Léo
La porte de ma cellule claque derrière moi, un bruit métallique qui résonne longtemps dans l’étroite pièce. Mur gris, lit en ferraille, matelas trop mince. Une table fixée au mur, une petite fenêtre avec des barreaux. L’air sent la lessive bon marché et le renfermé.
Je reste debout, balayant les lieux du regard. Une seule couche. J’ai cette cellule pour moi, au moins pour le moment. Un luxe.
Je m’assois sur le matelas et passe une main dans mes cheveux. L’adrénaline du transfert s’estompe, laissant place à une tension sourde. Une prison pour femmes. Je savais que mon dossier était sensible, mais ça…
— Faut croire que j’ai un don pour les situations de merde.
Un ricanement attire mon attention. Je tourne la tête vers la porte. À travers la grille, deux paires d’yeux m’observent. Deux détenues, appuyées contre le mur, bras croisés.
— Le petit prince parle tout seul ? lâche l’une d’elles, une brune aux traits durs, cigarette coincée entre ses doigts.
— Il a peut-être peur du noir, ajoute l’autre, plus grande, cheveux rasés sur un côté.
J’ignore la provocation. Je sais comment ce jeu fonctionne. Elles testent les limites. Attendent une réaction. Je ne leur donnerai pas ce plaisir.
La brune crache la fumée, puis hausse un sourcil.
— T’es un drôle de spécimen, toi. Les mecs, d’habitude, on les voit que dans le parloir. Alors dis-moi, t’es là pour nous divertir ?
Je me lève lentement et m’approche de la porte. Elle ne recule pas. Au contraire, son sourire s’élargit.
— Si tu cherches un spectacle, t’as frappé à la mauvaise porte.
Elle éclate de rire.
— T’es marrant. Faudra voir si tu rigoleras encore longtemps ici.
Elle jette sa cigarette par terre et l’écrase du bout du pied.
— Bienvenue à Saint-Laurent, Morgan. Fais gaffe où tu marches.
Je la regarde s’éloigner avec sa copine. Les autres cellules s’animent. Je sens les regards posés sur moi. Certains pleins de curiosité, d’autres de défi.
Le message est clair : je suis une anomalie. Une distraction. Une proie potentielle.
Je serre les poings. Si elles pensent que je vais me laisser bouffer, elles vont vite déchanter.
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Le Réfectoire
Le lendemain, je découvre une autre facette de cette prison : ses lois.
Le bruit du réfectoire est assourdissant. Des dizaines de femmes, regroupées par affinités, par clans. Je ressens immédiatement la tension. Ici, tout est une question de territoire.
Je prends mon plateau et avance lentement. Je n’ai pas encore de place attitrée. Un problème.
Des regards me suivent. Des murmures montent.
— T’as vu ses bras ?
— Tu crois qu’il est dangereux ?
— Ou juste stupide d’être là ?
Je passe près d’une table. Une femme aux cheveux blonds relève la tête et plante son regard dans le mien. Son silence en dit long. Je continue mon chemin.
Une autre me fait un sourire provocant.
— Tu peux t’asseoir sur mes genoux si tu veux.
Des rires éclatent autour d’elle. Je l’ignore et poursuis ma route.
Et puis, mon instinct m’alerte.
À ma droite, un groupe s’est figé. Cinq femmes. Le gang dominant du bloc. Mira est au centre. Cheveux noirs, regard acéré, posture assurée. Son territoire.
Elle me fixe avec une intensité glaciale. Un test.
J’hésite. Une seconde de trop.
— T’as un problème ? demande-t-elle d’une voix calme.
Le silence s’abat sur le réfectoire. Toutes attendent.
Je pose mon plateau sur une table voisine, sans quitter Mira des yeux.
— Non. Mais j’aime pas manger debout.
Un sourire effleure ses lèvres. Amusée. Intriguée.
— Alors t’as peut-être des couilles, finalement.
Elle tape du poing sur la table. Ses filles éclatent de rire. Le moment passe. Tension relâchée.
