LiraNous reprenons le chemin de la meute au pas de course.Pas parce que nous sommes poursuivis.Mais parce que nous portons quelque chose maintenant.Et que ça presse.Je n’arrive pas à parler. Les mots me brûlent la gorge. Si je les libère, je crains qu’ils ne prennent forme, qu’ils n’enflent, qu’ils deviennent des choses à part entière. Des entités avec des jambes longues et des bouches trop grandes.Volarion ne me regarde plus. Il avance, tendu, droit comme une lame. Il guette, il écoute. Pas l’extérieur. Lui-même. Comme si quelque chose à l’intérieur voulait sortir. Ou s’installer.Chaque pas nous rapproche de la meute. Mais cette idée ne me rassure pas.Je devrais me sentir soulagée à l’idée de retrouver les nôtres.Mais je sens déjà que nous ne sommes plus des leurs.Et que eux non plus ne sont plus tout à fait ce qu’ils étaient.Le rideau des feuillages s’ouvre enfin sur la clairière.Le camp est là.Silencieux.Trop silencieux.Pas de rires. Pas de hurlements d’enfants. Même
LiraL’air libre me déchire les poumons.Je titube en sortant du ravin, comme si le monde normal ou ce qui prétend encore l’être refusait de me reprendre. Chaque pas que je fais loin de ce lieu me coûte, me blesse. Comme si la chose qui y dormait avait laissé ses griffes en moi.Volarion ne parle pas. Il marche vite, trop vite, le visage fermé. Mais je vois ses poings, crispés au point que ses jointures blanchissent.Nous ne sommes pas en fuite. Nous sommes rejetés. Repoussés hors de ce territoire comme des intrus. Ou peut-être… comme des invités pas encore prêts à entrer.Je sens encore le rire. Il s’est imprimé en moi, glacial, infect. Il m’accompagne, plus fidèle que mon ombre.Nous traversons les bois sans bruit. Les oiseaux se sont tus. Même les branches ne craquent plus.Quand enfin nous atteignons le haut plateau qui borde le campement, quelque chose en moi espère. Que tout soit intact. Que Kaelis nous attende avec son regard dur, ses reproches prêts à tomber. Que le monde ait
LiraLe hurlement continue à vibrer en moi, comme s’il avait trouvé un écho dans ma propre cage thoracique. Il n’était pas destiné à effrayer. Il appelait. Il marquait.Nous descendons encore.Le ravin devient couloir, couloir devient gouffre. Le monde change, imperceptiblement. L’air est plus lourd, chargé d’odeurs épaisses, fangeuses : du sang ancien, du feu éteint, des racines pourries. Et quelque chose d’autre. Quelque chose qui ne vient pas de la terre.Je ne parle plus. Volarion non plus.Nous sommes au-delà des mots. Ici, ils s’effondreraient sous leur propre poids.Les traces laissées par Thyen se raréfient mais persistent. Subtiles. Pensées. Une plume coincée dans un tronc brisé. Une pierre blanche posée au bord d’un cours d’eau noir. Tout semble disposé pour que je voie.Pas pour Volarion. Pour moi.Chaque détail me coupe un peu plus le souffle. Parce que Thyen me connaît. Il sait ce que je remarquerais. Il parle dans le silence, et je suis la seule à entendre.Mais cette vo
LiraJe n’ai pas crié.Je n’ai pas pleuré.Je suis restée figée, le regard rivé à cette flèche plantée dans la terre, le souffle suspendu dans ma gorge. Parce que je le sais. Ce n’était pas un avertissement. C’était un test. Et la prochaine ira plus loin.Volarion se redresse d’un mouvement fluide, l’arc déjà bandé.— Ne bouge pas.Je me recroqueville derrière une souche tandis que ses yeux scrutent la forêt, fauves et impitoyables. Chaque muscle de son corps est tendu comme une corde. Le moindre frisson dans les branches déclenche chez lui une tension nouvelle, calculée, prête à frapper. Un souffle passe. Puis un autre. La forêt entière semble retenir son cri.Un autre craquement.Loin. Puis plus près.Et puis plus rien.Le silence retombe, oppressant. Comme une chape que rien ne semble pouvoir percer.— Ils sont partis, murmure-t-il après une éternité.Mais il ne baisse pas son arc.Je m’approche, tremblante.— Tu crois que c’était pour nous faire peur ?Il hoche lentement la tête.
LiraL’aube n’est pas encore levée.Le monde dort, mais mon sang, lui, est déjà en feu.J’ai passé la nuit sans fermer l’œil, adossée au mur froid, à écouter le souffle lointain du camp, les bruits étouffés qui se meurent dans la nuit. Les heures se sont allongées comme des serpents, lentes et sifflantes, m’enserrant de leur patience venimeuse.Dans ma tête, Thyen est partout. Son rire. Ses pas légers. Le bruit sec de ses pierres contre le feu. Parfois, je crois entendre sa voix, mais ce n’est qu’un souffle de vent à travers les fissures. Chaque murmure de la nuit me rappelle qu’il est quelque part… ou qu’il n’est déjà plus.Quand deux coups sourds frappent contre la porte de la tour, je me redresse d’un bond. Mon cœur cogne si fort que j’ai l’impression que tout le camp pourrait l’entendre.Je ne réfléchis pas.Je prends ma cape.Je descends.L’air du dehors est glacial, tranchant. La brume s’accroche au sol comme une bête sournoise qui refuse de bouger. Le camp est silencieux, trop
LiraIls ont fermé la porte derrière moi.Une simple planche de bois. Pas de serrure apparente. Pas de barre de fer pour me retenir. Et pourtant, je sens la lourdeur de ce geste comme une gifle, comme une sentence silencieuse. C’est pire qu’une prison : c’est un enfermement maquillé en protection, un verdict qu’on ne prononce pas, mais qu’on laisse pourrir dans l’air jusqu’à ce qu’il vous étouffe.Je reste plantée là, immobile, à écouter leurs pas s’éloigner dans l’escalier. Le bruit des bottes sur la pierre rugueuse se répercute comme un écho dans ma poitrine. Plus les sons s’amenuisent, plus le silence s’épaissit, devenant une matière oppressante qui s’accroche à mes épaules.Je ne suis pas en prison, disent-ils.Mais les murs sentent la cage. Et leur odeur est vieille, humide, rance.La tour est glaciale, même au cœur de l’été. Les pierres suintent l’humidité et le temps, comme si elles avaient absorbé la mémoire de toutes les peurs, de tous les cris, de tous les secrets qui ont ja