nous. C’est lui et moi, et personne d’autre.
Eliah Reed
Je reste dans le noir, immobile, comme si la moindre lumière pouvait attirer son ombre jusqu’ici. Je sais qu’elle est là, quelque part. Je le sens. Elle a ce don pour franchir les murs, pour s’insinuer dans ma tête, même à distance.
– Elle ne reviendra pas. Pas ce soir.
Je dis ces mots à voix haute, mais ils sonnent creux.
Un frisson me parcourt, glacial. Est-ce que je veux vraiment qu’elle reste loin ? Ou est-ce que je suis déjà en train d’espérer qu’elle me prouve que je me trompe ?
Je serre les poings. Je me déteste pour cette faiblesse. Pour ce besoin étrange d’elle, de son chaos, de ses yeux qui me regardent comme si j’étais la seule vérité qui vaille la peine d’être vécue.
Mila
Je suis devant l’hôtel. Le bâtiment se dresse devant moi, haut, froid, mais je n’ai pas peur. Derrière ces murs, il y a ce que je veux. Ce qui m’appartient.
Je reste plantée là, les bras croisés, fixant les fenêtres sombres. Je sais qu’il est là, quelque part, peut-être en train de m’insulter en silence, de m’effacer. Qu’il essaye. Qu’il ose.
– Tu peux fermer les portes, Eliah. Tu peux me bloquer. Mais tu ne m’effaceras jamais.
Ma voix n’est qu’un souffle dans le vent, mais je sais que ces mots brûleraient ses oreilles s’il les entendait.
Je fais un pas en avant, puis un autre. Mes mains tremblent, mais ce n’est pas de la peur. C’est de la rage. De la détermination.
– Tu es à moi. Que tu le veuilles ou non.
ELIAHLe car se vide dans un silence alourdi par la fatigue, les corps qui s’étirent, les soupirs de lassitude, chacun happé par l’idée d’un lit, d’une douche, d’un répit. La ville nous avale dans ses néons froids, ses trottoirs mouillés, ses façades impersonnelles. L’hôtel se dresse comme un bloc de verre et d’acier, sans âme, juste une halte nécessaire dans la course. Mais pour moi, il devient déjà une promesse, un sanctuaire provisoire, un piège où je veux me perdre en elle.Elle descend la première, ses pas rapides, professionnels, ses épaules droites, son carnet toujours en main, comme si elle tenait le monde entier en équilibre. Mais je vois la crispation de ses doigts, la tension de sa nuque, le masque qui s’accroche à son visage avec trop de force. Elle sait que je la regarde. Elle sait que je la suivrai.Dans le hall, les clés sont distribuées, les voix s’éteignent une à une, chacun disparaît dans l’ascenseur ou dans l’escalier, les portes se ferment, et le silence retombe. J
ELIAHL’air du couloir est plus froid quand nous ressortons, il se plaque sur ma peau comme une morsure, comme si la pièce derrière nous avait absorbé toute la chaleur de nos corps, toute la fureur de nos souffles, et qu’il ne restait dehors qu’un monde exsangue. Elle marche à côté de moi, carnet serré contre sa poitrine, ses doigts encore tremblants mais déjà redevenus précis, ordonnés, prêts à jouer leur rôle, et pourtant je vois, je sens, que sous ce masque de maîtrise il y a encore la même fièvre qui brûle en moi. Mon corps est imprégné d’elle, chaque fibre vibre d’un manque qui n’a pas été comblé mais seulement attisé, et chaque pas que je fais dans ce couloir résonne comme une torture.Nous passons devant deux techniciens qui tirent un câble énorme, leurs épaules tendues, leurs voix basses, et l’un d’eux nous jette un regard distrait avant de replonger dans sa tâche, mais je crois que mon cœur s’arrête une seconde. J’ai peur qu’il voie, qu’il sente, qu’il devine l’odeur de nous