Je me mets à manger. Mais je sais une chose : la meute a remarqué ma présence. Et tôt ou tard, elle voudra voir jusqu’où je peux aller.
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La Première Menace
La nuit est tombée. Dans ma cellule, j’attends. Je sais que quelque chose va se passer. C’est toujours comme ça en prison. On ne t’intègre pas sans te tester.
Et ça ne manque pas.
Un bruit dans le couloir. Une ombre devant ma porte. Puis la grille coulisse doucement.
Quelqu’un a soudoyé une gardienne.
Je me lève, muscles tendus. Deux silhouettes entrent. La brune de la veille. Cigarette et son amie aux cheveux rasés.
— On a un petit message à te faire passer.
Elles s’approchent, sûres d’elles.
Je souris.
— Essayez.
La première attaque. Je bloque son coup, la repousse contre le mur. Son amie fonce, tente de m’attraper à la gorge. J’esquive, la renverse au sol.
Elles se relèvent rapidement. Mais elles hésitent. Je n’ai pas frappé à fond. Juste assez pour leur montrer.
Je m’approche d’elles. Lentement.
— C’est tout ?
Leur regard change. Elles comprennent. Elles ne sont pas tombées sur un agneau.
La brune passe une main sur sa joue, où mon coude l’a touchée. Elle me jauge une dernière fois, puis esquisse un sourire en coin.
— Peut-être qu’on s’est trompées sur toi, Morgan.
Elles reculent, quittent ma cellule.
La grille se referme.
Je reste debout un instant. L’adrénaline pulse encore dans mes veines.
Premier test réussi.
Mais ce n’est que le début.
ÉvaIl y a des moments où le monde semble ralentir, où chaque seconde devient un reflet d’un autre temps, d’une autre vie. Pourtant, ici et maintenant, dans cette pièce baignée par la lumière dorée de l’après-midi, tout se passe à une vitesse fulgurante. Les bruits de la rue s’estompent derrière les fenêtres, la vie continue à l’extérieur, mais ici, dans notre monde à nous, chaque mouvement, chaque pensée est calculée, précise. L’adrénaline de nos vies passées semble se dissiper, mais l’intensité, elle, demeure. Cette intensité silencieuse, palpable, qui flotte entre nous, une force qui nous pousse à avancer, encore et encore. Nous avons survécu à la tempête, à la rage des éléments, à la douleur. Mais ce n’est pas la fin. Non, c’est le début d’autre chose. D’une ère nouvelle.À mes côtés, Léo, toujours aussi calme et concentré, semble avoir trouvé sa place dans ce monde que j’ai reconstruit. Un monde que j’ai voulu solide, implacable, mais aussi, d’une certaine manière, plus doux. Il
ÉvaLes heures se sont glissées dans le silence, dissimulées dans l’ombre de ce que nous avons traversé. Le passé semble si lointain maintenant, presque irréel, et je m’étonne de voir à quel point il peut se dissiper lorsqu’on laisse place à l’instant présent. La ville autour de nous est silencieuse, comme si elle retenait son souffle, comme si elle savait que ce que nous vivons ici est plus grand que tout. Le vent léger de l’aube entre par la fenêtre, caressant ma peau. L’air est frais et pur, mais dans mon cœur, il n’y a plus que la chaleur de ce qui nous lie. Le monde tout entier semble avoir disparu, et il ne reste que lui et moi, dans cet espace intime, où le temps n’a plus d’emprise.Léo est là, adossé contre le mur, ses yeux rivés sur moi. La lumière douce de l’aube se joue de ses traits, éclairant chaque détail de son visage, chaque nuance de son expression. Dans ses yeux, il y a une calme certitude, comme s’il savait que tout ce qui comptait à cet instant n’était pas tout ce
