KaelLa lumière revient peu à peu. Pas celle des torches elles restent éteintes, carbonisées jusqu’à la pierre. C’est une autre lumière. Rougeoyante. Pulsante. Elle vient d’elle. D’Aelya.Elle marche devant moi, nue sous les lambeaux de tissu, la tête haute, les épaules droites, comme si ce lieu lui appartenait. Et d’une certaine manière… c’est vrai. Elle n’est plus la même. Plus tout à fait humaine. Ni tout à fait autre. Elle est l’alpha d’une nouvelle ère.Et je la suis, incapable de faire autrement.Nos pas résonnent dans les couloirs anciens du sanctuaire. Les murs sont encore humides de l’orage que son cri a invoqué. Partout, des gravats. Des cendres. Le silence d’un monde qui retient son souffle.J'entends des voix, plus loin. Des pas précipités.— Ils arrivent, dis-je.Elle ne se retourne pas. Elle se contente de répondre, d’une voix calme et terrible :— Je sais.Elle monte les marches sans s’arrêter, comme si son corps blessé, meurtri par l’éveil, ne ressentait plus rien. Ou
KaelElle ne parle plus.Mais tout en elle hurle.Ses mains, crispées sur mes bras, me retiennent avec une force qui n’est pas la sienne — ou du moins, plus seulement. Sa respiration s’est brisée, arrachée par ce qu’elle ressent, par ce qu’elle devient. Et ses yeux… ces yeux qui me fixent, dilatés, noirs d’une émotion si vaste qu’elle semble vouloir me happer. Je sens le feu courir sous sa peau, pulser à travers ses veines comme une seconde vie, comme un battement ancien réveillé des entrailles du monde.Et moi… je suis incapable de reculer.Je devrais. Par prudence. Par peur. Par instinct.Mais je n’y arrive pas.Parce que c’est elle.Parce qu’elle est l’épicentre de quelque chose que je ne comprends pas encore, mais que mon corps reconnaît.Et parce que, moi aussi, je brûle.— Aelya… murmuré-je, la voix rauque. Tu dois te reposer.Elle lève les yeux. Et tout doute s’efface.Il ne reste que ce feu immense, ce brasier sans nom, sans limite, sans répit. Elle le contient à peine. Et pou
KaelElle tremble dans mes bras. Et pourtant, c’est le monde qui chancelle autour d’elle.Aelya… Non, celle qu’elle est devenue. Celle qu’elle a réveillée. Celle qu’elle porte.Je sens son souffle contre mon cou. Brûlant. Presque trop chaud pour un être vivant. Et sa peau, elle aussi, pulse encore, comme si la pierre en elle n’avait pas fini de s’ancrer. Comme si elle vivait. Comme si elle respirait à travers elle.Chaque battement de son cœur fait vibrer l’air. Le silence est trop épais, trop chargé. On dirait qu’il écoute. Qu’il attend.Autour de nous, les gravures anciennes vibrent. Les chaînes mortes rampent encore contre les murs, comme des serpents de métal réveillés d’un cauchemar millénaire. Les flammes des torches vacillent, non pas à cause du vent, mais d’un souffle venu d’en dessous. Un avertissement sans mots.Un silence s’abat, lourd, suintant d’un pouvoir contenu. Prêt à se briser. À éclater.Mais ce n’est pas fini. Je le sens. Je le vois dans les yeux de Myrren. Dans la
KaelElle se tient là, au bord du puits, et pourtant… ce n’est plus elle.Ou plutôt, si. C’est Aelya, mais traversée. Habitée. Brûlée de l’intérieur par une force qui dépasse tout ce que je croyais possible. Elle ne vacille pas. Elle ne tremble pas. Et c’est bien ça, le plus terrifiant.Son regard n’a plus d’ombre. Plus d’humanité non plus. Juste cette lumière crue, écarlate, presque divine. Une lumière qui me juge, qui me consume, qui me renvoie à tout ce que je suis incapable d’être.Personne ne parle.Même Myrren, d’ordinaire si rapide à réagir, reste figée. Une ombre de peur traverse ses traits, mais elle ne bouge pas. Elle sait, elle sent, elle comprend que quelque chose a basculé.Je veux m’avancer. L’appeler. La rappeler à nous. À elle-même.Mais le feu me cloue. Pas celui qui crépite au fond du puits. Pas même celui qui danse autour de ses bras comme une extension de sa volonté. Non. Le feu, c’est elle.Ses cheveux flottent, comme baignés dans un courant d’air que je ne ressen
AelyaLa descente commence à la lueur des torches.Le boyau s’ouvre juste sous la paroi, invisible à l’œil nu. Une faille entre deux pierres, comme une bouche oubliée, figée dans un cri muet. Il faut ramper au début. Sentir la roche contre la peau, l’humidité dans les cheveux, l’écho de sa propre respiration dans la gorge. L’obscurité a une odeur, ici : terre, cendre, cuivre. Et quelque chose d’ancien. De trop ancien.Le silence y est plus lourd qu’ailleurs. Il n’attend pas. Il s’impose.Quand nous débouchons dans la première salle, le monde change.Le silence tombe.Pas un silence ordinaire. Celui-ci est dense, vivant. Il s’insinue dans les oreilles, dans les pensées, jusqu’aux os. Même les respirations paraissent coupables. Même les battements de cœur paraissent déplacés.Kael allume une seconde torche. La flamme tremble, puis s’élève. Lentement, les murs se révèlent : des gravures rongées par le temps, des visages d’ombres figés dans la pierre. Certains prient. D'autres fuient. Et
AelyaLa descente est lente. Traîtresse.Chaque pas pourrait être le dernier. La neige se transforme en verglas, puis en roche humide. L’obscurité n’est plus une simple absence de lumière. C’est une matière. Elle s’accroche à la peau, s’insinue dans les os. Elle murmure, elle attend.Les torches vacillent, jetant des ombres monstrueuses sur les parois. Le silence est devenu autre chose. Une entité vivante, tapie entre les pierres, respirant au rythme de nos pas.Je sens la pierre pulser contre ma poitrine. Plus fort maintenant. Comme si elle reconnaissait le lieu. Comme si elle s’éveillait… ou appelait quelque chose.— On est proches, dis-je.Ma voix semble flotter un instant, suspendue, avant de se dissoudre. Kael se rapproche. Il marche près de moi. Sans un mot. Mais sa main frôle la mienne. Juste assez pour rappeler qu’il est là. Que je ne suis pas seule.Myrren referme son manteau autour de l’enfant. Il ne dort plus. Il regarde autour de lui, les yeux grands ouverts. Pas effrayé.