EliahLes bureaux se vident peu à peu, chacun happé par la course contre la montre du départ, et moi je reste planté dans le couloir, la respiration lourde, mes yeux suivant chacun de ses pas, comme si je pouvais la retenir ainsi. Elle s’éloigne avec son carnet contre la poitrine, son allure rapide et concentrée, et je sens déjà ma gorge se serrer à l’idée que les heures à venir ne nous offriront aucun répit.Je détourne à peine le regard quand elle bifurque vers l’aile réservée aux loges et aux salles de repos, comme si elle n’avait pas entendu mon murmure, mais je sais. Je sais qu’elle a compris, qu’elle m’attend.Je quitte le flot des conversations logistiques, laisse derrière moi les éclats de voix des techniciens, les ordres du staff sécurité, les bruits métalliques des caisses que l’on charge, et je m’engouffre dans le couloir désert. Le silence m’engloutit soudain, seulement troublé par le vrombissement lointain d’un monte-charge.La porte est entrouverte. Elle est là.Elle m’at
EliahLa réunion se dissout peu à peu, les financiers replient leurs dossiers, les tableurs se ferment un à un, les voix s’atténuent, mais je sens encore la brûlure de son regard plantée dans ma chair, cette promesse muette que rien ne pourra étouffer. Elle est à mes côtés, posture impeccable, carnet fermé sur ses genoux, sourire poli, et pourtant je sais que ses doigts tremblent encore du souvenir de mes mains sur son corps, que son souffle porte encore l’empreinte de la nuit.Je prends congé de l’équipe d’un ton neutre, professionnel, distribuant les dernières instructions, mais dans ma tête je ne pense qu’à une chose : nous n’avons que quelques heures avant le départ vers la prochaine ville, une route longue, une nouvelle scène à préparer, un nouveau vertige à vivre.Dans les couloirs, le ballet s’intensifie, techniciens, logisticiens, attachés, tous s’agitent déjà autour des caisses de matériel, des camions prêts à charger, des écrans qu’on démonte, des flight cases que l’on claqu
EliahLe soleil pénètre à peine par les stores à moitié tirés, déposant des bandes de lumière tiède sur nos corps encore enlacés, et pourtant la chaleur de la nuit précédente ne nous a pas quitté. Je la sens contre moi, ses cheveux s’éparpillant sur mon torse, ses mains effleurant mes flancs dans un sommeil léger, ses respirations irrégulières racontant encore le vertige dans lequel nous avons plongé.Je la regarde un instant, la douceur et la tendresse prenant le pas sur la fièvre charnelle qui nous a consumés, et pourtant mes mains retrouvent ses courbes instinctivement, mes doigts parcourant ses épaules, son dos, comme si je voulais me rappeler, encore une fois, l’intensité que nous avons partagée. Elle frissonne sous mes caresses, ouvre un œil, me sourit avec ce mélange de fatigue et de désir encore brûlant, et je fonds devant cette image, incapable de résister à l’envie de l’embrasser doucement, lentement, presque en chuchotant.— Tu dois rentrer… murmure-t-elle, la voix encore é
EliahNous quittons enfin les coulisses, encore engourdis par la frénésie qui nous a saisis, nos mains toujours liées comme si elles refusaient de se séparer, comme si elles savaient que le moindre écart nous ferait tomber dans un vide insupportable. Le trajet jusqu’à chez moi est flou, ponctué de rires nerveux, de baisers volés dans l’ombre des rues, de frôlements impatients qui réveillent le feu déjà prêt à exploser, et quand la porte se referme derrière nous, je sens une vague de soulagement et de désir nous submerger d’un seul coup, comme si enfin le monde extérieur n’avait plus aucun droit sur nous.Elle me pousse doucement contre le mur de l’entrée, ses lèvres retrouvant les miennes avec une urgence qui me coupe le souffle, ses mains glissant déjà sous ma chemise, et je me laisse faire, grisé par son audace, par cette faim qui égale la mienne, par la chaleur de sa peau contre mes paumes quand je l’attire plus près de moi. Chaque pas que nous faisons vers la chambre est une lutte