ÉvaLes lumières de la ville brillent au loin, comme des étoiles égarées.Le vent de la nuit fait frissonner les rideaux.Il est tard, trop tard.Mais il n’y a plus de retour possible.Je regarde Léo, assis près de la fenêtre, les yeux perdus dans l’obscurité.Il est là, près de moi, mais tout semble si lointain.Nous avons traversé un océan de sang et de mensonges, et maintenant, l’eau est calme, trop calme.Un silence lourd comme un secret non dit.Tout est terminé, et pourtant, il reste quelque chose, un écho, un murmure d’un autre temps, une promesse que nous avons échangée.Je m’approche de lui, pose une main sur son épaule.Il sursaute à peine, mais je vois la guerre dans ses yeux.La guerre qui ne cesse jamais vraiment.Même quand les coups sont partis, même quand tout est fini.Éva – doucement« Léo, est-ce que tu penses qu’on peut réellement repartir de zéro ?Ou est-ce que tout ce qu’on a fait n’a été qu’un chemin vers un nouveau commencement ? »Il tourne son regard vers mo
LéoLa nuit est tombée en silence, comme une promesse de calme avant l’explosion.Dans le vieux bureau, les papiers sont éparpillés partout.Les dossiers sont maintenant prêts, les preuves rassemblées.L’odeur de l’encre, du vieux papier, et de l’adrénaline flotte dans l’air, imprégnant chaque recoin du lieu comme une alerte avant le départ.Éva n’a pas dit un mot depuis que nous avons commencé à rassembler les morceaux de l’empire.Mais je vois la tension dans ses gestes.Ses doigts effleurent parfois un document, puis se figent.Elle ne me le dit pas, mais je sais.Elle a la même peur que moi : que tout cela n’ait été qu’un rêve.Je m’arrête un instant, le regard plongé dans l’écran de l’ordinateur.Les premières informations sensibles sont en train d’être envoyées à l’adresse codée.Bientôt, le monde saura.Et à cet instant, tout ce que nous avons, tout ce que nous avons bâti – ou détruit – sera exposé à la lumière.Éva – voix calme mais sûre« Qu’est-ce qui nous attend, Léo ?Tu s
ÉvaIl y a quelque chose d’intime, de précieux, dans ce silence entre nous.Pas celui de l’évitement.Non.Un silence qui apaise, qui dit que l’on peut exister l’un à côté de l’autre sans crainte.Quand il se retourne enfin, il s’approche, prend une miette sur ma lèvre avec le pouce.Geste simple. Presque dérisoire.Mais je sens le poids des choses non dites dans son regard.Léo – bas, presque honteux« J’ai peur, tu sais. »Je ne bouge pas.Je ne réponds pas tout de suite.Je laisse son aveu suspendu dans l’air, comme une note fragile qui ne demande qu’à vibrer plus fort.Éva – doucement« Moi aussi. »Nos regards se croisent.Il y a de la peur, oui. Mais aussi une détermination nouvelle.On a déjà trop perdu.On a déjà trop brûlé.Alors maintenant, il ne reste que ce choix : avancer, ensemble.---LéoJe m’assieds en face d’elle, mes coudes sur la table, les mains jointes.Elle me regarde toujours.Pas avec pitié.Pas avec crainte.Mais avec cette lucidité brûlante qui m’a toujours
ÉvaLe soleil n’a pas encore franchi l’horizon.Pourtant, une clarté douce et chaude baigne déjà la chambre.Non celle du jour, mais la sienne.Sa chaleur, son souffle régulier dans mon cou, sa main qui repose encore sur ma hanche.Il dort.Et pour la première fois depuis si longtemps, son visage s’est détendu.Ses traits d’ordinaire tendus par la douleur ou l’inquiétude sont apaisés, presque juvéniles.Je me retourne lentement, veillant à ne pas rompre cette quiétude fragile.Je le contemple.Léo.Mon tumulte. Mon refuge.Ses cils frémissent, effleurent sa joue.Un soupir glisse de ses lèvres. Peut-être rêve-t-il.Peut-être de nous. Peut-être de rien.Je tends la main, effleure sa joue du bout des doigts.Il ouvre les yeux. Ils sont encore lourds de sommeil, mais leur éclat me frappe comme une évidence.Léo – voix rauque, veloutée par la nuit« Tu es encore là. »Je hoche la tête.Je ne réponds pas.Ce silence contient plus d’engagement que n’importe quelle promesse formulée à voix h