LiraL’aube n’est pas encore levée.Le monde dort, mais mon sang, lui, est déjà en feu.J’ai passé la nuit sans fermer l’œil, adossée au mur froid, à écouter le souffle lointain du camp, les bruits étouffés qui se meurent dans la nuit. Les heures se sont allongées comme des serpents, lentes et sifflantes, m’enserrant de leur patience venimeuse.Dans ma tête, Thyen est partout. Son rire. Ses pas légers. Le bruit sec de ses pierres contre le feu. Parfois, je crois entendre sa voix, mais ce n’est qu’un souffle de vent à travers les fissures. Chaque murmure de la nuit me rappelle qu’il est quelque part… ou qu’il n’est déjà plus.Quand deux coups sourds frappent contre la porte de la tour, je me redresse d’un bond. Mon cœur cogne si fort que j’ai l’impression que tout le camp pourrait l’entendre.Je ne réfléchis pas.Je prends ma cape.Je descends.L’air du dehors est glacial, tranchant. La brume s’accroche au sol comme une bête sournoise qui refuse de bouger. Le camp est silencieux, trop
LiraIls ont fermé la porte derrière moi.Une simple planche de bois. Pas de serrure apparente. Pas de barre de fer pour me retenir. Et pourtant, je sens la lourdeur de ce geste comme une gifle, comme une sentence silencieuse. C’est pire qu’une prison : c’est un enfermement maquillé en protection, un verdict qu’on ne prononce pas, mais qu’on laisse pourrir dans l’air jusqu’à ce qu’il vous étouffe.Je reste plantée là, immobile, à écouter leurs pas s’éloigner dans l’escalier. Le bruit des bottes sur la pierre rugueuse se répercute comme un écho dans ma poitrine. Plus les sons s’amenuisent, plus le silence s’épaissit, devenant une matière oppressante qui s’accroche à mes épaules.Je ne suis pas en prison, disent-ils.Mais les murs sentent la cage. Et leur odeur est vieille, humide, rance.La tour est glaciale, même au cœur de l’été. Les pierres suintent l’humidité et le temps, comme si elles avaient absorbé la mémoire de toutes les peurs, de tous les cris, de tous les secrets qui ont ja
LiraIls appellent cela un Conseil Restreint.Mais je sais ce que c’est.Une scène.Un piège.Une exécution sans corde ni fer.Ils disent que c’est « pour clarifier ». Pour calmer les esprits. Pour ramener l’ordre.Mais les regards dans le camp, eux, ne cherchent plus la clarté. Ils cherchent un responsable. Une offrande. Une proie.Je suis convoquée juste après le coucher du soleil.Pas à la clairière des feux, ni à la salle des décisions où l’on juge les conflits habituels vols, promesses rompues, affronts d’ivresse ou de sang.Non.Je suis conduite dans la vieille tour, l’un des rares vestiges en pierre, à la lisière nord.Un lieu oublié. Glacial. Trop ancien pour qu’on s’y sente vivant.Deux gardes m’escortent. Silencieux. Visages fermés. Ils ne me touchent pas, mais leurs mains restent proches de leurs haches.Comme si j’étais déjà coupable.Comme si, à tout moment, je pouvais mordre, hurler, fuir.Je monte les marches. Une à une.Elles grincent.Et à chaque marche, une pensée me
LiraLe jour s’est levé sans prévenir.Pas comme une aube paisible. Plutôt comme une lame qu’on abat sur une plaie mal refermée. Le froid a traversé les murs de bois, le silence s’est brisé d’un coup, et l’odeur du dehors humide, terreuse, peuplée de chiens, de peur et de feu s’est engouffrée dans la cabane.Je suis encore nue sous la peau que Volarion m’a jetée dessus au petit matin. Lui s’est déjà levé. Son absence m’a réveillée. Et ce vide, dans la cabane, pèse plus lourd que tout ce que nous avons fait cette nuit.Le feu est mort. Les braises sont noires, éteintes, et l’air glacial m’oblige à ramener la peau contre moi, comme si je pouvais encore retenir un peu de lui. De nous. De ce qu’on a osé. De ce qu’on a laissé exploser.Je m’assieds, engourdie, les jambes croisées, la gorge nouée. Je sens encore sa bouche dans ma nuque, ses doigts dans mes hanches, son souffle contre ma peau. Des lambeaux de souvenirs me hantent non pas comme des regrets, mais comme des preuves. Preuves brû
LiraLa nuit est tombée comme un couperet.Le village s’est refermé sur lui-même, englouti dans le froid, les torches basses et les murmures étouffés. On entend les loups hurler au loin, comme des échos arrachés à un cauchemar ancien. Mais ici, dans notre cabane, tout est figé. Étroit. Trop calme. Trop lent. Le silence est un piège, tendu entre nous deux.Je suis allongée, les bras croisés sous ma tête, le regard rivé au plafond de bois, ses poutres gondolées par l’humidité. L’odeur de la mousse séchée, des peaux rousses et du feu mourant sature mes narines, mais c’est son odeur à lui qui m’enivre. Chaude, animale, entêtante. Volarion. Varek, dehors. Mais ici, il n’a pas de masque.Il est là, tout près. Étendu sur le côté, en retrait, mais son souffle est irrégulier. Il se contient. Il lutte.Comme moi.J’ai trop de tension dans la nuque, trop de brûlures dans les reins, trop de souvenirs dans la chair. Son corps. Ses mains. Sa voix. Tout remonte. Tout vibre. Et ce que nous avons tent
LiraLa forêt de l’Est s’étire devant nous comme un piège silencieux. Des arbres hauts, noueux, aux troncs noirs et luisants, s’entrelacent jusqu’à cacher le ciel. L’air y est humide, saturé d’une odeur de mousse ancienne et de bois pourri. Chaque pas résonne entre les racines comme un aveu. On est trop visibles. Trop étrangers.Volarion Varek, maintenant marche quelques mètres devant moi. Il ne parle pas. Il ne se retourne pas. Son dos est droit, son allure assurée, mais je sens son attention vibrer comme une corde tendue. Il écoute. Il attend. Il guette.Nous atteignons les abords de la meute peu après midi, selon la lumière blafarde filtrant à travers le feuillage. Aucun panneau. Aucun cri d’alarme. Seulement une tension soudaine dans l’air, comme si le bois lui-même retenait son souffle.Un craquement sec.Je m’arrête. Lui aussi.Trois silhouettes surgissent entre les troncs. Des hommes. De grands corps taillés pour survivre à l’hiver, torse couvert de peaux, les visages mi-humain